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Lu, vu, entendu : « Echauffements médiatiques »

par Un collectif d’Acrimed,

Des bouffées de chaleur apparemment sans grandes conséquences, des risques d’insolation pour cause de journalismes surexposés.

Pour cause de printemps tardif ?

I. Bouffées de chaleur ?

… Petits détails sans importance ?

1. Le Figaro.fr révise l’AFP

 Un effet du réchauffement climatique sur le cerveau d’Hugo Chavez ? Celui-ci aurait déclaré, à en croire un titre du Figaro.fr du 14 avril : « Les USA disparaîtront un jour ».

Ou sur le cerveau du titreur du Figaro.fr ? Celui-ci a compris que Chavez promettait la disparition des USA, alors qu’il a déclaré : « L’empire maudit des Etats-Unis un jour disparaîtra ». Difficile pourtant de confondre la disparition d’un empire et celle d’un État, d’autant que le titre choisi par l’AFP pour sa dépêche – et que LeFigaro.fr a intelligemment modifié - est on ne peut plus clair : « les USA, l’empire maudit, un jour disparaîtra ». Plus précisément, voici la déclaration du président vénézuélien, telle que retranscrite par l’AFP : « "L’empire maudit des Etats-Unis un jour disparaîtra", a affirmé mardi à Caracas le président vénézuélien Hugo Chavez en réponse à des propos de responsables américains accusant son gouvernement de se lancer dans "une course aux armements" dans la région. "Certains laquais de l’empire disent que le Venezuela est en train de s’armer, qu’il a commencé une course aux armements et que nous sommes une menace pour ses voisins. Il faut être cynique pour affirmer une telle chose. Surtout venant de la part des porte-parole de l’empire yankee. Cet empire maudit qui, un jour, disparaîtra de cette planète", a estimé le chef de file de la gauche radicale latino-américaine dans une allocution. Il a jugé que son pays devait "se préparer à se défendre" car, selon lui, "la menace impérialiste n’est pas terminée". "L’empire yankee et ses laquais, comme certains pays proches du Venezuela, tel le gouvernement colombien, cherchent toujours à agresser le Venezuela", a-t-il poursuivi. »

 Le 3 mai 2010, LeFigaro.fr publie à 13h43 un article présenté comme une dépêche de l’AFP qui, diffusée à 11h39, avait pour titre « Contre les emplois dégradés, des collectifs de chômeurs lancent une "grève" ». Or non seulement Le Figaro.fr ne retient qu’une partie des informations publiées dans cette dépêche (par manque de place ???), mais, en guise de plus-value éditoriale, en transforme le titre qui devient : « "Grève" chez les collectifs de chômeurs ». Un titre pour le moins réducteur dont témoigne l’Url de l’article : http://www. lefigaro.fr/flash-actu/2010/05/03/97001-20100503FILWWW00541-greve-chez-des-collectifs-de-chomeurs.php. Et l’image ci-dessous :

Un titre destiné à minimiser la portée et la signification de ce mouvement ?

Recycler les dépêches de l’AFP ? Passe encore. Mais quand elle est mentionnée comme l’auteur de l’article (ou comme un modeste contributeur : « D’après l’AFP », « avec l’AFP »), on serait en droit de savoir ce qui revient à l’AFP et ce qui revient au journaliste qui bidouille ses dépêches.

2. Néon invente des interviews

AFP, 19 mars : « Un mensuel allemand "branché", Neon [1], a reconnu vendredi avoir publié entre 2004 et 2010 cinq fausses interviews de stars telles que Beyonce Knowles ou Christina Aguilera, et annoncé s’être séparé de l’auteur de cette supercherie. Dans un message publié sur son site internet, la rédaction de Neon s’excuse pour la publication de ces entretiens factices ». Après enquête, la rédaction a identifié la brebis galeuse, « Ingo Mocek, qui a "fini par admettre qu’il avait trompé la cellule de vérification" du magazine et "que l’entretien n’avait pas eu lieu, contrairement à ce qu’il avait affirmé", précise Neon. Il a ensuite reconnu qu’il avait inventé de toutes pièces les quatre autres interviews mises en cause, publiées entre 2004 et 2010 ». Et l’ayant mis dehors, le magazine « souligne que "ces procédés ne sont en aucune façon conformes aux pratiques journalistiques et éthiques" en vigueur dans sa rédaction ». Pourquoi le dire ?

3. France Soir rajeunit Johnny

AFP, 19 mars : « France Soir a publié vendredi une photo de Johnny Hallyday vieille de quatre ans mais présentée comme prise la veille et "exclusive", a-t-on appris auprès du quotidien, qui entend poursuivre l’agence lui ayant vendu la photo. Abaca Press, qui a vendu à France Soir deux clichés venant de "X17", une agence de Los Angeles, affirme de son coté avoir été abusée par cette dernière, a déclaré à l’AFP Jean-Michel Psaila, directeur d’Abaca ». Mais tout finit bien, avec pléthore d’excuses : « Abaca Press est diffuseur sur le marché français des photos de X17, "une agence habituellement sans problème", s’est défendu le directeur d’Abaca Press. "Nous présentons nos excuses à France Soir et à ses lecteurs", a-t-il ajouté. France Soir présentera également des excuses samedi, comme l’a demandé Johnny, a dit à l’AFP Christiane Vulvert, directrice générale du journal.

4. TF1 révise la géographie

 En mettant la Wallonie à la place de la Flandre, et inversement, dans l’édition du 20 heures du lundi 26 avril :

La rédaction s’est excusée le lendemain. Mais quelques jour plus tard, TF1 reconstruisait l’Europe :

 En remplaçant la Finlande par la Suède C’était dans le 20 heures du dimanche 9 mai, dans un reportage sur les « modèles » allemand et suédois en matière de retraites :

Le médiateur de la chaîne s’est déclaré « consterné par cette grossière erreur d’infographie. La Direction de l’information est en train de prendre des mesures pour que ces bévues géographiques ne se reproduisent pas. »

Ces deux événements arrivent après que le CSA a admonesté TF1 et Canal + en mars pour leurs erreurs répétées dans ses 20 heures pour la première et dans Dimanche + pour la seconde, les obligeant à lire à l’antenne un communiqué du Conseil, comme on pouvait le lire sur le site du JDD citant Libération, le 11 mars dernier.

II. Risques d’insolation ?

… De mal en pis.

1. Libération, journal d’enquêtes sociales ?

Le 17 mai, Libération consacre un intéressant « portrait » au sociologue Robert Linhart, « mao rétabli », comme l’indique le titre figurant dans l’onglet de la page du site Internet qui affiche l’article.

Au milieu d’un paragraphe est évoqué le destin de Libération, quotidien « rétabli » du maoïsme lui aussi. Mais un quotidien qui n’aurait pas pour autant renié sa vocation contestataire et son intérêt pour les enquêtes sociales. En effet, évoquant la célèbre enquête en immersion réalisée par Linhart quand il a été s’« établir » comme OS chez Citroën dans l’après-68 (qui « relève davantage de l’enquête sociologique que de l’expiation prolétarienne », selon le quotidien de Rothschild), le portraitiste de Libération explique : « Ce goût de l’enquête, Linhart va le prolonger en dirigeant le journal J’accuse, l’un des ferments de Libération. Et c’est un peu de là que le journal que vous avez entre les mains tient son goût d’aller y voir, d’aller comprendre sur le terrain. » Un « goût » très peu prononcé ….

2. Ouest-France célèbre l’Europe des marchés financiers

Jeanne-Emmanuelle Hutin, fille du patron de Ouest-France et présidente de la Maison de l’Europe de Rennes, apporte sa contribution au débat sur la crise que traverse actuellement l’Europe dans le quotidien de son papa, le 16 mai. Voici des extraits de son éditorial-fleuve :

« Nous partageons un destin en commun. Nous dépendons tous les uns des autres », déclarait cette semaine M. Trichet, responsable de la Banque Centrale Européenne. Les événements qui se succèdent de jour en jour clament haut et fort cette évidence.

Ironie : ce sont les marchés, tant décriés, qui ont tiré la sonnette d’alarme et sifflé la fin de la coûteuse et désastreuse récréation européenne. Ils ont rappelé aux habitants du continent que la réalité existe bel et bien et qu’elle est différente de leurs rêves : on ne peut indéfiniment vivre au-dessus de ses moyens, même pour de bonnes raisons, sans risquer le naufrage !

Les peuples européens se réveillent un à un. La grande illusion dans laquelle ils se sont endormis s’est envolée, les laissant comme un lendemain de carnaval avec le devoir de remettre de l’ordre et de ranger les restes de la fête, corvée d’autant plus amère que beaucoup croyaient la fête éternelle ! [...]

C’est une aventure difficile et enthousiasmante. Elle devrait réveiller l’esprit pionnier des Européens [...].

Leur héritage historique peut leur donner confiance : découvertes, culture, sciences et humanisme ne sont pas des pièces de musée. Ils témoignent de la fécondité de l’esprit européen quand il est vraiment vivant, quand il refuse de se bercer d’illusions, quand il brise le carcan des égoïsmes et des peurs, quand il se libère des fausses sécurités pour s’élancer dans le grand vent du monde. [...] »

En somme, « les Européens » doivent cesser de se bercer d’illusions car la récréation est finie – les actions en bourse de la famille Hutin auraient-elles chuté ? A-t-elle dû hypothéquer ses maisons des beaux quartiers rennais ? Que nenni, elle n’est pas concernée : seuls « les peuples » sont responsables du désastre, et justement rappelés à l’ordre par « les marchés ». Il est temps pour eux en effet de respirer le vent nouveau. Il est temps d’insuffler l’esprit d’aventure aux quelques huit millions de Français travailleurs pauvres qui ont si abondamment profité du « rêve européen ». Mais heureusement que le vieux continent est le meilleur en tout. Un peu de morale dans l’histoire, et le tout devrait s’arranger. Ouf ! Le manoir est sauvé !

3. Ces médias qui interdisent la burqa

  Sondomaniaques - Le lundi 26 avril et le lendemain, nombre de médias reprennent sous le titre « 70% des Français pour une loi interdisant le voile intégral » (Le Point surtitrant même « plébiscite ») une dépêche AFP relatant les résultats d’un sondage LH2-NouvelObs.com, « réalisé les 23 et 24 avril par téléphone, auprès d’un échantillon de 1.009 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas. » Et la dépêche de préciser : « A la question "êtes-vous favorable à l’interdiction du port du voile intégral dans tout l’espace ?" alors que le gouvernement devrait proposer sous peu un projet de loi visant à interdire le port du voile intégral sur l’ensemble de l’espace public, 70% des personnes interrogées ont répondu oui, dont 49% "oui, tout-à-fait". »

Sauf que, magie des chiffres, deux jours auparavant, les mêmes titraient : « Seuls 33% des Français pour une interdiction totale de la burqa ». Cette fois, c’était un sondage TNS Sofres Logica pour Europe 1 qui l’affirmait. Fantastique, non ? D’autant que ce sondage a été réalisé au même moment que celui du NouvelObs.com, comme on nous l’explique : « Sondage TNS Sofres / Logica effectué pour Europe 1 les 22 et 23 avril 2010. Enquête réalisée par téléphone auprès d’un échantillon national de 950 personnes, représentatif de l’ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage PCS) et stratification par région et catégorie d’agglomération. »

 Péremptoire - Le 21 avril, Le Figaro affirme : « Le port de la burqa sera totalement interdit en France » Un titre sans nuances, suivi d’une phrase non moins pertinente, s’agissant d’un projet de loi, donc non encore voté : « Nicolas Sarkozy a tranché. Malgré l’avis défavorable rendu par le Conseil d’État en mars, le port de la burqa fera l’objet d’une mesure d’interdiction générale sur le territoire national. Un projet de loi sera présenté par le gouvernement. »

  Profond - Au JT de 20 h du 11 mai. Une information rapide sur le vote de la résolution sur le port du voile intégral : une résolution dont le contenu n’est même pas mentionné, suivi d’un « reportage » sur le présumé « polygame » nantais qui n’apprend rigoureusement rien de nouveau... sinon que France 2 s’est déplacé à Nantes et n’a pas pu filmer, aucune « femme voilée », pas plus que le « mari polygame », n’acceptant de répondre aux questions de ces journalistes !

4. Ces médias qui réforment les retraites

  Sondomaniaques  : Les retraites réformées par sondages interposés…

- Le 16 avril, France 2 interrogeait ses internautes pour savoir à quelle mesure ils étaient le plus favorables en vue de « réformer » notre système de retraite.

Parmi les réponses possibles, une bien étrange « Création d’une nouvelle taxe ».

« Création d’une nouvelle taxe » ? Comment comprendre cette question ? Pourquoi ne pas parler de la "hausse des cotisations", en distinguant "cotisations salariales" et "cotisations patronales" ? Ou bien, autre solution : évoquer la « taxation des revenus du capital » ? Voilà encore une question qui ne veut rien dire...

- Le 8 mai, Liberation.fr se penche lui aussi sur l’opinion. Le sujet cette fois encore : les retraites.

« Selon un sondage Ifop pour "Dimanche Ouest-France", 46% des Français se déclarent favorables à un allongement des cotisations et 43% à un recul de l’âge de la retraite au-delà de 60 ans », explique l’article. La conclusion est contenue dans le titre : « Retraites : près d’un Français sur deux prêt à travailler plus longtemps ».

Les résultats du sondage peuvent se lire de façon tout à fait différente, en partant par exemple du constat que 54 % des Français sont opposés à l’allongement des cotisations et 57 % d’entre eux opposés à un recul de l’âge de la retraite au delà de 60 ans. On attendrait alors plutôt ce titre (et cette conclusion) : « Retraites : plus d’un Français sur deux ne veulent pas travailler plus longtemps ».

Allez savoir pourquoi Libération, le grand journal « de gauche » et du « progrès social » a choisi la première interprétation ?

  Péremptoires. Ils savent tout…

- La concurrence est rude parmi les Pythies des réformes. Le 21 avril, Le Figaro annonce l’interdiction totale de la burqa avant toute délibération et tout vote parlementaires. Le lendemain, Challenges nous prévient dans un article prophétique : « Retraites : voici ce qui nous attend ». Voici comment est présentée cette « étude » maison dans le chapô du papier : « Toutes les solutions pour financer les pensions seront douloureuses. La plus efficace selon nos projections ? Travailler plus longtemps... » Évidemment...

- Un mois plus tard, c’est au tour du Parisien de nous annoncer le résultat des négociations (et des mobilisations…) sur « la réforme » des retraites :



- Lu en « une » d’un autre quotidien, le 19 mai :

LA réforme ? Quelle réforme ?

5. Ces journalismes qui fondent au soleil

Dégradation du journalisme professionnel, avancées du journalisme militaire….

- Avis aux journalistes professionnels : Florence Aubenas confirme

Le blog « la voix du dodo » relate une rencontre avec Florence Aubenas, au cours de laquelle celle-ci confirme notre analyse :

« Je me décide à demander le micro : "Durant la promo du livre, vos intervieweurs avaient tendance à se concentrer sur votre démarche d’infiltration, votre vie, vos qualités de journaliste. Avez-vous conscience d’être devenue l’icône des journalistes de ce pays ?" Je vois tout de suite que ma question l’indispose. Aubenas est maintenant sur la défensive, s’embrouille, répète qu’elle n’a jamais voulu cette situation… et finit par lâcher d’un air consterné : "Sur les 10 questions qu’on m’a le plus souvent posées, il y en a eu à peine une sur le sujet de la précarité, les 9 autres étaient sur moi et sur mon travail."

Du coup je m’enhardis et lance à Sainte Aubenas : "N’êtes-vous, pas au fond, l’arbre qui cache la forêt, dans cet univers médiatique à la dérive ?" Elle marque une pause, me fixe. "Vous savez, pour avoir passé 20 ans dans une entreprise de presse (Libération de 1986 à 2006, puis le Nouvel Observateur, ndlr), j’ai très bien vu les choses se dégrader. On a commencé par sous-traiter le ménage des locaux, puis les livreurs, et puis on a fini par externaliser les journalistes. La taille des articles a baissé : à l’Obs un page de 7.000 signes à l’époque ne fait plus que 5.000 signes." Sainte Aubenas est cette fois totalement remontée : "Oui, je suis effondrée par l’état de la presse aujourd’hui !" »

 Avis aux journalistes précaires : l’armée recrute !

En ce moment, Pôle Emploi diffuse deux bien étranges annonces à destination des chômeurs souhaitant exercer le métier de journaliste en région parisienne :

 « Sous statut militaire, vous réalisez des reportages en France et étranger. Des interviews, des articles et des brèves (écrites et télévisées) selon les directives du directeur en chef. Veille de l’actualité. Défense nationale. Encadrement de photographe (DiCOD) et équipe vidéo »

 « Officier sous contrat au sein de l’ECPAD. Partira en missions reportage de deux mois sur, les théâtres d’opérations extérieurs où sont engagées les troupes françaises. Encadre équipes de reporters. Réalises reportages audiovisuels/écrits pour Site Internet de la Défense nationale.. Condition âge : - 30 »

Les employeurs sont l’armée de l’air et la marine qui recherchent donc activement des jeunes diplômés à bac + 3 à 5, parlant éventuellement anglais pour occuper des postes de cadres en CDD de un an à un an et demi, le tout pour un salaire oscillant entre 1000 et 1500 euros nets par mois et même, pour l’une des deux annonces, 850 euros nets pendant trois mois de stages. A ce tarif-là, on se demande pourquoi ils ont tant de mal à recruter !

* Conclusion générale : Tout va bien !

Un collectif de rédaction d’Acrimed.

 
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Notes

[1Qui appartient à la maison d’édition Gruner + Jahr, filiale du groupe de médias Bertelsmann.

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