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Lu, vu, entendu : « Combats citoyens »

par Un collectif d’Acrimed,

... électoraux, publicitaires, libérateurs. Avec en prime : Qu’est-ce qu’un "bourdieu" ?

I. Combats électoraux

 Le combat d’Alain Duhamel… pour le « vote obligatoire »

«  Il faut rendre le vote obligatoire  », prescrit Alain Duhamel dans sa chronique parue le 18 mars dans Libération. Pour l’éditorialiste graphomane, la rigueur argumentative, elle, n’est pas obligatoire. Démonstration avec deux exemples.

Alain Duhamel déplore le « désastre civique  » que constitue selon lui le taux d’abstention record (plus de 53 %) du premier tour des élections régionales, le 14 mars. Après avoir constaté que « la participation électorale ne cesse de régresser » et que « seule l’élection présidentielle mobilise régulièrement  », il observe qu’« il faut des circonstances exceptionnelles (référendum de Maastricht, élections législatives de 1997) pour faire reculer l’abstention.  » Il y a une « circonstance exceptionnelle » absente – et pourtant plus récente – dans cette brève liste : le référendum sur le traité constitutionnel européen. Le 29 mai 2005, le taux de participation avait été de 69,3 %, presque équivalent à celui du référendum sur le traité de Maastricht en 1992 (69,7 %). La mémoire sélective d’Alain Duhamel ne lui a pas permis d’inclure comme exemple le référendum de 2005. Il faut dire qu’il avait ardemment milité en faveur du Oui et déploré la victoire du Non.

Puis, après avoir culpabilisé les abstentionnistes en leur rappelant doctement que « le droit de vote et le suffrage universel ont été les conquêtes démocratiques majeures, souvent acquises au prix du sang » [1], Alain Duhamel fait une analyse minimale des causes de l’abstention et propose une solution : « Reste la voie du vote obligatoire. Elle n’a rien d’utopique, puisqu’elle est mise en œuvre en Belgique, au Luxembourg, au Danemark, en Italie, en Australie et dans la plupart des démocraties sud-américaines. Mieux : elle y produit les effets recherchés, puisque la participation électorale y est nettement plus élevée que dans les autres démocraties. L’objectif est atteint.  »

Merveilleux raisonnement : le vote obligatoire fonctionne parce qu’il oblige les gens à voter... Le commentateur intarissable de la vie politique française présente ainsi officiellement sa candidature pour le truisme de l’année. Notons qu’il ne prend même pas la peine de mentionner les amendes auxquelles s’exposent les électeurs des pays dans lesquels le vote est obligatoire s’ils ne se rendent pas aux urnes.

La presse écrite est en crise, nous avons une solution : il faut rendre obligatoire la lecture des chroniques d’Alain Duhamel.

 Le combat des Dernières Nouvelles d’Alsace... pour l’UMP

C’est la question que se pose la Feuille de Chou le 20 mars à la vue des deux photos publiées par les DNA à la veille du second tour (la première en « une », la deuxième en pages intérieures) afin d’illustrer le principal enjeu du scrutin : l’Alsace va-t-elle ou non basculer à gauche ? Ces deux images mettent particulièrement en évidence les affiches de campagne du président sortant, l’UMP Philippe Richert :

Première photo

Deuxième photo

« S’il n’y avait qu’une photo, on aurait déjà eu quelques soupçons, quant au choix du secrétaire de rédaction, surtout avec deux "unes", nationale et régionale… Mais deux, avec le même message subliminal (plutôt "surliminal" !) soulignant la présence massive, puisque redoublée, du chef de la prétendue "majorité alsacienne", (…), ça ne peut être le hasard ! » commente la Feuille de Chou qui s’interroge : « Alors, les DNA ont elles tenté, d’influencer consciemment le vote en faveur de ladite (ex ?) majorité alsacienne ? »

 Les combats de la presse (qui n’exclut rien)… pour 2012

Petit florilège de « unes », originales et prospectives, au lendemain des élections régionales : pour que rien d’essentiel ne nous échappe.

Le Parisien, 24 mars :

France Soir, 24 mars :

Le Point, 25 mars :

Challenges, 25 mars :

II. Combats publicitaires

 Le combat de Libération (1)… pour la « marque » Libération

Banal, mais…

Nous voulions contribuer à la promotion de cette offre commerciale sans obligation d’achat, bien que Libération ne soit pas la seule « marque » à tenter de séduire les lecteurs par des moyens infiniment plus probants que ses seules qualités éditoriales.

Seulement voilà : nous avons pris connaissance du règlement.

Règlement :
 Article 1. Organisation
[…] Un jeu gratuit et sans obligation d’achat dénommé : "JEU.LIBERATION.FR". Ce jeu est accessible à l’adresse Internet : […] [2]

Toutes les marques, logos et autres signes distinctifs reproduits sur le site ainsi que sur les sites auxquels celui-ci permet l’accès par l’intermédiaire de liens hypertextes, sont la propriété exclusive de leurs titulaires et sont protégés à ce titre par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle. Toute reproduction non autorisée de ces marques, logos et signes constitue une contrefaçon passible de sanctions pénales. Tous les logiciels utilisés sur le site et ceux auxquels il permet l’accès, ainsi que les textes, commentaires, illustrations ou images reproduits sur le site et sur ceux auxquels il permet l’accès l’objet d’un droit d’auteur et leur reproduction non autorisée constitue une contrefaçon passible de sanctions pénales. […] »

Terrifiés par ces menaces, nous avons décidé de contribuer à la protection de la propriété intellectuelle et renoncé à vous présenter les superbes lots, flanqués de leurs logos : 1 séjour au Mexique pour 2 personnes, 5 friteuses et 5 cafetières.

En revanche, voici notre jeu concours sans obligation de réponse : « Les entreprises de presse, si soucieuses de protéger leurs logos et celle de leurs partenaires commerciaux, défendent-elles avec autant d’acharnement les droits d’auteur des journalistes et des photojournalistes ? »

 Le combat de Libération (2)… pour Coca-Cola

« Le bonheur est-t-il soluble dans le Coca-Cola ? », s’interroge sur le blog de LibéRennes une étudiante du master journalisme de l’IEP à l’occasion du forum Libération organisé dans la ville autour du thème « Le bonheur, une idée neuve ! » et que sa promotion est chargée de couvrir. Dans un billet du 26 mars 2010, la future journaliste s’interroge, avec ironie :

« “La nouveauté cette année, c’est un partenariat privé... avec Coca-Cola” a annoncé Laurent Joffrin ce matin, lors de la cérémonie d’ouverture du Forum. Après quelques rires dans la salle, le directeur du journal a précisé : “Et on est content de les avoir !”. La marque contribuerait-elle au bonheur ? En tous les cas, elle colore les couloirs du Théâtre National de Bretagne avec des centaines de gobelets rouges et autres boissons du même groupe. Du coin presse aux sorties de conférences, Coca-Cola ne laisse aucune gorge sèche. “Ils ont financé un sondage sur le bonheur des Européens”, justifie Laurent Joffrin. Demain, Christian Polge, Monsieur Coca-Cola France lui-même, viendra exposer sa vision du bonheur, en participant au débat : “Pourquoi l’entreprise stresse-t-elle tant ?”. »

Afin de tempérer l’information, la jeune apprentie journaliste précise en note : « Le Forum Libération est essentiellement financé par des partenaires publics à hauteur de 350 000 € (250 000 € pour Rennes Métropole et 100 000 € pour la Région Bretagne) » Une nouvelle forme d’aide la presse à destination des journaux à la dérive ?

III. Combats libérateurs

 Le combat de l’Est Républicain contre les étudiants

Un très bel article d’investigation paru dans l’Est Républicain du jeudi 8 avril. Une photo d’étudiants de la fac de lettres assis sur la pelouse : il n’en faut pas plus pour les comparer à des « limaces », affirmer qu’ils sont « vautrés » et établir une hiérarchie fumeuse avec « leurs copains de première année de médecine ou en prépa, en pleine révision de concours ». Sans oublier, évidemment, une attaque fielleuse contre les grèves, dès le début de ce court texte : « Non, ils n’étaient pas en grève »...

... et l’Est Républicain pleurera ensuite quand ses journalistes seront refoulés aux AG.

Le président de l’université Nancy 2, François le Poultier, a envoyé un mail à l’ensemble des étudiants pour faire connaître cet article. Il écrit :

« Je vous invite à prendre connaissance de la photo, accompagnée de sa légende, parues aujourd’hui dans le journal l’Est Républicain. Compte tenu du titre et du commentaire qui accompagnent cette photo, j’ai décidé :
- de demander un droit de réponse au journal l’Est Républicain ;
- de demander un rendez-vous avec son rédacteur en chef.

François Le Poultier »

A suivre…

 Le combat de Ruquier… pour Zemmour

5 min 40 s... C’est la durée du droit de réponse que Laurent Ruquier, dans l’émission « On n’est pas couché ! » du samedi 27 mars, a accordé à Eric Zemmour pour qu’il puisse répondre à ceux qui l’ont critiqué pour ses propos justifiant les contrôles au faciès des noirs et des arabes. Qu’un tel droit de réponse soit accordé dans une émission où ces propos n’ont pas été tenus et n’ont pas été controversés... témoigne d’une forte confraternelle solidarité. De quels temps disposeront les associations mises en cause par Eric Zemmour quotidiennement sur RTL et chaque semaine sur France 2 ? Censures ? Vous avez dit « censures » ? Le CSA doit sans doute réfléchir à la question...

 Les combats de Robert Ménard…

Pour la liberté de la presse et…

- Pour la peine de mort...

Robert Ménard, qui il y a deux ans protestait à la tête de RSF contre les jeux Olympiques de Pékin au motif que la Chine, championne du monde des exécutions capitales, ne respectait pas les droits de l’homme, a déclaré dans l’émission de Pierre Weill « C’est demain la veille » sur France Inter, le 21 mars dernier, être favorable à la peine de mort, en ces termes : « Etre partisan de la peine de mort, ça ne fait pas de vous un monstre qui serait lui-même exclu de l’humanité bien-pensante, convenable et tout. Moi je pense que sur un certain nombre d’affaires, l’affaire Dutroux et tout, je ne suis pas sûr – et je me suis battu vingt-cinq ans pour les droits de l’homme – que je mettrais beaucoup d’énergie pour éviter qu’à Dutroux on lui coupe le cou. » A un intervenant qui lui demande de préciser sa pensée en affirmant « Tu es pour la peine de mort en fait » il répond : « Je pense que ce n’est pas un problème. »

Rue89, qui met en ligne l’extrait sonore de l’émission, rappelle qu’en 2007 déjà, Ménard c’était prononcé pour la torture si cela permettait de sauver des vies d’otages, déclarant notamment : « Je sais plus, je suis perdu, parce qu’à un moment donné je ne sais plus où il faut arrêter, où il faut mettre le curseur. Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est ce qui n’est pas acceptable ? Et en même temps, pour les familles de ceux qui ont été pris en otage, parce que ce sont souvent nos premiers interlocuteurs, à Reporters sans frontières ; légitimement, moi, si c’était ma fille que l’on prenait en otage, il n’y aurait aucune limite, je vous le dis, je vous le dis (bis), il n’y aurait aucune limite pour (inaudible)… »

- Contre l’homosexualité...

Le 5 février dernier, le même avait déclaré à l’émission « Cactus » sur Paris Première, à propos du film « Le Baiser de la lune » qui devait être diffusé dans les écoles primaires afin de sensibiliser les élèves à la lutte contre l’homophobie (et qui ne l’avait finalement pas été sous la pression des lobby familialistes et intégristes) : « Moi je n’ai aucune envie que mes enfants voient ça. Moi j’ai envie que mes enfants aient une sexualité hétérosexuelle, je n’ai pas envie d’autre chose. Moi, ma petite fille, je n’ai pas envie qu’elle soit confrontée tout de suite à ce genre de questions. Elle aura bien le temps de le faire et, quand je vois les réactions des syndicats d’enseignants qui hurlent une fois de plus, je dis que j’en ai marre des syndicats d’enseignants qui, dès que l’on dit ce que je viens de dire, vous traitent d’homophobe et de réactionnaire ! »

Robert Ménard, lui-même catholique conservateur s’en était par la suite justifié sur son blog le 12 février : « Dans une société comme la nôtre, il est, en effet, plus facile d’être hétérosexuel que gay. Soucieux de mes enfants, je ne leur souhaite donc rien qui puisse rendre leur vie plus difficile, plus compliquée. Rien de plus, rien de moins. Il me semble que cela tient du bon sens. Mais le bon sens semble être désormais le propre du beauf. Il faudrait commencer toute phrase en prêtant allégeance à la bien-pensance : "non, je ne suis pas homophobe" ou "oui, j’ai des amis homosexuels". Réfractaire à ces simagrées, je précise que j’aimerais, de plus, conduire ma fille à l’église le jour de son mariage. Et prendre, plus tard, dans mes bras, les petits-enfants qu’elle m’aura donnés. Avec un garçon. Son mari par-dessus le marché. Bref, le beauf absolu. » En tout état de cause, invité chez Morandini le 15 février, Ménard a réitéré cette prise de position et refusé catégoriquement de présenter des excuses aux homosexuels.

Mais alors pourquoi s’en être pris ainsi à la Chine, pays qui précisément pratique la torture, la peine de mort et la répression de l’homosexualité ? Parce qu’elle n’a pas l’air catholique, sans doute...

- Et contre le droit du travail

Dans un portrait qu’il lui a consacré le 28 mars, Le Parisien en rajoute : « De ses collaborateurs, il attend dévouement et abnégation et ne comprend pas leur étonnement lorsqu’il les appelle à 6 heures. "Les ONG meurent de leur professionnalisation. Après mon départ, ils ont élu un délégué du personnel. Moi, ça ne me serait jamais venu à l’idée" ». Respecter le code du travail ? Encore un truc totalitaire, probablement...

 Le combat de l’armée américaine… contre les journalistes

Bug Brother, le blog de Jean-Pierre Manach publie et commente une vidéo « fuitée » sur Wikileaks montrant l’assassinat de deux photographes de l’agence Reuters par un hélicoptère américain en Irak en juillet 2007. Les soldats auraient confondu leur appareil photos avec des fusils et des lance-roquettes. Plusieurs civils ont également été tués, et deux enfants blessés. Alors que la vidéo montre que ces crimes sont des actes réfléchis, l’armée américaine, qui a toujours refusé de fournir à Reuters ce document accablant, avait déclaré à l’époque que ces gens avaient été tués lors de combats contre des « insurgés » (alors même qu’aucune scène de combat ne précède les tirs). « Dans le Washington Post, un autre militaire déclara qu’aucun civil n’avait été tué délibérément », note Jean-Pierre Manach, traduisant le texte accompagnant la vidéo. À l’heure actuelle, si la plupart des sites Internet des médias français ont repris l’info, on attend toujours les protestations outrées de l’ensemble de la profession.

Au même moment, on apprenait (dépêches AFP et Bloomberg du 27 mars) que cinq journalistes ont été tués au Honduras en mars 2010. Parmi eux, l’un enquêtait sur le crime organisé et les trafics de drogue, un autre avait reçu des menaces des militaires en raison de sa couverture du coup d’État et un dernier alors qu’il se déplaçait en voiture en compagnie d’un animateur de la télévision publique partisan affiché du coup d’État. Ces crimes suscitent un silence encore plus pesant des médias français, qui ont été très rares à reprendre cette information, comme le relève @rrêt sur images.

Et pour finir :
- Qu’est-ce qu’ un « bourdieu » ?

Dans l’article que nous avons publié le 6 avril sur la médiatisation de la colère de Jean-Luc Mélenchon, nous écrivions, à propos de la critique des médias et de sa réception par les sommités du journalisme : « Le froid examen des sociologues n’est toléré qu’à la condition qu’il épouse les mythes de la profession. Sinon c’est « du bourdieu », « du marx » ou « du chomsky », tous trois devenus les noms communs de toutes les détestations. »

Qu’est-ce qu’un « bourdieu » ? Illustrations :

- Par Aliocha, tenancière d’un blog qui se propose depuis avril 2009, d’« En finir avec Acrimed ». Dur, dur… Depuis le 31 mars 2010, on peut lire sur ce blog, sous le titre « Une sale corporation voyeuriste », cette confession :

« Je doute qu’il existe à l’heure actuelle une profession plus névrosée que la nôtre, sauf peut-être les policiers, les juges et dans une certaine mesure les enseignants. Mais j’observe également que, contrairement aux journalistes, ces professionnels là ne hurlent pas de joie chaque fois que l’un des leurs ou leur collectivité toute entière se fait insulter. Il faut croire que Bourdieu et consorts ont insufflé dans l’âme de la presse une sorte de culpabilité indélébile que chacun d’entre nous se croit obligé d’expier en permanence en se vautrant dans une critique sans fin de ses confrères, du système, du métier, etc. »

Résumons : un « bourdieu », dont on ne sait rien d’autre que le nom, est un être imaginaire qui, flanqué de ses consorts, insuffle dans l’âme de la presse une inquiétante névrose…

- Par Pascal Riché, qui, dans un « L’édito » de Rue89 (dont il est le rédacteur en chef) évoque ainsi l’article de Mélenchon publié sur le blog de ce dernier.

« Le billet de Mélenchon est émaillé de propos à l’emporte-pièce (sur la prétendue mauvaise réputation de l’école de journalisme de Sciences-Po, par exemple) et de digressions bourdieusiennes propres à galvaniser le lecteur-militant  ».

Un « bourdieu » se transforme en adjectif qui peut qualifier n’importe quoi, surtout s’il permet de disqualifier des « digressions » et cette horreur : « le lecteur-militant ». À distinguer soigneusement de « l’éditorialiste-papotant ».

 
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Notes

[1Rappelons que lorsque le résultat d’une consultation populaire ne lui convient pas, Alain Duhamel parle de «  la mécanique infernale des référendums, ces machines à faire répondre non aux questions qui ne sont pas posées » (Libération, le 12 juin 2008, au sujet du premier référendum irlandais sur le traité de Lisbonne).

[2Supprimé pour éviter les tentations…

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