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Un Michael Jackson et deux ouvriers : la cote de la mort selon RTL

par Denis Perais,

Quand la disproportion est telle qu’on ose à peine comparer… il vaut pourtant la peine de le faire. La démesure relativement exceptionnelle permet de souligner la démesure ordinaire.

Décès de Michael Jackson : un « tsunami médiatique »

L’expression figure dans un communiqué du SNJ-CGT, daté du le 8 juillet 2009. En voici un large extrait.

« The show must go on ? » - « La disparition de Michael Jackson a déclenché depuis dix jours un tsunami médiatique.

Mobiliser des temps d’antenne hors de toute proportion sans respecter la hiérarchisation de l’information bafoue les principes professionnels du journalisme et vise à reléguer les auditeurs, lecteurs, téléspectateurs et internautes au rang de consommateurs de produits et non de citoyens éclairés.

La réquisition de nombreuses télévisions pour un « show planétaire » à l’occasion des obsèques du roi de la pop musique n’a fait que renforcer le déluge de poncifs et superlatifs et le vide sidéral auxquels on a déjà assisté ces derniers jours. Ce au détriment des questions qui taraudent les Français, comme le pouvoir d’achat en berne, le chômage exponentiel, le travail du dimanche et la prolongation de l’âge de la retraite.

Ceci va de pair avec la transformation de l’information en « produit », de journaux ou autres formes de médias en « marques », et en définitive conduit à un nivellement par le bas des médias, de leur qualité. […] »

Le même jour, cette contestation recevait, apparemment, un renfort inattendu.


Le 8 juillet 2009, dans sa chronique matinale quotidienne sur RTL, Alain Duhamel dénonce la place démesurée que la télévision a accordée à la couverture du décès de Michael Jackson [1], dont le point d’orgue, la soirée- hommage à grand spectacle organisée au Staples Center de Los Angeles le 8 juillet, sera couverte abondamment quelques heures plus tard par la station : « Il y a quand même quelque chose d’étrange, de déraisonnable, de disproportionné. [...] Quand on regarde la télévision depuis une dizaine de jours, d’abord on a l’impression que c’est le seul évènement de l’univers [...]. On a l’impression qu’il y a une sorte de religiosité profane, de culte morbide, d’exaspération, d’exagération de la personnalisation . »

Et de conclure, par ce verdict en forme de réquisitoire : «  Les chaînes de télévision étaient absolument parfaites, parce que ça correspond exactement à leur vocation, à leur principe et à leur fonctionnement, c’est-à-dire la mise en scène théâtrale, systématique, de l’émotivité, de l’instantanéité, sans aucun recul, sans aucune critique, sans aucune précision, et que le résultat de tout ça, c’est qu’on gagne beaucoup d’argent avec beaucoup d’émotion. »

Alain Duhamel est coutumier de ces critiques de la télévision. Ainsi, le 8 février 2006 dans Libération, il s’acharnait déjà contre les « démons de la télévision : le despotisme de l’instantanéité, du temps réel, de l’émotivité et même de l’irrationalité, le triomphe de la simplification » [2]. Plus récemment, le 8 avril 2009, sur les ondes de RTL, à propos des élections européennes, il fustigeait « la télévision française [qui] a toujours fait preuve d’une indifférence absolue vis-à-vis de l’ensemble des problèmes européens, et qu’il n’y a pas tellement de raisons que ça change » [3].

Difficile sur ce point de contredire l’omniprésent chroniqueur multicartes et multimédia de RTL [4], et particulièrement sur le décès de Michael Jackson tellement la télévision en a fait des tonnes.

Mais, comme à l’accoutumée, Alain Duhamel, ce matin de juillet, a épargné les autres médias, particulièrement ceux dans lesquels il s’exprime. Pourtant, une grande partie de la presse écrite, nombre de sites Internet et les stations de radio ont rivalisé avec la télévision. Et parmi ces stations de radio, celle qui accueille Alain Duhamel : RTL.

Un coup d’œil sur le site Internet de la station permet de s’en rendre très rapidement compte. Un dossier « hommage à Michael Jackson », rien que ça, nous révèle que la station détenue par le groupe Bertelsmann a consacré des heures et des heures d’antenne à ce décès. Emissions ou chroniques spéciales, témoignages de personnalités connues du monde politique et du showbiz, d’anonymes [5], reportages, retransmission de la cérémonie-hommage de Los Angeles, rétrospective de sa vie et de son « œuvre », etc. Comme le montre le « dossier » encore visible sur le site de RTL.

Manifestement, Alain Duhamel n’écoute pas RTL ou préfère ne pas l’entendre. La hiérarchisation de l’information sur la station qui l’emploie n’a rien à envier à celle qui l’accable quand il regarde la télévision.

Décès de deux ouvriers : un simple fait divers

Quelques semaines plus tard, le 16 juillet, un accident du travail se produit au stade Vélodrome de Marseille, au cours duquel deux ouvriers perdent la vie (et huit autres sont blessés), à l’occasion du montage de la scène devant recevoir de Madonna pour son concert, prévu le 19 juillet et finalement annulé.

Tout auditeur attentif de la station se souvient forcément du slogan régulièrement diffusé à l’antenne : « RTL, c’est vous informer ». Promesse tenue, si l’on peut dire. Mais information minimaliste, comme on peut le vérifier en quelques clics sur le site de la radio. Au moment où nous rédigions cet article, on trouvait en tout et pour tout sept [courts] « sons » consacrés au sujet, classé en rubrique... faits divers ! [6]. Moins de... dix minutes au total. L’hommage aux travailleurs [anonymes] aura été de courte durée, prolongé » il est vrai par la visite de Madonna au chevet des blessés. On peut d’ailleurs légitimement penser que les quelques bribes concédées l’ont été parce qu’une star médiatique comme Madonna était concernée par ce drame.

Alain Duhamel va sans doute protester contre cette nouvelle illustration de la place accordée aux accidents du travail, relégués depuis des années dans les oubliettes de l’information [7]. Pourtant, le quotidien régional Paris Normandie reconnaissait dès le 20 décembre 2005 que les « maladies et accidents du travail sont en augmentation faute de prévention ».

Mais visiblement pas au point d’inciter RTL à contribuer à l’effort de «  prévention » en ouvrant largement son antenne au traitement de cette question !

Ces accidents du travail intéressent d’autant moins les chefferies éditoriales que ce sont les ouvriers qui en sont les principales victimes ; cette catégorie socioprofessionnelle, que les médias dominants ignorent avec dédain alors qu’elle représente encore 22,8 % des actifs occupés [8] – contre 15,5 % seulement aux cadres et professions intellectuelles supérieures, dont est aussi issue la quasi-totalité des journalistes qui les reçoivent [9]. Ceci pouvant, au moins pour partie, expliquer cela.

Ainsi, le journal Le Plan B [10] a repéré... un seul représentant des premiers nommés (0,068 %), contre... 1 253 des seconds (86 %) sur les plateaux de « Mots Croisés » (France 2), « France Europe Express » (France 3) et « Ripostes » (France 5) en 2006. Sur un total de 1 457 invités. Edifiant !

On comprend dès lors que la mort accidentelle de deux ouvriers ne méritait qu’une attention limitée, amplifiée pourtant parce qu’ils travaillaient indirectement au service de Madonna. C’est moins « payant » que la mort de Michael Jackson…

… Ou que le malaise de Nicolas Sarkozy, qui nous valut tant de beaux reportages et d’émouvants directs pour ne rien dire.

Le 3 juin dernier sur son blog, le directeur adjoint de la rédaction de RTL et responsable hiérarchique d’Alain Duhamel, Jean-Michel Aphatie n’hésitait pas à absoudre par avance le journalisme, quel qu’il soit : « Dans une société de libre débat, le journalisme et ceux qui en font n’ont aucun pouvoir. Ils n’orientent ni ne déterminent l’opinion publique. Ceux qui construisent les esprits et impriment les consciences, ce sont les acteurs. » Il s’agissait en l’occurrence des hommes politiques. Et d’ajouter : « Ce sont eux qui choisissent et agissent. » Tandis que les journalistes, selon Aphatie, épongent et subissent. Qui peut le croire ?

Denis Perais

 
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Notes

[1Survenu le 25 juin dernier

[2Cité par Le Plan B n° 1, de mars 2006

[4Actuellement chroniqueur/éditorialiste à Libération, Nice Matin, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Point, Canal + (dans l’émission « Le Grand Journal ». Source : Wikipedia.

[5Une véritable hagiographie, que dénonce évidemment Alain Duhamel dans sa chronique. Mais pour la télévision, évidemment, en osant une magistrale comparaison : « Toute proportion gardée, dans un autre siècle, et dans un autre domaine, je trouve que les réactions ressemblent un peu à celles des communistes au moment de la mort de Staline.  »

[6Pour écouter les « sons », tant qu’ils sont disponibles : « Un mort et neuf blessés, « Un deuxième mort », « Madonna au chevets des blessés » les 16 et 17 juillet, idem le 20 juillet (désormais indisponibles : 10 mars 2010).

[7Deux autres exemples que l’on pourrait renouveler à l’infini, quels ques que soient les supports médiatiques : Le Plan B n° 15, d’octobre 2008, avait signalé que « la mort d’un chef de chantier de l’entreprise TCP de Saint-Avé (Morbihan), enseveli dans une tranchée (8.9.08) » n’avait pas été évoqué par Libération, Le Monde, Le Figaro, Aujourd’hui en France et Sud Ouest, qui avaient par contre consacré « 170 articles, 70 brèves, 90 159 mots » à l’occasion de la libération d’Ingrid Bétancourt (du 3 au 31 juillet 2008). Le n° 14, de juin 2008, indiquait, à partir des mêmes supports, que « la mort d’un ouvrier de 52 ans enseveli après l’éboulement d’une tranchée à Brétigny-sur-Orge (Essonne), 7.5.08) » avait été l’objet d’un silence complet, alors que le procès de Michel Fourniret avait suscité l’emballement médiatique avec « 203 articles, 50 brèves, 11 401 mots » de mars à juin.

[8Les chômeurs ne sont pas pris en compte dans cette forme de comptage.

[929,8 % d’employés, 23,6 % de professions intermédiaires, 6,2 % d’artisans, commerçants ou chefs d’entreprises et 2,1 % d’agriculteurs exploitants. Source : Insee, « Actifs occupés selon l’âge et la catégorie socioprofessionnelle », mise à jour de mars 2008. Lire sur le site de l’Insee.

[10n° 7, d’avril 2007.

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