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Lettre ouverte de journalistes martiniquais à leurs confrères de la presse nationale

Nous publions ci-dessous, sous forme de « tribune », une lettre ouverte d’un collectif de journalistes martiniquais, que nous avons reçue – la date compte… - le mercredi 11 février 2009. (Acrimed)


Lettre ouverte à nos confrères de la presse nationale

Chers confrères, chères consœurs,

Nous journalistes martiniquais vivons aujourd’hui une période agitée en ces temps de crise. Vous n’êtes pas sans savoir - ou peut-être si ?- que de nombreux problèmes autres que la crise récurrente du tourisme gangrènent ces départements d’outre-mer que vous qualifiez parfois de lointains : vie très chère (quatre fois supérieur à la métropole), chômage endémique (cinq fois supérieur à la métropole), inégalités sociales criantes, monopole racial détonant…

Et pourtant inexorablement votre couverture de l’actualité reste la même : Pas un mot (hormis quelques offs) après trois semaines de grève générale en Guadeloupe : pas une question au président de la république et finalement une couverture qui arrive très tardivement avec l’envoi du secrétaire d’état à l’outre-mer :Yves Jégo. Et quelle couverture !!!

Une fois de plus vous vous engouffrez dans les clichés : le coup dur porté à l’économie de ces îles déjà concurrencée par les îles voisines ou la main d’œuvre est meilleur marché et l’accueil bien meilleur (dixit Eric Zemmour dans l’émission « l’hebdo » sur France 0 : « on connait la rudesse légendaire de l’accueil aux Antilles ») et ces éternels marronniers sur les annulations des tours opérators.

Nous autres frappés de plein fouet par la réduction de nos personnels, par la précarisation de nos emplois, regardons avec envie les moyens que vous déployez en temps de crise (banlieue, hopitaux, industrie…) pour informer vos téléspectateurs, auditeurs, lecteurs. Le nombre de sujets, de déclinaisons, d’angles différents donnés à vos reportages. Vous êtes soucieux de donner la parole aux uns et aux autres, de faire des portraits, d’investiguer pour une couverture qui se veut la plus objective possible.

Alors, nous sommes surpris que dans la situation très particulière dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, vous manquiez à ce point d’imagination. Peut-être parce que vous n’êtes pas sur le terrain ? Alors voici quelques suggestions d’angles si jamais vous vouliez vous intéresser autrement que par des clichés à nos réalités.

Concernant le tourisme...

Savez-vous que bien avant le déclenchement de la mobilisation, la situation était déjà catastrophique dans le secteur hôtelier de Martinique ? Des sites prestigieux martiniquais sont liquidés, livrés à la spéculation immobilière, des centaines de salariés sont jetés à la rue parce que les spéculateurs choisissent de remplacer les hôtels par des résidences qu’ils vendent à des prix exorbitants que très peu de martiniquais peuvent s’offrir.

Avez-vous déjà essayé de faire le portrait d’une retraitée en Martinique qui touche 800 euros et qui doit acheter un yaourt : 4 euros 99 contre 1 euros 50 en métropole (la même marque) ?

Avez-vous mis une de vos équipes sur ce rapport détonant paru dans Le Monde sur les profits extraordinaires faits par les compagnies pétrolières aux Antilles ?

Sur le nombre de chômeurs : 25% (contre 8% dans l’hexagone), obligés eux aussi d’acheter des produits cinq fois plus chers qu’en France hexagonale avec les mêmes allocations, certains avec bac+5, 6, 7, qui ne trouvent pas de travail en Martinique.

Sur les marges exorbitantes des distributeurs ?

Et il y en a des sujets à décliner !!! Embauche systématique de cadres européens au détriment des cadres locaux, bétonisation des terres, malaise social… Pourquoi pas un portrait de cet homme qui dirige le collectif à la tête de la grève en Guadeloupe, devenu un héros pour toute la population guadeloupéenne ? Qui est-il, d’où vient-il, pourquoi cette adhésion incroyable des Guadeloupéens de toutes classes à cette mobilisation ? Mais peut-être que tous ces sujets ne vous intéressent pas, ne font pas people dans vos JT ?

Alors laissez-nous finir en vous disant que nous autres journalistes martiniquais avons le sentiment que cette crise est bien plus profonde que tout ce que nous avons pu vivre précédemment. Que le documentaire de Canal Plus diffusé la semaine dernière sur les békés de la Martinique, une caste de blancs créoles qui vit en autarcie et qui détient une grande partie de l’économie et des terres en Martinique, a profondément remué et choqué nos compatriotes et nous-mêmes et qu’à l’évidence, il y a des blessures profondes qui se réveillent. Il se passe des choses qui méritent des analyses, des visions et des explications.

Nous essayons de faire notre métier d’information le plus justement possible mais nous n’avons aucune prise sur les médias nationaux. Vous seuls pouvez choisir les angles qui vous intéressent : la communication de Matignon (qui aujourd’hui craint plus que tout la contagion aux autres DOM et aux Français de l’hexagone), les annulations des tours opérators ou alors vous pouvez traiter tout le reste. Si jamais ça vous intéresse !!!

Bien fraternellement

Un collectif de journalistes martiniquais

 
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