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Les cheminots selon Françoise Laborde : privilégiés et collabos

par Henri Maler,

Forte d’une compétence professionnelle à toute épreuve, d’une maîtrise parfaite des questions sociales et d’une vaste culture historique, Françoise Laborde, désormais cooptée au CSA par Nicolas Sarkozy [1], courageusement, se confie…

… Dans un ouvrage impérissable intitulé Ça va mieux en le disant... [2]. On peut y lire (pp. 95-98), ça :

« Parfois, quand le découragement me saisit, à défaut de mensonges pour m’« évader », je me prends à rêver à la retraite... Oui, oui, moi aussi ! Comme tous ces heureux bénéficiaires des « régimes spéciaux », agents de la SNCF, d’EDF, de Gaz de France, qui, vers cinquante ans, peuvent plier les gaules et attaquer une nouvelle vie à leur guise, farniente ou seconde carrière. (Par parenthèse, je suis toujours fascinée et perplexe en entendant des « jeunes » cheminots de trente-cinq ans expliquer qu’ils ont précisément signé pour partir plus tôt se la couler douce. A leur âge, je pensais à tout sauf à cette échéance qui me paraissait si lointaine !)

Pour défendre cet acquis non négligeable, ils font la grève. Pendant dix jours, en novembre 2007, ils ont paralysé le pays en clamant des mots d’ordre variés. Au choix : pour défendre l’« intérêt du service », les « acquis sociaux », nos « futures retraites », que sais-je encore ? Alors que nous - salariés du privé ou assimilés - cotisons déjà plus longtemps, avec des décotes bien plus substantielles !

Mensonges que tous ces slogans, mensonge que cette pseudo-solidarité : ils défendent leurs avantages ! Ça se comprend, mais pourquoi ne pas le dire ? Car l’intérêt public, le sens du collectif, c’est bien autre chose ! La SNCF se targue d’être un modèle de solidarité sociale, mais nul n’ose rappeler que les trains de la mort qui emmenaient juifs et résistants vers les camps d’extermination n’ont jamais été stoppés par des grévistes et sont toujours arrivés à l’heure, leur prestation payée, rubis sur l’ongle, par les nazis. Sans les trains français, comment la déportation aurait-elle pu avoir lieu ? Les cheminots héros de la Résistance dans La Bataille du rail, voilà une imposture historique extrapolée et véhiculée par les « camarades » après la guerre...

Rappelant cela, je sais que je vais me faire des copains...

Le mensonge d’État ! Comment la France de Vichy aurait-elle pu se montrer si efficace dans sa collaboration sans la police, la magistrature, la fonction publique françaises - et ce qu’on n’appelait pas encore les médias ? Voyez de Gaulle nommant un Jacques Chaban-Delmas, authentique héros de la Résistance, lui, à Bordeaux, nid d’anciens collabos, mais aussi Papon préfet de police, puis ministre, et un René Bousquet, chef de la police sous Vichy, reçu en toute amitié par Mitterrand... Tout cela, dit-on, est bien connu, mais si vite oublié !

Et voici que nos cheminots viennent semer la panique dans l’organisation de la Coupe du monde de rugby à laquelle les amateurs du monde entier souhaitent assister. Ironie du sort : le premier sponsor de la Coupe du monde est précisément la SNCF, dont les trains risquent bien être bloqués !

Heureusement, ils ont eu le bon goût d’attendre que la finale, le 20 octobre, soit passée pour mettre leurs menaces à exécution.  »

Faut-il commenter ? Pas vraiment… Faut-il censurer cette miraculée de la liberté d’expression ? Certainement pas.

Mais l’on est en droit de se demander – benoîtement, bien sûr - si de telles « opinions », que d’ordinaire on qualifie de « personnelles », mais qui émanent de certains égouts collectifs, affectent ou non la présentation des mobilisations sociales dans le JT de France 2, quand Françoise Laborde le présente. Ne cherchez pas trop longtemps la réponse…

Françoise Laborde, vice-présidente du Press Club de France et membre du Haut-conseil à la coopération internationale (HCCI) - des institutions bien achalandées... - est également chevalier de l’ordre national du Mérite et officier du Mérite agricole. Pour service rendu. Mais à qui ?

H.M.

PS. Nos remerciements au membre de notre association qui a eu l’abnégation non seulement d’acheter (d’occasion) le livre de Madame Laborde, mais surtout de le lire.

PS 2. Un correspondant nous écrit : « Remarquez que Françoise "la moniale", elle, n’est pas une privilégiée... C’est sans y penser qu’elle prépare sa retraite ! […] Voir le mot de la maîtresse de maison sur http://www.chateau-monastere-de-saint-mont.com/ et,
en cherchant bien http://www.lesproducteursgersois.com/news/Saint-Mont-VignobleenFete. C’est quand même plus classe que la vie d’un retraité SNCF. »


Après notre publication du 28 novembre…

Reprenant une partie de notre article, Maurice Samson (Membre du BN/UFR et représentant retraités au CA/CPRP) a, le 23 janvier 2009, publié sur le site de Bellaciao – sous le titre « Propos scandaleux de François Laborde sur les cheminots » - les excellents compléments qui suivent :

« A la suite de plaintes déposées contre la SNCF en 2001 aux Etats-Unis, et de celle déposée par le député Vert européen Alain Lipietz, l’avocat Arno Klarsfeld a publié un article dans le quotidien Le Monde du 6 juin 2006 dont voici quelques extraits :

“Ces plaintes sont contraires à la vérité historique. Elles souillent la mémoire des 1 647 cheminots fusillés ou déportés sans retour, elles effacent le rôle des autorités allemandes, de l’Etat français de Vichy et diluent la responsabilité de ceux qui furent chargés de la déportation des juifs de France. La SNCF était indiscutablement une entreprise publique sous contrôle strict de l’Etat français et des autorités allemandes. Elle était réquisitionnée pour chaque transfert d’internés juifs, comme l’ont été d’ailleurs beaucoup d’individus ou sociétés dont le préfet a réquisitionné les véhicules pour le transfert des juifs arrêtés vers un centre de rassemblement... (...) La réquisition était un acte d’autorité de l’Etat auquel la SNCF ne pouvait se soustraire, ni soustraire les wagons, la locomotive, le chauffeur et son mécanicien. Pour les déportations, les trains étaient considérés allemands... (...) c’est toujours le ministère des transports du Reich qui fournit les trains. Aucun des déportés survivants qui ont relaté leur départ n’a accusé la SNCF ou les cheminots. Ce n’est pas eux qui procédaient à l’embarquement, ni pour les transferts, ni pour la déportation. (...) Dans les témoignages des survivants, les cheminots apparaissent comme ceux qui transmettaient les messages des déportés aux familles. Parfois aussi, ils réussissent à intervenir et à sauver des déportés, comme à Rozan, à Lille le 12 septembre 1942 pour les enfants, ou en août 1944, quand ils parviennent à éviter de mettre à disposition du capitaine SS Aloïs Brunner le dernier train qui aurait pu quitter le camp. Peut-on reprocher aux cheminots de n’avoir point saboté les voies ? C’était courir le risque d’une catastrophe, et pour sacrifier délibérément des vies afin d’en sauver d’autres, encore fallait-il être absolument certain qu’au terminus c’était la mort qui attendaient les juifs déportés. Les cheminots français ne dépassaient pas la frontière franco-allemande. Contrairement à ce qu’affirment les plaignants, la SNCF n’a pas été payée par les Allemands pour la déportation. Déjà, le 15 juin 1942 à Berlin, quand il est décidé à l’Office central de sécurité du Reich de déporter les juifs de France, il est entendu que l’Etat français prendra à sa charge les frais de da déportation. (...) ”


Que Madame Laborde n’aime pas les cheminots, c’est tout à fait son droit. Mais, quand on est journaliste sur une chaîne de télévision du service public, un tel parti pris concernant les actions des cheminots ne pose-t-il pas une question d’objectivité dans la présentation de l’information ? Nous ne polémiquerons pas sur la définition de “l’intérêt public”, ni sur celle des droits liés aux contraintes du service public et à la pénibilité du travail dont bénéficient les personnels mis en cause, un concept que Madame Laborde semble totalement ignorer... tant son aversion pour les “fonctionnaires” est grande ! Mais peut-être cette aversion n’est-elle que l’expression zélée d’un militantisme politique très sarkozyste ? Au moment ou la télévision publique est reprise en main par l’Elysée, ça peut servir ! Nous n’insisterons pas non plus sur la très puissante grève du 18 octobre qui semble être oubliée... Mais que Madame Laborde falsifie l’histoire de la Résistance et traite finalement les cheminots de collabos, c’est totalement inacceptable ! Non Madame Laborde, “les cheminots héros de la Résistance”, ce n’est pas une fiction sortie de l’imaginaire du cinéaste René Clément, et encore moins “une imposture historique extrapolée et véhiculée par les camarades après la guerre”, c’est une réalité reconnue par la plupart des historiens... ainsi que par le Général De Gaulle !

Faut-il rappeler à cette journaliste que la SNCF a été réquisitionnée et mise à la disposition des Allemands par la Convention d’armistice signée par Pétain ? Fau-il lui rappeler que les forces d’occupation étaient physiquement présentes dans toutes les installations importantes de la SNCF et dans tous les trains de la déportation ? Faut-il lui rappeler qu’à chaque prise de service le personnel de conduite était escorté par un ou deux soldats allemands ? Faut-il lui rappeler que tout mécanicien qui refusait de conduire un train de la déportation, comme le fit Léon Bronchart, était licencié ?

Faut-il lui rappeler que les (vrais) syndicats étaient interdits et donc clandestins ? Que toute action de grève était fortement réprimée, les cheminots étant sous la contrainte des lois de la guerre allemandes prévoyant la peine de mort ? Faut-il lui rappeler que Albert Deberdt et Henri Ployat, tous deux militants du syndicat CGT clandestin, ont été fusillés le 15 septembre 1941 à Lille ? Que Jean Catelas, secrétaire de l’Union des syndicats CGT des cheminots du Nord, a été guillotiné le 24 septembre 1941 ? Que parmi les 27 fusillés de Châteaubriant il y avait un retraité cheminot et deux fils de cheminots dont le jeune Guy Môquet ? Que Pierre Sémard, dirigeant de la Fédération des cheminots CGT et administrateur de la SNCF, a été livré par la police française aux allemands et fusillé le 7 mars 1942 ? […] Que Georges Wodli, secrétaire général de l’Union Alsace-Lorraine, a été pendu le 1er avril 1943 dans les locaux de la gestapo à Strasbourg ? Etc... Nous ne pouvons citer tous ceux qui ont payé de leur vie leur engagement dans la résistance, avec 1 647 cheminots assassinés, la liste serait très longue...

Faut-il lui rappeler que, malgré la farouche répression dont ils étaient victimes, bon nombre de cheminots ont participé activement à la résistance et qu’ils ont ainsi désorganisé les approvisionnements allemands ? Faut-il lui rappeler que leurs actions ont permis d’accélérer de manière décisive l’avancée des troupes alliées ? Faut-il lui rappeler que le 10 août 1944, les cheminots ont déclenché la grève insurrectionnelle qui va permettre la libération de Paris... et que cette grève est la seule à être commémorée chaque année le 10 août à l’Arc de Triomphe ? Faut-il rappeler à Madame Laborde que ces actions de résistance des cheminots ont permis à la SNCF d’être la seule entreprise française à recevoir la Légion d’honneur à titre militaire et la Croix de guerre avec palmes ? Certes, il n’est pas question de dire que tous les cheminots étaient résistants ! Comme partout, il y avait des collabos à la SNCF, notamment dans son état major, mais passer de quelques collaborations individuelles à une collaboration collective des cheminots, c’est franchir le pas du détournement de l’histoire ! Madame Laborde oublierait-elle que le patronat français privé, à l’image de Louis Renault, a lui collaboré activement avec l’occupant nazi, fidèle au “plutôt Hitler que le front populaire” cher à la bourgeoisie française ? Oublierait-elle que “seule la classe ouvrière dans sa masse est restée fidèle à la patrie meurtrie” comme l’a écrit François Mauriac ? Par ses écrits, Madame Laborde ne se limite pas à insulter les cheminots, elle souille la mémoire des 1 647 cheminots fusillés ou déportés. Elle occulte totalement le rôle des autorités allemandes et de Vichy comme l’a fort justement rappelé Arnaud Klarsfeld (que l’on ne peut soupçonner d’être “un camarade” !) dans un article du journal “Le Monde” du 6 juin 2006 (voir encadré page présente). Enfin, madame Laborde, ne manque pas d’aplomb quand elle traite les cheminots de privilégiés, alors qu’elle possède un château dans le Gers avec des chambres d’hôtes... que seuls les vrais privilégiés peuvent s’offrir ! [.. .] Le parti pris pour la classe dirigeante et son anticommunisme primaire conduisent Françoise Laborde à une absence totale d’objectivité historique. Avec de tels écrits, elle déshonore la profession de journaliste et le service public. Elle ne mérite que notre mépris. »

Maurice SAMSON (Membre du BN/UFR et représentant retraités au CA/CPRP) »

 
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Notes

[1Ajouté le 25 janvier 2009 à cet article, publié pour la première fois le 28 novembre 2008.

[2Paris, Arthème Fayard, 2008.

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