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Les facéties d’Alexandre Adler : Ouverture de la chasse aux hitléro-trotskistes

par Ugo Palheta,

Voici quelque temps déjà que nous n’avions pas enrichi notre rubrique sur les facéties d’Alexandre Adler qui officie notamment au Figaro et à France Culture, après être passé par Libération, le Matin de Paris, Courrier International, le Point, l’Express, le Monde, Europe 1, RTL, Arte, TV5Monde et Direct8. Son cas personnel – car c’est un « cas » – n’aurait qu’un intérêt marginal si Alexandre Adler n’était pas l’un de ces prédicateurs de l’Eglise médiatique qui dispensent, un peu partout et d’un air pénétré, les mêmes sermons.

Alexandre Adler s’est proposé récemment (dans le Figaro du 4 octobre) d’exorciser le démon qui a pris incidemment ses quartiers dans les entrailles de l’extrême-gauche. Son nom ? Le « social-fascisme à connotations manifestement antisémites ».

Quand le prophète se fait exorciste, sa prose ne saurait prendre une forme autre que celle du « discours d’importance » (pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu [1]), mêlant l’imprécision hautaine du penseur de haut vol à la violence légitime du polémiste de caniveau.

Poses et postures d’un « penseur »

Pour s’arroger la qualité de « penseur », il suffit parfois de simuler la clairvoyance par une sorte de discours sur le discours. C’est ainsi qu’Adler annonce de quel sommet émane sa prédication : « Dans l’accalmie qui sépare le grand cataclysme de Wall Street de ses conséquences macroéconomiques et politiques sur le reste du monde, il est possible de ménager un petit espace à la réflexion politique, un espace nécessairement angoissant  ».

Mais cette lucidité d’apparat n’est qu’un élément du cérémonial auquel se livre notre penseur médiatiquement autorisé. Il lui faut encore assurer préventivement son lecteur d’une profondeur d’analyse qui défie, par avance, toute velléité de contestation. En ce sens (et bien que passablement éculée), la ficelle rhétorique consistant à décréter une (énième) « crise spirituelle » – réputée plus profonde et moins visible, bien entendu, que la crise matérielle – octroie presque instantanément à son auteur un brevet de discernement : « Certes, l’effondrement ne sera pas comparable à celui de 1929 sur le plan matériel. Mais il en va différemment du plan intellectuel où, pour le dire non sans une certaine emphase, sur le plan spirituel  ».

Un tel raffinement prépare nos esprits à accueillir comme il se doit les vérités dont notre penseur est prodigue. Usant du « je » souverain propre aux petits porteurs de prophéties, le devin Alexandre désigne à la vindicte médiatique le danger qui menace et fait déjà le siège du royaume : « Nous sommes à la merci d’un accident économique sérieux, et nous aurons affaire à une poussée populiste et autoritaire de grande ampleur. […] Pour ma part, scrutant l’horizon tous azimuts, je verrais plutôt le danger sur notre extrême gauche que sur notre extrême droite ».

Pompeux et pédant, le prologue se poursuit par une parenthèse qui ne l’est pas moins : « Mais que le lecteur me permette ici un petit excursus par la Vienne de Robert Musil  ». A la lecture, il apparaît que ce « petit excursus » a moins pour fonction de démontrer que de suggérer au lecteur l’autorité du médiacrate, maître d’une large culture et possesseur d’un sens affiné de l’interprétation historique.

Voici le premier terme d’une comparaison qui mérite d’être citée intégralement : « Le grand romancier autrichien nous dépeint une mode particulièrement étrange dans la capitale de l’Autriche-Hongrie, en 1913. Toute la bonne société, intellectuels et artistes notamment, s’enthousiasme, en effet, pour un clochard qui a assassiné quelques prostituées dans le parc du Prater, du nom de Moosbrugger ; tout le monde le trouve étonnamment poétique et audacieux. Musil nous parle de ce fait divers, parce que probablement le meurtrier Moosbrugger a dû partager sa couche, à l’asile de nuit, avec un autre clochard du nom d’Aldolf Hitler qui, lui, n’en restera pas aux prostituées de passage dans l’ambition destructrice. L’enthousiasme pour le petit assassin prépare, comme dans un pressentiment, l’émotion en faveur du grand criminel. »

L’historien prend alors le relais du diseur de bonne aventure, pour proclamer hautement : «  Quelque chose de semblable est en train de se passer en France aujourd’hui. Cela commence par la pâmoison active de certains artistes en faveur de tueurs en cavale, généralement italiens. […] Et voici que l’un des assassins de Georges Besse justifie son action et est admis au nouveau parti anticapitaliste du célèbre affranchi postal, Besancenot ».

Passons sur les calomnies allusives et sur le jeu de mots haineux concernant le métier d’Olivier Besancenot. Ce « quelque chose de semblable », lancé sur le « ton de l’évidence » propre au discours magistral [2] permet subrepticement de faire passer une comparaison sommaire (voire délirante) pour une interprétation audacieuse. Car Adler se moque de la rigueur historienne qui impose de s’interroger longuement sur les conditions d’une comparaison adéquate. Oubliant les préceptes enseignés aux étudiants de première année en histoire, l’agrégé prononce son réquisitoire : le clochard assassin de Musil ce sont ces « tueurs en cavale, généralement italiens » (comprendre : les anciens membres des Brigades rouges) ; la bonne société ce sont « certains artistes », qui tombent en « pâmoison » devant ces « tueurs » ; Hitler c’est Besancenot.

Violence rhétorique du polémiste

Adler s’autorise de cette judicieuse comparaison pour tancer le Parti socialiste, et tout l’objet de cet article tient dans l’injonction : « C’est au Parti socialiste, en première ligne, de réagir énergiquement », pour enrayer la (résistible) ascension du « célèbre affranchi postal ». Voilà notre homme d’Eglise qui devient polémiste fougueux pour l’occasion.

Cela commence par un retour sur Siné à travers un amalgame saisissant. Venant d’évoquer ces « concitoyens » qui « imaginent que le 11 septembre 2001 est le résultat d’un vaste complot dans lequel Ben Laden n’aura été, au mieux, qu’une marionnette manipulée », Adler prend soin de mouiller Siné dans cette théorie du complot : « on n’a pas besoin du nouveau torchon qui se réclame de l’excellent Siné pour comprendre que si complot il y a, ce ne peut être que le fait de l’establishment américain, et bien sûr de ses suppôts juifs, new-yorkais autant qu’israéliens ». On remarquera au passage l’accusation explicite d’antisémitisme qui tient lieu chez Alexandre Adler de quasi-réflexe pavlovien, à tel point que quiconque s’oppose à la politique de l’Etat d’Israël se voit qualifier – selon son origine – ou d’antisémite ou de « traître juif ». Ainsi de Rony Brauman en 2003 : « Au fond, Tariq Ramadan, il n’est ni affreux, ni sympathique. Je suis beaucoup plus choqué par des traîtres juifs comme les Brauman et autres  » [3].

Rappelons, à propos de Siné, ce que notre devin rétrospectif disait de lui le 30 juillet 2008 dans sa chronique du Figaro. Lisant dans les entrailles du présent le retour d’un passé magnifié, il affirmait : «  Le cas Siné est éminemment plus simple, en ce que l’auteur n’a jamais été anarchiste mais bien davantage stalinien endurci . On le retrouve ainsi quasi-éditorialiste graphique de la revue Révolution que le communiste néostalinien d’alors, Jacques Vergès, édite à la fin des années 1950 pour fustiger le XXe congrès du Parti communiste de L’Union soviétique, et exalter la résistance de Mao et de l’Albanais Enver Hodja ». De la part d’un ancien stalinien qui, à la différence de tant d’autres, n’a rien renié, lui, des méthodes staliniennes, l’incrimination est cocasse [4]. Dans ce même article du 30 juillet, il concluait : « Aujourd’hui, on voit en tout cas qui a la trempe d’un Zola, d’un général Picard : c’est Philippe Val. Et qui a la bassesse de Drumont, de Maurras ou de Bernanos : ce sont les pétitionnaires semi-trotskistes en faveur de l’éternel stalinien Siné  ».

Il est des habitudes rhétoriques qu’un retournement de veste ne saurait effacer, et l’identification entre trotskisme et nazisme a tout d’une trope stalinienne. Ainsi, Adler déclare la chasse aux hitléro-trotskistes officiellement (c’est-à-dire médiatiquement) ouverte. Et quand on est un grand chroniqueur, on n’est décidément pas à une injure près : « ils considéreront Besancenot et la théorie de petites brutes imbéciles qui font masse autour de lui comme des représentants plus purs et plus intègres des idées qu’ils défendaient dans leur jeunesse. »

La conjuration d’un péril aussi effrayant rend indispensable la diffamation, puisqu’elle s’avère défensive et… prospective : « Si nous voulons éviter que la crise nous confronte bientôt à un parti social-fasciste de masse, aux connotations manifestement antisémites , c’est au Parti socialiste, en première ligne, de réagir énergiquement ». Et Jupiter tonnant de conclure : « S’il parvient à le faire, il sera peut-être le parti hégémonique de l’après-crise. S’il manque à son devoir [c’est-à-dire au devoir que lui assigne Alexandre Adler], l’explosion est à brève échéance  ».

Un tel discours et de telles calomnies auraient sans doute peu de chances de recevoir l’assentiment des responsables de rédaction si Alexandre Adler n’était la grosse caisse d’un orchestre interprétant la même partition un peu partout. Comme si la liberté d’expression de chacun (que nul ne conteste) devait faire oublier qu’ensemble ils réduisent à un quasi-silence des adversaires qu’ils traitent en ennemis. Où sont les droits de réponse ? Quels sont les chroniqueurs-présentateurs-animateurs-interviewers qui ne laissent pas entendre, le plus souvent sur un mode mineur, ce qu’assène l’officiant du Figaro et de France Culture ? Force est de constater qu’ils brillent par leur quasi-absence dans les grands médias. Vous avez-dit « pluralisme » ?

Ugo Palheta

N.B. Futurologie Adlérienne : Prophète à courte vue, Alexandre Adler annonce la veille… ce qui ne se passera pas le lendemain. Ainsi, dans sa chronique du Figaro (29-30 septembre 2007), notre expert favori en géopolitique prophétisait : « Les États-Unis s’acheminent vraisemblablement vers un conflit entre les deux candidats de New York, Hillary Clinton et Rudy Giuliani, l’une ayant soutenu initialement la guerre contre l’Irak, l’autre acceptant en matière de mœurs l’essentiel du programme démocrate. » Alors que Giuliani s’est retiré au profit de John McCain, et que les primaires démocrates ont déjoué les prévisions d’Alexandre Adler : Barack Obama a devancé Hillary Clinton [5].

 
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Notes

[1Voir P. Bourdieu, « Le discours d’importance. Quelques remarques critiques sur ’’Quelques remarques critiques à propos de Lire le Capital’’ », in Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001 [1975].

[2« Le discours magistral se professe sur le ton de l’évidence. […] Un discours qui cumule deux principes de légitimation : l’autorité universitaire et l’autorité politique » (Bourdieu, p. 390). Encore faudrait-il ajouter un troisième principe de légitimation : l’autorité médiatique.

[3www.proche-orient.info, 14 octobre 2003.

[4En effet, qui sait aujourd’hui – notamment après ses gesticulations en faveur des guerres d’Afghanistan et d’Irak – qu’Alexandre Adler fut dans les années 1970 professeur à l’école centrale du PCF et rédacteur en chef adjoint de la revue La Pensée (liée au PCF) ?

[5Facétie publiée dans Le Plan B.

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