Accueil > Critiques > (...) > 2007-2008 : un « nouveau » traité européen

Tribune

Non à la souveraineté du peuple irlandais

Nous publions ci-dessous, sous forme de tribune [1], un article paru sur Charlie enchaîné : un site consacré aux hebdomadaires satiriques paraissant le mercredi, Charlie Hebdo et Le Canard enchaîné. Les textes qui y sont publiés
n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement
l’opinion des deux hebdomadaires. (Acrimed)

Un premier sondage place le « non » en tête pour le prochain référendum sur le traité européen de Lisbonne en Irlande. Trois journalistes de France Inter en chœur : « Non au non ! »

Tour de chauffe

« L’Europe à nouveau menacée de crise  » annonce en ouverture du journal de 8 heures de France Inter Patrick Cohen, par ailleurs rédacteur en chef de la tranche matinale de la station de service public. Quelle nouvelle « crise » menace donc ainsi l’Europe, ce vendredi 6 juin à 8 heures du matin ? « À une semaine du référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, le “non” passe en tête dans les sondages ». Ça ne vous rappelle rien ? «  Scénario catastrophe qui mettrait par terre dix ans de négociations institutionnelles et qui fait trembler les autres capitales européennes » [2]. L’auditeur français tremble avec le reste de l’Europe.

Quelles sont donc les motivations des électeurs irlandais ? Qu’est-ce qui les pousse, aujourd’hui, à privilégier le rejet du traité de Lisbonne alors que jusqu’à présent ils semblaient l’accepter ? De tout cela, nous n’en saurons rien. En revanche, on apprend que l’Irlande pourrait être le « nouveau grain de sable de l’Europe institutionnelle » car « à quelques jours du référendum organisé [là-bas] pour la ratification du traité de Lisbonne — c’est obligatoire dans ce pays , et ce sera jeudi prochain  —, voici LE sondage qui change tout : première enquête d’opinion à donner le “non” gagnant ».

Ne cherchez pas d’autres informations que 1) le référendum est « obligatoire dans ce pays » 2) la consultation se tient « jeudi prochain », il n’y en a pas. Pourquoi cette obligation référendaire ? Parce que [3]. Qui a réalisé ce sondage et dans quelles conditions ? C’est un sondage, point. Et... « ce sondage est très inquiétant pour le traité de Lisbonne », affirme Hervé Amauric, le correspondant de Radio France en Irlande. Le journaliste cite-t-il un responsable politique irlandais partisan du « oui » au référendum ? Non, il émet simplement son opinion.

En direct de Dublin

Ce sondage « reflète une tendance évidente désormais dans les débats publics en Irlande ». Des précisions sur la teneur de ces débats ? Aucune. « Malgré les efforts de 95% des élus [à la louche ?] qui font campagne pour le “oui” à travers le pays, le “non” est en pleine croissance, il dépasse le “oui” dans les sondages pour la première fois ce matin, et de plus de 5%. » Quel(s) sondage(s) au fait ?

« De plus, à une semaine du vote, 35% des Irlandais restent indécis ou n’iront pas voter, ce qui est un avantage pour le camp du “non”, tous les analystes s’accordent pour le dire. » Ça semble vraiment mal barré. Pourtant, « les trois principaux partis [lesquels ?] du pays ont pourtant joint leurs efforts : ils ne parlent plus que d’une seule voix dans les conférences de presse. » Étranges consensus qui donnent une impression de « déjà vu »...

Le sondage-qui-n’a-pas-de-nom, après vérification, a été publié le vendredi 6 juin par le principal quotidien irlandais, The Irish Time. On peut le consulter en ligne [4]. Cette enquête d’opinion a été réalisée auprès d’« un échantillon représentatif de 1000 personnes en face à face » à travers tout le pays [5]. Le journal irlandais précise que les interviews ont été effectuées en pleine controverse autour de négociations agricoles avec l’OMC. L’engagement pour le « oui » de l’association des fermiers irlandais était conditionné à une promesse du Premier ministre Brian Cowen de faire usage de son véto si l’accord discuté ne satisfaisait pas les exigences du lobby [6].

Atterrissage à Bruxelles

Le correspondant de France Inter mélange allègrement les indécis et les abstentionnistes, tout en employant un futur péremptoire. Selon le sondage, 28% des électeurs seraient indécis (en baisse de 12 points) tandis que 7% s’abstiendraient. Répétons-le : ces informations ? et bien d’autres (sociologie des intentions de vote, répartition en fonction des préférences partisanes, etc.) ?, que l’on a pu trouver ici ou ailleurs sur Internet, étaient vérifiables (et largement mises en valeur, voir ci-dessous) sur le site de The Irish Time. Mais on ne les a pas entendues sur la radio de service public [7], qui est allée directement à l’essentiel : l’Europe du « oui » au traité de Lisbonne est en péril.

Patrick Cohen reprend la parole. « Les autres capitales européennes retiennent leur souffle . Quinze États membres ont déjà ratifié le traité, dont la France, par la voie parlementaire  ». Les quinze pays ont eu recours à la voie parlementaire, ou bien seulement la France ? L’ambiguïté ne sera pas levée. Il y a une question bien plus grave : « Si le “non” l’emporte en Irlande et que le traité de Lisbonne est ainsi rejeté, que se passe-t-il, est-ce qu’il y a un plan B ? » Que nenni !, on en reste au « traité de Nice, (...) l’acquis communautaire, c’est-à-dire la montagne de textes réglementaires adoptés depuis 56 ans », répond Quentin Dickinson en direct de Bruxelles.

Le préposé aux affaires européennes de Radio France, sournois, lâche par la suite que, dans le contexte actuel, « on devrait observer une certaine réserve des milieux financiers internationaux à investir en Irlande ». Mais ce chantage économique n’est rien à côté de ce qui attend les Irlandais s’ils demeurent réticents au traité de Lisbonne : leur pays subira soit « une explication de texte et de gravure », soit — soyons fou — « un sortie pure et simple de l’Union ». Mais surtout — le meilleur pour la fin —, « ce qui marque (...) la différence avec les “non” français et néerlandais  [8] à la Constitution, c’est que personne [à Bruxelles] ne pense sérieusement que la moitié des électeurs d’un État de 4 millions d’habitants puisse empêcher d’agir les 450 millions de citoyens de 26 autres pays ». D’ailleurs, si on leur demandait leur avis par référendum, « les 450 millions de citoyens de 26 autres pays » voteraient tous « oui » au traité de Lisbonne. Sérieusement.

Jeddo

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’Association Acrimed, mais seulement leurs auteurs.

[2Les fichiers sons et les images sont disponibles sur la page de l’article ici-même.

[3À ce propos, la palme de la désinformation est décernée à l’agence suisse (pays pourtant hors Union) Swiss TXT, repris par tsr.ch, pour cette sentence : « L’Irlande est le seul État membre de l’UE à avoir opté pour la ratification par voie référendaire du traité de Lisbonne. » Ça tombe plutôt bien, étant donné que c’était prévu par la Constitution irlandaise...

[4On pouvait : lien périmé (note d’Acrimed, août 2010).

[5« The poll was conducted last Tuesday and Wednesday among a representative sample of 1,000 voters in face-to-face interviews at 100 sampling points in all 43 constituencies. »

[6« It was taken in the middle of the controversy over the World Trade Organisation talks. That issue came to a head on Tuesday afternoon with the announcement by the Irish Farmers Association that it would support a Yes vote following the declaration by the Taoiseach, Brian Cowen, that he would use the veto to block any deal unacceptable to Ireland if the issue was put to a vote. »

[7En tout cas, pas au journal de 8 heures.

[8Ironie du sort, les députés néerlandais ont approuvé le traité européen de Lisbonne le même jour que la parution du sondage irlandais. Le Parlement français l’avait ratifié le 8 février dernier.

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