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David Pujadas et la grève de la Fonction publique : service public ou service de substitution ?

par Henri Maler, Jamel Lakhal,

Comment informer sur une grève en effaçant le conflit entre les grévistes et le gouvernement ? En accordant la priorité de l’information à la mise en place par ledit gouvernement d’un service de substitution dans Ecoles, assumé par des agents municipaux, mais frauduleusement appelé « service minimum ». Cela au moins, c’est « nouveau ».


I.
« Mais d’abord la nouveauté »
- JT de France 2, 20h, 23 janvier 2008, veille de la grève

Dès l’annonce des titres, la grève et le service de substitution sont mis sur le même plan par David Pujadas « La grève des fonctionnaires s’annonce très suivie, demain, notamment dans les écoles. Le service minimum, testé pour la première fois dans près de 2.000 communes, provoque la controverse. »

Le J.T s’ouvre sur le « rapport Attali », résumé en 8 secondes, suivi d’un reportage sur « la colère des taxis » à propos de la libéralisation proposée par le rapport (1mn et 50s), puis d’ un reportage sur « le trouble » qu’il sèmerait (1mn et 50s). Enfin, « Jacques Attali est notre invité » (pendant 4 mn). Quelques secondes sur « l ’agitation » » boursière. Vient alors le moment d’aborder la grève de la fonction publique.

David Pujadas : « Une grande journée d’action dans la fonction publique demain. Les agents sont appelés à la grève pour le pouvoir d’achat et les effectifs. On va y revenir dans un instant sur les mobiles du mouvement. Mais d’abord, la nouveauté en ce qui concerne en particulier l’Education, pour la première fois, le service minimum à l’école sera expérimenté dans les communes qui le souhaitent. C’est le cas à Marseille. » Une grève de la fonction publique, ce n’est pas une « nouveauté ». Place donc à la « nouveauté » : un service de substitution présenté, sans le moindre recul, comme un service minimum. Cela mérite bien deux reportages.

 Premier reportage, à Marseille, donc. C’est parti pour 1 mn et 50s environ.

- Femme : - « Une garderie est organisée dans l’école le jeudi 24 janvier … »
- Voix-off : - « A priori, les parents de cette école maternelle ont fait une bonne pioche. Même si cela laisse les bout-de-choux quelque peu perplexes, une garderie sera assurée demain alors que les enseignants seront en grève. »
- Femme : - « Ça arrange en fait les parents qui travaillent »
- Homme 1 : - « Et j’espère que ça va fonctionner correctement et que ça va mettre en place quelque chose de nouveau. »
- Homme 2 : « C’est bien pour les parents qui travaillent, mais c’est vrai que ça touche le droit de grève donc, c’est vrai que c’est un peu embêtant. ». Une objection fugitive, avant l’information qui concerne 10 écoles… sur 465 ;
- Voix-off : - « À Marseille, le service minimum s’appliquera dans un minimum d’écoles, 10 sur 465. Dix écoles choisies parmi celles qui restaient fermées. Les enfants seront gardés par des animateurs et des agents de la ville qui s’occupent normalement de l’entretien ou des cantines. »
- Marie-Louise Lota [Adjointe au maire chargée de l’Education] : - « Dans ces dix écoles, il y a du personnel non gréviste qui va intervenir et nous n’accueillerons effectivement qu’une cinquantaine d’enfants pas plus. Et, le choix ça sera fait quand les deux parents travaillent, ils ont plus de possibilité d’avoir des jours de congé ou quand ce sont des familles monoparentales. »
- Voix-off : - « Le test du service minimum à Marseille n’est pas au goût des agents territoriaux qui y voient un croche-pied fait aux enseignants. ». Une question de goût, en effet…
- Patrick Rué [FO – Agents territoriaux] : - « On n’est même pas dans le cadre d’un service minimum. On est là dans le cadre d’un service de substitution. Le service minimum, si ça devait exister, il aurait été effectué par les enseignants. Là, ce n’est pas du tout le cas. ». Et on enchaîne sur un dernier commentaire qui neutralise le précédent :
- Voix-off : - « Côté casse-croûte, ça sera aussi le service minimum demain car il faut savoir que la grève touche aussi la cantine. Les parents sont donc invités à prévoir un repas froid pour leurs bambins. » C’est ce que l’on appelle une conclusion…

David Pujadas enchaîne : « On l’a compris : cette idée de service minimum à l’école ne fait pas l’unanimité [sic] D’ailleurs, la quasi-totalité des municipalités, dirigées par la gauche, ne souhaitent pas s’y associer. »

 Et c’est parti pour un deuxième reportage d’1mn 30 environ, dans la région parisienne.

- Voix-off : - « Des affichettes comme celle-là, il en fleurit beaucoup ces derniers jours sur les portes des écoles parisiennes. Si tous les enseignants d’un même établissement sont en grève, pas question d’accueillir les enfants. A Paris, le service minimum on y est opposé, question de principe. »
- Eric Ferrand [Adjoint au maire de Paris chargé des affaires scolaires] : - « Le droit de grève est un droit constitutionnel et donc nos fonctionnaires municipaux n’ont pas vocation à casser la grève des enseignants. »
- Voix-off : - « Même son de cloche à deux pas de Paris, dans la ville communiste d’Ivry. Le service minimum ne sera pas mis en place. Ici on s’inquiète aussi des questions de responsabilité. »
- Pierre Gosnat [Député-maire d’Ivry-sur-Seine] : - « Si demain il y a des enfants qui sont accueillis par du personnel communal donc dépendant du maire et qu’il y a un accident, c’est pas Monsieur Darcos qui sera responsable, c’est la maire d’Ivry ou c’est la maire de Paris ou c’est le maire de n’importe où et donc ça c’est inacceptable. »
- Voix-off : - « Une journée bien chargée pour Violaine demain. En plus de ses trois enfants, cette maman parisienne gardera aussi ceux de ses amis. Faute d’un service minimum, c’est à la maison qu’il se fera. »
- Violaine Higueras [Parent d’élève] : - « Je ne vais rien faire de scolaire mais je vais faire, bon, on va essayer qu’il soit heureux demain. »
- Voix-off : - « D’après les syndicats, un enseignant sur deux devrait être en grève demain. Quand au service minimum, il ne sera assuré que dans 10% des communes ayant au moins une école. »

Certes, dans le format court des reportages, on a pu entendre en quelques phrases, plus ou moins noyées dans les commentaires, les oppositions aux mesures ministérielles. Des explications plus précises ? Il faudra attendre… la venue du Ministre…

… Puisque le moment est venu de parler – un peu - de la grève. Ce que le site de France 2 présente ainsi : « Grève fonction publique : ce que veulent les syndicats » On ne va a pas être déçus…

La séquence est expédiée en 1 mn 40 environ. David Pujadas présente : « Un enseignant sur deux en grève, ce sont donc les prévisions. Le mouvement, on l’a dit, concerne l’Emploi et le pouvoir d’achat. Les syndicats protestent notamment contre la faible augmentation générale des salaires en 2007. Ils parlent de "dégradation continue". » Quant à expliquer en quoi consistent exactement les revendications et sur quel diagnostic, elles se fondent, cela ne concerne pas le présentateur. Un reportage à Lyon devrait suffire.

- Voix-off : - « À la virgule près, le salaire est identique depuis trois ans. Jean-Louis Perez est professeur de philosophie dans un lycée public. A 31 ans, après 8 ans de carrière, il gagne un peu moins de 1 700 euros par mois. »

- Jean-Louis Perez [Professeur de philosophie, SNES] : - « Chaque année, il y a environ 1,5 ou 2% d’inflation et nos salaires ils sont augmentés de 0,2% ou de 0,5% au mieux. Ce qui fait que chaque année, année par année on perd du pouvoir d’achat, on perd de l’argent. »
- Voix-off : « En tenant compte de l’inflation, les enseignants ont perdu 20% de pouvoir d’achat depuis 1982. Un professeur qui début aujourd’hui n’a pas les mêmes moyens financiers que s’il avait démarré sa carrière il y a 25 ans. Symptomatique, le problème du logement. Jean-Louis Perez est locataire. Il a envisagé d’acheter un appartement sur Lyon, 150 000 euros environ, mais il a du renoncer. »
- Jean-Louis Perez : - « Concrètement, un prof comme moi à Lyon, il ne peut pas acheter un deux pièces actuellement. Et quand on va voir un banquier qu’on lui propose, qu’on lui demande de faire un crédit, il nous répond que sans apport personnel, et sans apport personnel important, 40 000 euros, 50 000 euros, et ben, on ne peut pas envisager d’acheter. »
- Voix-off : - « On compte un peu plus de 860 000 enseignants en France, presque un cinquième des 5 millions de fonctionnaires que compte le pays. Seule possibilité dans le monde de l’éducation d’augmenter son salaire : faire des heures supplémentaire. Jean-Louis Perez, lui, s’y refuse pour l’instant car il estime qu’il ne pourrait pas offrir la même qualité d’enseignement s’il avait plus d’heures de cours à assurer. »

Un témoignage individuel, certes éloquent, en guise d’explication.. Bilan : plus de 3 mn 20 sur le service de substitution, 1 mn 40 sur la grève et ses motifs. Le conflit avec le gouvernement ? Effacé

À demain…

II. «  Xavier Darcos, Ministre de l’Education nationale, est avec nous »
- JT de France 2, 20 h, 24 janvier 2008, jour de la grève

Le lendemain, donc, le J.T s’ouvre sur l’ « escroquerie » à la Société générale, pour une durée de 7mn 10 s. Soit. Mais sur la grève ? Dès l’annonce des titres, la grève et le service de substitution sont mis sur le même plan, par David Pujadas : « La grève des fonctionnaires a été moyennement suivie, sauf chez les enseignants fortement mobilisés... Un peu plus de 2.000 communes ont testé le service minimum dans les écoles. » Et quand vient le moment d’aborder le sujet, le bilan est rapidement établi par notre synthétique présentateur : « Autre titre de l’actualité, la nouvelle journée de grève des fonctionnaires. Elle a été globalement moins bien suivie que la précédente, il y a deux mois. En moyenne, 20% de grévistes, selon le ministère de la Fonction Publique, mais une forte mobilisation des enseignants. Des manifestations étaient également organisées un peu partout... »

Pour en parler malgré tout, et en dépit des chiffres du Ministère, un reportage suffira…

- Voix-off : - « Ils donnent le tempo et battent le pavé. 17 000 selon la préfecture, le double selon les syndicats et sur toutes les lèvres les mêmes revendications. »
- Manifestant 1 : - « Je suis infirmier en psychiatrie à Sainte-Anne et si on est là, c’est pour se battre contre la privatisation aussi de l’hôpital et des services publics. »
- Voix-off : - « Majoritaires dans les cortèges, les enseignants. Un sur trois était aujourd’hui en grève selon le gouvernement, presque un sur deux pour les organisateurs. Dans la rue un seul credo : la hausse du pouvoir d’achat. »
- Manifestant 2 : - « Les prix explosent. On voit bien chaque matin où on achète un litre de lait, on va bien qu’il a augmenté par rapport à la veille. Donc, c’est normal d’augmenter nos salaires. C’est une juste revendication. »
- Voix-off : « En tête du défilé, les leaders syndicaux et un même écho : rehausser les salaires pour augmenter le pouvoir d’achat. »
- Bernard Thibaut [Secrétaire général de la CGT] : - « Il faut reconnaître le travail. Il faut rémunérer le travail, rémunérer la qualification. Il y a beaucoup de retard qui a été pris dans notre pays. A ce propos, il est temps que ça soit à l’ordre du jour. »
- Gérard Aschieri [FSU] :- « On est assuré que les salaires vont continuer à baisser en valeur relative et ça ce n’est pas acceptable. »
- Voix-off : - « Le gouvernement a proposé une augmentation de 1% du point d’indice au 18 février prochain, un peu plus que l’année dernière, mais pas encore assez pour les manifestants. »

Négligence, désinvolture ou parti-pris ? Que signifie cet « encore » ? Ce n’est tout simplement pas assez, du moins « pour les manifestants ». Heureusement, David Pujadas complète : « Images des autres manifestations dans les régions... A Lyon, le cortège a regroupé entre 7 et 10.000 personnes... Gros écart de chiffrage à Marseille où les manifestants étaient entre 5.400 et 15.000 selon les sources... Même ordre de grandeur à Bordeaux... entre 6.500 et 15.000 personnes... » La routine, quoi. Vient alors le moment d’aborder la « nouveauté » !

La séquence consacrée à la grève aura duré 2 mn et 15 s. environ. La suivante consacrée au service de substitution (interview du Ministre incluse) va durer… 5 mn 10

David Pujadas : - « Alors, on le disait, les enseignants étaient les plus mobilisés. Le ministère a compté près de quatre grévistes sur dix ... les syndicats : plus d’un sur deux. Une journée test aussi pour le service minimum dans le primaire, on en a déjà souvent parlé. Pour la première fois, les élèves pouvaient être accueillis dans certaines écoles, en cas de grève des professeurs.

Reportage « avec notre bureau de Lille »

- Voix-off : - « A pied, sur le dos ou à vélo, qu’importe, la préoccupation des parents ce matin, faire garder son enfant. Pas de casse-tête pour ceux-là, tous les enseignants de l’école ont beau être en grève, l’accueil est quand même assuré. Nous sommes à Boulogne-Billancourt et la commune UMP a mis en place un service minimum. Plus de 70% des enfants sont présents. »
- Femme : - « J’ai pas des vacances ou des RTT à prendre tous les jours à chaque fois qu’il y a une grève, donc, non, je ne me sens pas casseuse de grève du tout. »
- Voix-off : - « Boulogne-Billancourt pratique le service minimum en cas de grève de profs depuis près de 10 ans. La nouveauté, c’est la subvention que touchera la municipalité, financée par les retenus sur les salaires des grévistes. »
- Pierre-Mathieu Duhamel [maire de Boulogne-Billancourt (UMP)] : - « Le principe même de la grève, vous le savez, c’est que dès lors que le service n’est fait, ça vaut dans le service public, mais ça vaut dans les entreprises, celui qui ne le fait n’est pas payé. Donc, c’est vrai que c’est une économie pour l’état. »
- Voix-off : - « Mais, Boulogne une exception. La majorité des communes a fonctionné sans service minimum comme ici à Lille. L’accueil est assuré par les non grévistes. Les agents de service, eux sont en grève. Résultat, à la cantine ce jeudi c’est pique-nique. »
- Fille : - « On a le droit de manger ce qu’on ne mange pas à la maison, comme des chips, des trucs comme ça. »
- Voix-off : - « Et quand les écoles sont complètement fermées, comme ici à Paris, pour les parents c’est le système D. Cette maman a fait garderie chez elle toute la journée. »
- Cécile Cailles [Parent d’élève] : - « C’est l’idée du service minimum qui m’a donné l’idée de proposer de garder les enfants. Mais la prochaine je préfère faire à l’école parce que les structures sont plus adaptées et c’est plus simple. »
- Voix-off : - « L’heure maintenant est au bilan. Pour faire passer le service ministre, le ministre se dit prêt à aller plus loin. Une loi pourrait être envisagée. »

 Enfin le Ministre vint. Et Pujadas l’accueillit :

- « Alors succès ou échec pour le service minimum, Xavier Darcos, Ministre de l’Education nationale, est avec nous. Bonsoir, Xavier Darcos. »

- Question 1 : - « Quel bilan tirez-vous de cette journée ? » Le bilan dont il s’agit ne concerne pas, mais pas du tout, la grève et les revendications des grévistes, mais seulement le service de substitution. Il suffit de mentionner les questions posées par David Pujadas, en nous privant des réponses du Ministre, pour le vérifier : aucune ne porte sur l’emploi et le pouvoir d’achat.

- Question 2 : - « Certains, vous l’avez entendu, parlent de briseurs de grève. Que répondez-vous ? »
- Question 3  : - « Alors, vous avez évoqué, il y a quelques jours, même l’idée d’aller plus loin en demandant aux enseignants grévistes de se signaler 48 heures à l’avance pour pouvoir prendre les dispositions. Est-ce que votre décision est prise ? »
- Question 4 : - « Une loi. Quand pourrait-elle être votée, donc d’ici à l’été ? Vous parlez de deux mois encore de délai ? »
- Question 5 : - « Un dernier mot Xavier Darcos.Traditionnellement, il y a toujours cette querelle des chiffres, source syndicale, source ministère. Est-ce qu’il n’y a pas moyen d’y mettre fin, une comptabilisation ? Est-ce que vous envisagez quelque chose là-dessus ? »
- Et pour finir : - « Merci Xavier Darcos d’avoir répondu à notre invitation. »

Merci France 2 d’avoir offert, globalement, un second service de substitution : de la communication gouvernementale à l’information.

Jamel Lakhal et Henri Maler

 
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