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Procès : Laure Adler, ex-patronne de France Culture, contre un auditeur récalcitrant

Vendredi 8 juin 2007 à 13h30 à la 17ème chambre correctionnelle s’est tenu le procès de Radio France et Laure Adler - directrice de France Culture de 1999 à 2005 - contre Antoine Lubrina, président du Rassemblement des auditeurs contre la Casse de France Culture (RACCFC). Prétexte du procès : un dessin satirique, évidemment discutable, représentant plusieurs Laure Adler portant des pancartes, dont l’une mentionne le titre du livre de Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs [1]. Injure ? Outrage ?

L’audience du 8 juin est le dernier épisode en date d’une stupéfiante « affaire » à laquelle nous avons déjà consacré les articles suivants : « Laure Adler porte plainte pour injure » et « Libres de caricaturer Mahomet, mais pas Laure Adler ? ».

Compte-rendu [2] partiel - et certainement partial - d’une audience où Laure Adler, chargée par Olivier Py de préparer le quarantième anniversaire de Mai 68 à l’Odéon en 2008, ne s’est pas interdit de tenter d’interdire... la liberté d’expression.

Le président résume les faits. Antoine Lubrina évoque son parcours d’instituteur pour les prisons, nourri par France Culture et transmettant cette culture aux prisonniers. Puis il retrace l’historique du Rassemblement qu’il préside et de sa lutte contre « la casse de France Culture » en soulignant que son but n’a jamais été de s’en prendre à des personnes en tant que telles, mais à une orientation. C’est pourquoi, à propos du dessin incriminé, il a patiemment expliqué que Vivre et penser comme des porcs est un livre qui dénonce la marchandisation du monde et le décervelage et que c’est à ce livre et à sons sens que faisait référence le dessin : un livre connu des adhérents du RACCF puisqu’il avait fait l’objet d’une critique dans le bulletin précédent celui où est paru le dessin litigieux.

Laure Adler explique qu’elle a porté plainte en tant que femme blessée, diffamée, harcelée, mais aussi comme mère de famille qui a tout fait pour que ses filles de 10 et 12 ans ne tombent pas sur ces caricatures (celles qui sont à l’origine du procès n’ont été diffusées qu’à quelques dizaines d’exemplaires...) et que c’est pour cette raison qu’elle est restée plusieurs années sans porter plainte. Elle soutient qu’Antoine Lubrina a empoisonné sa vie personnelle et professionnelle pendant des années. Comment ? On ne le saura guère et pour cause... Ce qu’elle semble mettre en avant ce sont les effets des droits de protester, de pétitionner et de se rassembler pour dire son mécontentement... sur lesquels, malgré la plaignante, il ne semble pas que le Tribunal ait l’intention de revenir... Laure Adler donne un exemple de ce « harcèlement » : chaque fois qu’elle organisait une rencontre, comme il lui est arrivé de le faire à l’Odéon par exemple, les RG lui téléphonaient (sic !) pour l’avertir qu’elle serait attaquée par des agitateurs.

Jean-Paul Cluzel apporte alors son témoignage en déclarant qu’il a immédiatement soutenu la démarche de Laure Adler, après avoir vu le dessin punaisé dans le hall de Radio France. Mais il est amené à reconnaître que, compte tenu des mesures de sécurité prises en raison du plan Vigipirate, on pouvait difficilement accuser le RACCFC d’avoir affiché lui même dans le hall le dessin qui l’a tant émue. Il est vrai que Laure Adler se plaint que les syndicalistes aient joué le rôle d’informateurs du RACCFC. Ah ! Les syndicats !

Jean-Paul Cluzel affirme que le dessin est sexiste et injurieux. On entendra l’avocat de Radio France renchérir en prétendant que Laure Adler est représentée comme une prostituée avec minijupe, décolleté pigeonnant et maquillage grossier. Le même soutiendra que « porcs » est un mot injurieux, en omettant simplement de relever que le dessin ne le destine pas à Laure Adler... Curieux de tout dès lors qu’il est question de culture, prétendant établir l’injure en plaidant l’ignorance : selon lui Vivre et penser comme des porcs est un livre à petit tirage que ni lui, ni Laure Adler, ni son avocat ne connaissaient. Un prochain dessin pourra donc citer Les précieuses ridicules ou Le Bourgeois gentilhomme puisque leur tirage depuis la mort de Molière a dû être suffisamment conséquent pour qu’on puisse les mentionner sans injurier personne. Ami des chiffres, Jean-Paul Cluzel a salué aussi la montée d’audience de France Culture sous la direction de Laure Adler de 400.000 à 600.000 auditeurs. Antoine Lubrina lui répondra (sans crainte de l’offenser ?) qu’on pouvait toujours augmenter l’audience de l’Opéra en y invitant Johnny Hallyday et Sylvie Vartan mais que ce n’était pas la mission de l’Opéra.

Le procureur tente de recadrer les débats sur le plan juridique, en rappelant que le sexisme et le harcèlement, invoqués par les plaignants, ne sont pas l’objet de la plainte. A ses yeux la seule question qui se pose est de savoir si Antoine Lubrina a laissé imprimer « Vivre et penser comme des porcs » sur un dessin comme une allusion à un livre connu de critique de la société ou dans l’intention délibérée d’injurier Laure Adler.

L’avocat d’Antoine Lubrina, Maître d’Antin, dans sa plaidoirie évoque longuement l’orientation prise par France Culture et les réformes brutales imposées par Laure Adler et explique qu’Antoine Lubrina, auditeur passionné de France Culture, blessé par ces réformes, n’était pas un hurluberlu isolé puisque plusieurs pétitions avaient témoigné de la même indignation et que de nombreux intellectuels, comme Pierre Bourdieu, avaient également protesté.

Quant au dessin, l’avocat souligne qu’il lui paraissait plutôt bon enfant, si on le compare à toutes les affaires qu’il a connues. Laure Adler n’est en aucun cas représentée sur ces dessins comme une prostituée, mais comme une jeune femme pétillante et « branchée ». S’il y avait eu volonté de l’insulter, dit-il, elle aurait été présentée elle-même comme une truie. Mais surtout, insiste l’avocat, quand il est question de culture, la liberté d’expression doit être maximale : la culture est souvent le produit d’œuvres scandaleuses. Il serait donc paradoxal qu’une station comme France Culture qui défend la liberté d’expression des artistes porte plainte contre la liberté d’expression d’une caricature. Au passage, l’avocat indique que Vivre et penser comme des porcs n’est pas un livre inconnu puisqu’on trouve 162.000 occurrences sur Google et souligne, non sans malice, que sur le site de la FNAC, la présentation du livre cite longuement «  La revue de presse de Radio France ».

Le jugement sera rendu le 7 septembre. Tous les dessinateurs et journalistes qui s’étaient mobilisés pour défendre le droit de caricaturer Mahomet retiennent leur souffle... et leurs protestations. Et Laure Adler se prépare à célébrer quelques slogans de mai 68 en matière de liberté d’expression.


Post-Scriptum : Le pire n’est pas toujours sûr.

La preuve : Libération, dans son édition du 12 juin, a publié un long article d’Edouard Launet intitulé « Laure Adler ne goûte pas la caricature ». On y trouve des précisions qui manquent aux nôtres. Mais surtout Libération publie le dessin incriminé et permet ainsi aux lecteurs d’en mesurer l’innocuité. On attend avec intérêt les réactions des autres médias, en particulier de ceux qui, à la différence de Libération, disposent d’une émission sur France Culture. (Complément ajouté le 13 juin 2007)

 
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Notes

[1Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, Exils éditeur, avril 1998, 152 pages

[2Repris de celui de Paddy, publié sur le Forum du site Défense de France Culture (lien périmé, janvier 2011).

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