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PRESIDENTIELLE 2007

Le sacre du 6 mai (1) : Suspense et dramatisation

Oublions TF1 et quelques autres chaînes de télévision.... Et gardons le souvenir de quelques figures de l’information-spectacle sur France 3 et sur France 2 dans l’attente du résultat sondé du second tour de l’élection présidentielle. De bien mémorables moments de service public...


Un événement historique

Ce n’est en rien minimiser l’enjeu de l’élection présidentielle que de souligner que la dramatisation est une composante du suspense qu’il faut entretenir jusqu’à 20 heures.

Sur France 3, à 18 heures 40, Louis Laforge, prépare le suspense à sa manière : « Nous allons vivre jusqu’à fort tard, cet évènement historique forcément historique.  » A la première reprise d’antenne à 19 heures 30, Louis Laforge renchérit : « Merci d’avoir choisi France 3 pour vivre cet évènement historique qu’est l’élection présidentielle. [...] Nous vous invitons à nous suivre jusqu’au bout du suspense pour avoir le résultat à 20 heures. » A 19 heures 57, Louis Laforge nous ressort sa grandiloquence en remerciant les invités de «  vivre cette soirée historique en direct sur France 3 avec nous. » A 19 heures 59 minutes et 27 secondes, suspense oblige, Louis Laforge assène de nouveau : « C’est un évènement historique que vous vivez en direct avec nous sur France 3. » A 20 heures 01, une fois le résultat officiellement divulgué, il répète : «  Nous allons nous remettre de nos émotions, nous venons de vivre Roland Cayrol, un moment historique, très fort, Nicolas Sarkozy est élu Président de la République. » Enfin, pour conclure la soirée à minuit 40, il déclame : « Voilà, c’est la fin de cette longue soirée au cours de laquelle nous vous avons présenté l’évènement historique  : la victoire de Nicolas Sarkozy. »

Des dispositifs exceptionnels

A situation « exceptionnelle », dispositifs exceptionnels.

Sur France 3, Louis Laforge explique dès les premières minutes d’antenne : « Pour vous donner le maximum d’estimations, de résultats, d’informations, toutes les équipes sont bien sûr mobilisées ici sur le plateau avec le service informatique [dont on voit les personnes à l’écran]. [...] Ce soir nous serons en direct d’une quinzaine de points, de lieux stratégiques, notamment les endroits où les deux finalistes vont retrouver leurs militants, leurs supporters. »

Audrey Pulvar rappelle que le chaîne est toujours à la pointe de l’innovation, avec un dispositif interactif : « Une fois de plus, France 3 vous propose, vous téléspectateurs, d’intervenir dans cette grande soirée politique ; envoyez-nous vos photos, vos films réalisés sur vos téléphones portables au 06 30 29 08 07, 06 30 29 08 07 ou sur l’adresse électronique video@france3.fr ; postez-nous directement vos films réalisés avec des webcams ou des caméras numériques ; où que vous soyez, montrez-nous votre perception de cette soirée de grande joie ou de grande tristesse . »

Encore plus fort. Louis Laforge à 18 heures 51 annonce : « C’est une soirée présidentielle placée sous le signe des hautes technologies, ce soir la grande nouveauté, ce sont de toutes petites caméras que nos journalistes reporters vont promener à travers les rues de Paris ce soir, des mini caméras reliées à un réseau de téléphonie mobile ; c’est la première fois en Europe que ce genre est utilisé dans une émission de télévision.  » Malheureusement, la première tentative se solde par un échec...

Et ce n’est pas tout : « Tout au long de la soirée, nous aurons des points de direct à travers le monde, grâce aux internautes français expatriés à l’étranger ». Le premier internaute, Loïc Carlier, se trouve à Saint-Pétersbourg. En « grand » journaliste, toujours soucieux de poser des questions intéressantes, Louis Laforge l’interroge sur « l’ambiance » qui règne dans la communauté française.

Cette première salve, tirée lors de la première prise d’antenne, se reproduira pratiquement mot pour mot lors de la seconde, à 19 heures 34 : «  Ici, tout le monde est bien sûr mobilisé, les équipes informatiques qui font un magnifique travail [...] . Nous serons en direct d’une quinzaine de lieux, de points stratégiques où nos journalistes vont nous faire vivre les ambiances et nous raconter les atmosphères à Paris et en région. » A 19 heures 40, Audrey Pulvar relit, mot pour mot, sa présentation du dispositif interactif. Et Louis Laforge répète une nouvelle fois que « c’est une soirée présidentielle placée sous le signe de la haute technologie ».

À 19 heures 54, Louis Laforge, toujours lui, s’enflamme une fois encore : « Cette soirée est placée sous le signe de la haute technologie [...] La grande nouveauté de cette émission c’est l’apparition sur nos écrans d’images réalisées par de toutes petites caméras reliées en fait à un boîtier qui émet sur un réseau de téléphonie mobile, c’est une grande première ; c’est la première fois en Europe que de telles images sont diffusées sur une chaîne de télévision. » Nous nous retrouvons alors en direct de la place de la Concorde avec un des reporters de France 3 en moto. Ce second essai, s’il s’avère plus concluant que le premier, puisque nous voyons l’image et entendons le son, ne se révèle pas pour autant concluant dans la mesure où les propos du journaliste sont quasiment incompréhensibles. L‘innovation technologique a ses limites. Nous n’entendrons plus reparler de cette "première" en Europe...

Un suspense insoutenable

La mise en scène d’un évènement « historique » nécessite évidemment d’en ménager le [faux] suspense.

Il est 18 heures 54. Louis Laforge conclut la première partie, avant de passer l’antenne aux journaux régionaux, plus haletant que jamais : « Quant à nous, on se retrouve à 19 heures 30, pour vivre la fin du suspense et découvrir le visage du nouveau président de la République. » A la reprise, après le décrochage régional, Louis Laforge nous ressert le même plat. A 19 heures 30 : « Nous vous invitons à nous suivre jusqu’au bout du suspense pour avoir le résultat à 20 heures. »

A 19 heures 39, Stéphane Grand, l’envoyé spécial au quartier général de l’UMP, n’oublie pas de signaler que « le suspense reste entier. » Mais, il s’agit bien d’un faux suspense, puisque immédiatement après, Patrice Machuret, l’envoyé spécial à la salle Gaveau mange le morceau : « l’ambiance est confiante ici ». Il se rattrape en glissant, quelques secondes, plus tard, que « tout le monde reste prudent ici, il n’est pas 20 heures. » Dans la foulée, Louis Laforge fait son possible pour tenir en haleine « son » public ; avant de passer la parole à Catherine Matausch pour le journal national, il nous donne dans la métaphore issue des films de guerre : « Il est 19 heures 41, nous allons nous retrouver dans quelques minutes pour vivre le compte à rebours jusqu’ à l’heure fatidique, jusqu’à 20 heures. »

A 19 heures 49, Louis Laforge reprend la parole pour continuer d’entretenir un faux suspense : « Dans 10 minutes maintenant, nous pourrons vous dire qui de Nicolas Sarkozy ou de Ségolène Royal est élu président de la République. » Quelques instants plus tard, Serge Cimino, rue de Solférino (siège du PS) : « En fonction du résultat, la place changera d’âme, ou s’enflammera encore plus. » Stéphane Grand, en direct du quartier général du candidat Sarkozy fait écho à son confrère : « Les minutes sont de plus en plus longues. » A 19 heures 55, Louis Laforge s’adresse de nouveau à Serge Cimino : « La tension monte apparemment. » Et immédiatement après : Louis Laforge passe la parole à Patrice Machuret, l’envoyé spécial à la salle Gaveau : « Là aussi, la tension monte. » A 19 heures 57, Louis Laforge, en passant la parole à Jean-Michel Blier, annonce : « Ce sera la fin d’un long suspense ». A 19 heures 58 minutes et 45 secondes, Louis Laforge interrompt Jean-Michel Blier pour nous montrer des images de la salle Gaveau et de la rue de Solférino : « Nous allons voir l’ambiance qui monte. » A 19 heures 59 minutes et 30 secondes, Louis Laforge intervient une dernière fois : « Dans quelques instants, avec nos partenaires CSA et Cisco, le suspense sera levé. » Un vrai thriller !

Même programme sur France 2 où le suspense n’est pas moindre. A 19h20 David Pujadas, avec le sourire entendu de celui qui sait, annonce : « les minutes passent, notre estimation s’affine, nous savons maintenant avec précision qui va être élu ». Dix minutes après, à propos de la prise de parole plus rapide que prévu de Ségolène Royal il rajoute «  c’est effectivement une indication mais laquelle et dans quel sens, ne comptez pas sur nous pour vous en dire plus  » et pour qu’on ne remette pas en cause sa bonne volonté à ne pas trahir le secret à 10 minutes de l’annonce du résultat «  soyons clair aucune indication ne doit être donnée  »...

Pourtant les journalistes savent et le suggèrent, malgré eux. Elise Lucet découvre donc à 19h30 «  cette image incroyable de la rue Solférino » qui montre les partisans socialistes en liesse, David Pujadas renchérit en regardant les images des deux rues côte à côte : «  c’est assez incroyable , la même mobilisation  », Elise Lucet le répète quelques minutes après «  ce qui est incroyable c’est qu’il y a la même ambiance  » et à 19h50, « on regarde l’ambiance et ces deux images incroyables qui vont certainement marquer cette soirée ». Leur stupéfaction est à son comble lorsque Ségolène Royal va sortir en souriant et on va avoir le droit à une intéressante spéculation sur son sourire. David Pujadas qui n’en revient pas, à 19h 55 «  ce qui est frappant, c’est le sourire ». Ces étonnements renvoient, sans qu’ils le sachent, à ce que les téléspectateurs sont sensés ignorer : le résultat du vote. Mais enfin, il faut faire comme si nous étions encore dans le doute et nous tenir en haleine.

Pujadas n’en peut plus : « dans 18 minutes maintenant ... le drapeau qui nous montre une silhouette. Mais qui se cache derrière ?  » , «  le suspense est total  » à moins de 5 minutes, lorsque Ségolène Royal sort enfin de son QG « c’est une ovation et un grand suspense  » nous dit la voix off de Pujadas, pour Alex le correspondant il y a 2 suspenses «  le suspense autour de la porte, non seulement sur le résultat , mais sur la porte que va emprunter Mme Royal  », et enfin, avec Mickaël «  tout le monde retient son souffle place Gaveau ».

Des ambiances incroyables

La compétition électorale est évidemment présentée comme une compétition sportive. Louis Laforge sur France 3, dès la première prise d’antenne, annonce : « Ce soir nous serons en direct d’une quinzaine de points, de lieux stratégiques, notamment les endroits où les deux finalistes vont retrouver leurs militants, leurs supporters . » Catherine Demangeat, en direct du quartier général de Ségolène Royal, à son tour : « Elle a salué d’un geste de la main les quelques dizaines de supporters , qui sont ici et qui l’ont acclamée. » Quelques minutes plus tard, Louis Laforge innove : « Nicolas Sarkozy se rendra [aussi] à la salle Gaveau où l’attendent des milliers de supporters.  » A 19 heures 37, l’envoyé spécial au siège du PS, Serge Cimino, s’y met lui aussi en nous parlant de « la présence de supporters , j’allais dire des Verts. [...] Les supporters de Ségolène Royal sifflent les images du QG de Nicolas Sarkozy. »

Parmi les « supporters », certains bénéficient du traitement de faveur qui leur est dû : les personnages célèbres, rebaptisés les « people », qui accompagnent Nicolas Sarkozy. À 18 heures 45, puis à 19 heures 38, Stéphane Grand, l’envoyé spécial au quartier général de l’UMP rappelle, que, outre des « personnalités politiques », « une kyrielle de people comme on dit, Johnny Hallyday et sa femme, Arnaud Lagardère, le patron du groupe Lagardère , Richard Virenque, Doc Gynéco » a rejoint Nicolas Sarkozy. Classée parmi les « people », la présence d’Arnaud Lagardère ne soulève aucun commentaire politique. Et pourtant. A 19 heures 50, Stéphane Grand, en direct du quartier général du candidat Sarkozy rappelle une nouvelle fois que « beaucoup de people comme on dit, Johnny Hallyday et Laëtitia, Richard Virenque, Doc Gynéco, Marie-Anne Chazel et la présence très remarquée d’Arnaud Lagardère . » À 19 heures 52, Patrice Machuret, en direct de la salle Gaveau, insiste : « On a vu [...] des people aussi, Gilbert Montagné, David Douillet, qui sont là. »

« L’ambiance » - le mot revient sans cesse... - est celle « des grands soirs », comme l’affirme Pujadas sur France 2. Le téléspectateur doit vibrer à l’unisson des images qu’on lui montre, il faut qu’il s’imprègne de l’atmosphère mais attention, celle-ci diffère selon que vous êtes dans la foule ou que vous réfléchissez dans le calme des QG où se réunissent les cerveaux.
La foule nous est présentée tantôt sous un aspect infantile. A 19h30, Alix, la correspondante à l’UMP, nous la décrit : « les militants trompent l’attente en agitant des petits ballons bleus, c’est une atmosphère bon enfant ». Et vers 19h50 : « Ils ne sont pas fatigués, ils agitent leurs petits ballons bleus, ils chantent, ils ont leurs slogans préférés ».

Mais la foule dans la rue c’est aussi ce que note Elise Lucet à 19h25 : « la clameur... le bruit... ». A 19h29 avec Alix, c’est « l’atmosphère électrique... tous ont le regard tendu vers l’écran ». « J’imagine que vous êtes au milieu d’une marée humaine  » lui dit Elise Lucet, Etc. Ces commentaires sont accompagnés d’images qui nous montrent très souvent des visages hurlants ou grimaçants. Le correspondant dans la foule UMP, vers 19h30, arrive à peine à se faire entendre : « c’est une ambiance de stade de foot que je connais bien et que les politiques ne connaissent pas ». Il y a une pointe d’inquiétude chez Alix à 19h37 car des militants UMP lui ont demandé de changer de veste « trop rouge à leur goût ».

Voilà pour le peuple. L’ambiance chez les leaders politiques est effectivement différente et l’accent est mis sur le contraste : à 19h45, Mickaël nous décrit au QG de Nicolas Sarkozy « une ambiance complètement différente, concentrée presque silencieuse, très différente de ce qui se passe à l’extérieur », un peu plus tard il reprend : « ici, ce n’est pas l’ambiance des meetings ou des rassemblements festifs, le contraste est saisissant , toutes les infos qui émanent du QG parlent de sérénité , de concentration , on attend, on regarde, c’est une ambiance très studieuse, très sereine  ». Anouk emploie les mêmes mots pour Ségolène Royal « en train de travailler sérieusement dans sa voiture, très sereine, studieuse  ».

Le suspense insoutenable s’achève à 20 heures. Pour quel résultat ? Maîtres du suspense, nous aussi, nous vous le révélerons dans notre prochain article.

(à suivre)

A partir des transcriptions et des rédactions de Denis et Nadine.

 
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