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Présidentielle 2007

Premiers commentaires d’un sacre électoral

Gloses joyeuses et tristes leçons des 6 et 7 mai.

Emballements victorieux

« Quelle victoire, quel souffle ! L’élection magistrale de Nicolas Sarkozy est certainement de celles qui marqueront durablement l’histoire du pays » s’extasie Nicolas Beytout dans Le Figaro, le lendemain de la victoire de Nicolas Sarkozy. La frénésie des éditorialistes de la presse écrite fait presque plaisir à voir. Chacun y va de sa petite exaltation. Pour Jacques Camus dans La République du Centre, « les Français ont choisi dans un bel élan de maturité démocratique leur sixième président de la Vème République. » François-Xavier Pietri dans La Tribune est plus sobre, mais impatient : « En portant Nicolas Sarkozy à l’Élysée, les Français ont fait un choix puissant, en toute connaissance de cause et pour que la France change en profondeur. (...) Il lui faut désormais agir vite et fort. » L’émotion fait aussi écrire des bêtises. Ainsi, François Brochet dans Le Progrès : « Nicolas Sarkozy (...) est pourtant le mieux élu des Présidents », or, rappelons que Charles De Gaulle a été élu en 1965 avec 55,2% des voix, Georges Pompidou en 1969 avec 58,2%, François Mitterrand avec 55% en 1988, et Jacques Chirac avec 82,2% en 2002.

Emballements sentencieux

Le soir même des élections, les éditorialistes et chroniqueurs de la presse écrite se sont empressés de proposer leurs analyses pointues aux internautes noctambules. En chœur, ils ont entonné le même couplet : si la gauche a perdu, c’est parce qu’elle demeure « archaïque  », « immobile ». Bref, les « mammouths » des appareils médiatiques continuent à pourfendre les « éléphants » de l’appareil politique du Parti socialiste.

Sur le site de Libération, Laurent Joffrin parle d’emblée d’« immobilité doctrinale » et de « négligence à l’égard du centre ». Conclusion ? La défaite « doit réveiller les forces d’imagination et de modernisation, celles qui allient audace et réalisme  ».

Le 6 mai, à 20h39, le site du Nouvel Observateur met en ligne une chronique de Jacques Julliard, intitulée « Feu sur le quartier général » . L’artilleur vise d’emblée sa cible : « l’archaïsme des états-majors du Parti socialiste a été le plus fort. » La défaite de Ségolène Royal est l’occasion de reprendre le leitmotiv de l’entre-deux tours (mûri, il est vrai, depuis fort longtemps) : « la gauche est trop à gauche pour s’élargir vers le centre, seul lieu où elle pourrait gagner des renforts. (...) En dépit de Ségolène Royal, l’archaïsme de ses positions de base a rebuté les centristes. » Et une antienne entendue pendant toute la durée de la campagne contre ce PS qui est devenu « synonyme d’alourdissement de la fiscalité et, pour les travailleurs, de stagnation des salaires à cause des sacrées 35 heures ». Il est vrai, qu’aux yeux de Jacques Julliard, le programme a été « élaboré par les plus gauchistes du Parti » (sic). Haro donc contre le « gauchisme » : « Depuis 2005, les grandes intelligences du PS n’ont cessé de développer des analyses stupides. Interprétant à tort le non au referendum comme une poussée de l’extrême gauche, alors que ce n’était qu’une bouffée de protectionnisme et de nationalisme, une véritable surenchère tint lieu d’organisation du débat dans le parti. On vit Fabius courir derrière Bové, DSK derrière Fabius, et Hollande derrière DSK, dans une course à la radicalité qui comprenait la généralisation des 35 heures, la hausse des impôts, la re-nationalisation provisoire des grandes entreprises, la régularisation de tous les sans-papiers, et j’en passe. » Puis il s’en prend, avec un brin de mépris, à l’une des têtes de turc favorites du Nouvel Observateur : « On donna l’hégémonie intellectuelle sur la gauche à un faux paysan à moustaches qui, à chaque fois, remettait une thune dans le bastringue. Tout cela est bien mou, bien insuffisant, clamait-il. L’Attila des OGM vient de se retrouver avec 1,32% des voix parce que les concierges de l’immeuble ont plus de bon sens que les professeurs au Collège de France, mais le mal est fait. » Pourtant parmi les professeurs au Collège de France qui se sont prononcés sur l’élection, on a surtout retenu ceux qui avaient appelé à voter Royal (Pierre Rosanvallon, Jacques Bouveresse,...).

Un peu plus tard dans la soirée, à 22h46, Jean-Marie Colombani avait confié au micro du Monde.fr : «  Les victoires locales de 2004, qui étaient liées au rejet du gouvernement Raffarin, ont conduit le Parti socialiste à l’immobilisme »  ; « Le Parti socialiste doit repenser sa politique d’alliances ». Le lendemain, dans Le Monde daté du 8 mai, le même soutient que si le PS veut un jour gouverner, « il lui faudra bien regarder vers le centre », et Arnaud Leparmentier, analyste politique du quotidien vespéral, insiste : « Ségolène Royal est arrivée seule, comme par effraction, dans un Parti socialiste divisé qui n’a pas su moderniser sa stratégie et son projet. (...) elle n’a pas réalisé à temps son ouverture au centre et sa mue social-démocrate. » A droite, toute ?

Jean-Marc Sylvestre, serviteur du nouveau roi

Jean-Marc Sylvestre est un devin : « Nicolas Sarkozy fera sans doute ce qu’il a dit qu’il ferait. » (France Inter, 7 mai 2007) Comment peut-il en être si sûr ? « Parce que c’est dans sa pratique, sa culture. » On a bien compris que Sylvestre est ravi du résultat du scrutin. Sarkozy, à ses yeux, a bien mérité sa victoire. Pourquoi ? Parce que « sa différence avec son adversaire [Ségolène Royal], c’est qu’il a beaucoup travaillé pour accéder à la fonction. » Elle, non ? Un fois passé cet éloge toute en flagornerie de « la France qui travaille » contre « la France qui paresse », Jean-Marc Sylvestre enfile l’habit du conseiller du prince : « l’homme est très pragmatique et l’ambition, c’est de débloquer le pays. Les attentes économiques sont très fortes, et à mon sens il y a trois chantiers à ouvrir très vite. » Et le chroniqueur économique de France Inter martèle la liste des réformes qui doivent nécessairement être menées, parmi lesquelles, « la relance du travail » : « alors, ça passe par les heures supplémentaires bien sûr, mais ça passe aussi par les libérations de condition d’accès au travail, par le service minimum dans la fonction publique, ça passe par une évolution de la place des syndicats... » A quelle place Sylvestre souhaite-t-il voir les syndicats ? D’ailleurs souhaite-t-il toujours l’existence des syndicats ? C’est à se le demander quand il annonce, la voix tremblante, que « ça va pas être facile, hein, certains acteurs de l’économie, les partenaires sociaux vont grogner, se contracter, parce que les habitudes, les procédures vont changer, mais c’est le prix des réformes. »

En effet, ça ne va pas être facile pour Jean-Marc Sylvestre, petit chroniqueur au salaire faible sur France Inter, journaliste économiste sur la très méconnue chaîne TF1, et habitué des ménages auprès des grandes entreprises pour survivre.

Heureux sondologue

Matinale de France Inter, 7 mai 2007. Nicolas Demorand interroge Roland Cayrol, directeur de l’institut CSA. Comment expliquer la forte participation au scrutin présidentiel ? Par l’opinion et donc par les sondages qui prétendent la faire parler : « L’opinion a imposé ses thèmes, ses attentes. Les candidats ont accepté d’y répondre avec précision et beaucoup de concret et du coup l’opinion a marché. Elle est venue voter. » (A quand le remplacement du peuple par l’opinion, jusque dans l’isoloir ?) Avec un tel postulat, toute interrogation sur les interactions éventuelles entre l’opinion et sa mesure devient superflue. À la remarque de Nicolas Demorand : « Vous êtes un reflet [de l’opinion] aussi et peut-être l’organisateur », Roland Cayrol qui a flairé une critique qui pourrait s’inspirer de celle de Pierre Bourdieu (« L’opinion publique, ça n’existe pas », du moins celle que prétendent exprimer les sondages), s’insurge : « Non, non ! Ne mélangeons pas tout, nous nous contentons de la mesurer et de la publier. L’opinion, elle existe et elle est montrée simplement par les sondages. » Comprenons bien : les politologues, en tant que traducteurs exacts de l’opinion, sont les garants du débat démocratique légitime et par là de la démocratie elle-même, impartiaux et indépendants.

Heureux sondomaniaque

Pour Michel Vagner, dans L’Est Républicain du lundi 7 mai 2007, les sondages se sont avérés à ce point exacts qu’il n’y voit plus une photographie de l’opinion à un instant donné, mais bel et bien un pronostic du résultat de l’élection, si fiable qu’il serait vain de vouloir le faire mentir : « Malgré une arithmétique défavorable, des intentions de vote qui invariablement lui prédisaient l’échec, Ségolène Royal refusait de se "placer dans cette perspective". Battante, elle aura bataillé jusqu’au bout avec l’espoir naïf et ténu, qu’elle pourrait inverser la tendance. » Puisque les sondages avaient tout prévu, on se demande - naïvement - à quoi servent les campagnes électorales et - tout aussi naïvement - à quoi sert le scrutin ?

Décryptage ?

Le 7 mai, dans l’émission « J’ai mes sources » sur France Inter, Colombe Schneck nous propose un « décryptage de la soirée électorale » de la veille. Après s’être gentiment moquée des journalistes obligés de « meubler » en attendant d’annoncer les résultats, on attaque les vrais sujets : « Y’a eu beaucoup de détails, hier, hein, à analyser... Euh la couleur du pupitre de Nicolas Sarkozy, rouge tout d’un coup ». Puis intervient un chroniqueur qui fait la liste des personnalités entourant Sarkozy et censées incarner la rupture : Johnny Hallyday, Steevy, Bernard Tapie, et « la rupture affichée en matière de variété française avec Mireille Mathieu, qui figurait déjà dans les meetings de Giscard... ». C’en est trop pour Colombe Schneck qui le coupe pour le rappeler sèchement à l’ordre : « Il est élu de TOUS les Français, des Français de ...[inaudible] à Mireille Mathieu ». En fin d’émission, après que ses invités ont évoqué le camp socialiste, Colombe Schneck préfère revenir « sur des images un peu plus gaies, celle de la fête hier soir ». Christian Delporte remarque cependant qu’« on a fait la fête à Paris, mais pas ailleurs. Peut-être parce que le public jeune n’était pas complètement là ». Réaction boudeuse de l’animatrice : « Ouais, pourtant il a élu Nicolas Sarkozy ». Ses invités lui font observer aussitôt que « la structure de l’électorat Sarkozy est assez... enfin, 75% des plus de 65 ans votent Sarkozy  ». Mais elle n’en démord pas : « Non mais y’a aussi des jeunes... ». De l’âge de Colombe Schneck ? Sans doute...

Au Val sincère

Dans son éditorial « Les pauvres ont voté pour les riches », dans le Charlie Hebdo du 9 mai 2007, ces deux belles phrases de Philippe Val : « Cette campagne et cette défaite, pour décevantes qu’elles fussent, ont eu l’avantage d’être démocratiques. Contrairement à la campagne du référendum sur la Constitution européenne, où l’insincérité et les mensonges ont triomphé, dans cette campagne présidentielle chacun a défendu sincèrement ses idées. » Car Sarkozy fut avant tout sincère. La gauche de gauche, elle, mentait.

Un collectif d’Acrimed

[Avec Denis, Henri, Mathias, Muriel, Olivier et Serge]

 
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