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Présidentielle 2007

Entre deux tours (2) : Démocratie du lendemain

Lundi 23 avril. Le chœur des commentateurs ravis exalte la « fête de la démocratie » (Jean-Yves Boulic dans Ouest France) qu’a été, selon eux, le premier tour de l’élection présidentielle.

I. Confettis de quotidiens

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle donc, les éditorialistes de la presse écrite, commentateurs spécialisés ès science politique sont satisfaits, et ils le font savoir : les Français ont bien voté, c’est une victoire pour la démocratie ! Quelle victoire ? Et quelle démocratie ?

Une victoire de la démocratie...

« La France a vécu hier une des plus grandes journées de son histoire politique. » Patrick Venries n’a pas dû vivre grand chose dans sa vie. Mais son éditorial dans Sud-Ouest le 23 avril 2007 est dans le ton des commentaires médiatiques en ce lendemain de premier tour. La satisfaction est quasi générale. « Un beau dimanche pour la démocratie » s’enflamme ainsi Jean-Michel Bretonnier dans La Voix du Nord. Une « belle journée d’avril » selon Jean-Marie Colombani dans Le Monde daté, comme d’habitude, du lendemain. François-Xavier Pietri dans La Tribune (le 23 avril) est formel : « Il y a déjà un grand gagnant à cette élection présidentielle : c’est le peuple français. ». Jacques Camus dans La République du Centre écrit la même chose : « Et les vainqueurs du premier tour de la présidentielle sont... les Français ! »

Que célèbrent-ils ainsi ? Le taux de participation ? Pas seulement. Ils se réjouissent d’abord de la restauration de la partition droite/gauche et de l’affrontement entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal qu’en leur qualité de médias du second tour ils avaient appelés de leurs vœux depuis de très longs mois.

Dans Le Figaro, Nicolas Beytout s’en félicite : « Cela faisait des mois que les Français voulaient un match Ségo-Sarko. Ils l’ont et c’est tant mieux. Comme dans toutes les grandes démocraties, les Français vont maintenant pouvoir confronter deux projets de société, l’un de droite, l’autre de gauche. » Dans Libération, Laurent Joffrin s’en réjouit : « La France a aussi choisi la clarté. Une droite franche affrontera au second tour une gauche qui doit faire le pari du renouveau. Ce duel salutaire est celui de toutes les démocraties modernes. » Dans Le Monde (daté, comme d’habitude, du lendemain 24 avril), Jean-Marie Colombani qui avait expliqué avant le scrutin que « L’impératif démocratique » imposait de ne pas voter pour François Bayrou (et tous les autres) est ravi : Cette élection est « une double victoire : celle de la démocratie sur elle-même ; et contre ses extrêmes. »

Depuis plusieurs mois, les « éléphants » du parti de la presse ont déployé des efforts considérables pour circonscrire le débat de la campagne dans les limites du « politiquement pensable » [1]. En ce sens, ils interprètent le résultat du 22 avril comme un succès et la « grande » presse nationale de parti-pris, quelles que soient les différences de prise de parti, entonne le même hymne à la joie.

... Contre les extrêmes.

La faiblesse du taux d’abstention, la polarisation entre une droite et une gauche « modernes », le recul du Front National ne suffisent pas au bonheur démocratique des « éléphants » des médias. Autre motif de réjouissance à leurs yeux : ce sont « les extrêmes » [2], toutes composantes amalgamées, qui, sans doute également toutes menaçantes pour la démocratie, sont électoralement affaiblis. « Victoire de la démocratie contre ses extrêmes » déclare Colombani.
- Dans Le Télégramme, Hubert Coudurier lui fait écho et synthétise : « Mais cet affrontement programmé et cette marginalisation des extrêmes, doublée d’une mobilisation sans précédent du corps électoral, apparaît de bon augure pour la démocratie française, décidée à sortir de l’ambiguïté. »
- Dans La République des Pyrénées, Jean-Michel Helvig, transfuge de Libération, pontifie  : « Nombre de "petits candidats" ont pleurniché sur le couperet du vote "utile" qui aurait faussé la libre expression démocratique. C’est plutôt le " vote inutile " qui désormais les pénalise. »
- Dans La Croix, Dominique Quinio tire un « enseignement, réjouissant, de ce scrutin » Le voici : « Le vote Le Pen décline. (...) Les électeurs d’extrême gauche représentent une force à peu près équivalente. Mis à part ces irréductibles de la protestation, à droite comme à gauche, il semble bien que les électeurs de 2007 aient choisi de ne pas disperser les voix et de voter utile. »
- Dans Les Echos, l’article de « Une » de Cécile Cornudet (« les électeurs portent massivement Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal au second tour ») propose cette conclusion enchantée : « En renonçant à l’abstention boudeuse, toujours croissante depuis 1974, et en délaissant les petits candidats, notamment aux extrêmes, les Français ont montré hier qu’ils étaient prêts, pour une fois, à tourner le dos à leurs pratiques contestataires passées et à se mettre de nouveau à croire, et à espérer même, en la politique. »
- Dans Les Echos, encore, Françoise Fressoz, sous le titre « L’anti-21 avril 2002  » félicite Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal pour la victoire du premier tour, qu’elle explique ainsi : « Sans doute parce que, avec leurs habits neufs, ils ont montré qu’ils n’avaient pas sous-estimé l’ampleur de la crise démocratique qui s’est manifestée ces dernières années par toutes sortes de syndromes : abstention record et poussée des extrêmes. Ce faisant, ils font reculer les réflexes qui auraient pu conduire à isoler la France du reste du monde : la sortie de l’euro, la préférence nationale à l’emploi, les renationalisations etc. » Amalgame des « extrêmes » et de propositions opposées ? Qu’importe !
- Alors que la plupart des autres "gratuits" ratissent large et équilibrent leurs informations et leurs commentaires (quand ils commentent...), 20 minutes se distingue par l’éditorial que signe Frédéric Filloux, directeur de la rédaction : « Avec ce scrutin, les électeurs ont tourné une page importante de l’histoire démocratique du pays. Malgré une avalanche de sondages, ils ont souhaité avoir le dernier mot avec un taux de participation compris entre 83,6 et 84,5 %, proche du record de la Ve République (84,75 % en 1965). Ils ont souhaité faire oublier les heures sombres du vote de 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est trouvé en position de finaliste avec 17 % des suffrages. Ce 22 avril 2007, le vote protestataire s’est mué en un vote républicain, se ralliant sur des candidats crédibles, démocrates, défendant avec conviction un vrai projet de société. Le vote d’hier fut aussi un vote de transition générationnelle. Les scores réalisés par Jean-Marie Le Pen, Arlette Laguiller, Marie-George Buffet marquent la fin d’un traditionnel vote refuge qui va devoir se trouver d’autres exutoires.  »
- En « Une » du Parisien, un titre : « C’est ouvert » ... Et au détour d’un article - « Laguiller s’efface devant Royal » -, cette information : « la première femme candidate à une présidentielle en 1974 (2,30 %) n’entend pas prendre sa retraite ». Pourtant l’article commençait finement ainsi : « C’était sa dernière "lutte finale" ». On connaît ses « classiques » au Parisien.

On le devine : ce n’est pas seulement une revanche de la démocratie contre l’élection présidentielle de 2002 qui suscite l’enthousiasme des prescripteurs en chef : c’est l’effacement du douloureux traumatisme qu’ils ont subi lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen. « Le peuple est souverain, hélas ! » déplorait, dépité par le résultat du 29 mai 2005, Robert Liscia, dans Le Quotidien du médecin du 3 juin 2005. « Le peuple est souverain, quel bonheur ! », entonne le chœur des éditorialistes-associés quand le peuple se conforme à leurs espérances.

Lors du référendum sur le TCE, malgré, là aussi, une forte participation, ces mêmes Français n’avaient pas bien voté et ne se préoccupaient pas de politique. Il s’agissait d’« un vote souverainiste, populiste, nationaliste, parfois xénophobe  » pour Bernard-Henri Lévy [3]. Le « non » de gauche était « poujadiste » pour Philippe Val [4]. Une « procession de fulminants [5] » avait accueilli le résultat du scrutin du 29 mai 2005.

Le 23 avril 2007, l’ordre des choses est rétabli. Au grand plaisir de Francis Laffon, dans L’Alsace : « Voici balayée avec un enthousiasme réjouissant, une idée fausse mais trop souvent répandue, selon laquelle les Français se désintéressent de la politique. (...) L’absence de coup de théâtre est donc la seule grande surprise de ce premier round. » Même son de cloche pour Philippe Waucampt dans Le Républicain Lorrain : « Finalement, la politique intéresse encore. »


Politique, nous voilà ?

Les experts de la pensée jetable que sont les éditorialistes de la presse écrite ont une batterie de phrases toutes faites, interchangeables et indémodables. Echantillon :

- Dominique Quino, dans La Croix : « La leçon du premier tour est claire : au second tour s’affronteront la droite et la gauche "traditionnelles" » Fine analyse.
- Françoise Fressoz dans les Echos : « A chaque premier tour sa surprise. La surprise du 22 avril 2007, c’est qu’il n’y en a pas eu. » Perspicace.
- Jean-Yves Boulic dans Ouest-France : « Ce sera la première fois, par ailleurs, qu’on assiste à un deuxième tour "un homme, une femme". » Clairvoyant.
- Pierre Taribo dans L’Est Républicain : « L’effet vote utile a joué à plein. » Inédit.
- Francis Brochet dans Le Progrès : « Le duel annoncé aura bien lieu : Ségo-Sarko, Sarkozy contre Royal, la droite contre la gauche. » Profond.
- Dominique Valès dans La Montagne : « A s’en tenir aux noms des deux candidats arrivés en tête au premier tour, cette élection présidentielle est sans surprise (...) Aujourd’hui c’est une nouvelle campagne qui commence. » Merci.
- Bernard Revel dans L’Indépendant du Midi : « C’est un choix clair et net qu’ont fait les Français hier. (...) Chacun des deux finalistes va tout faire pour créer une dynamique de la victoire. » Et pourquoi pas une dynamique de la défaite ?
- Philippe Noireaux dans L’Yvonne Républicaine : « Le 6 mai verra le retour d’un affrontement "classique" UMP-PS. » Lucide.

II. Bribes des ondes

Si les éditorialistes de la presse écrite on dû remettre leur prose tard dans la soirée, les chroniqueurs et interviewers ont préparé leurs chroniques et leurs questions au petit matin. Et la nuit leur a porté conseil.

Malheur aux vaincus (Franz-Olivier Giesbert)

Franz-Olivier Giesbert, sur RTL, célèbre les « quatre vainqueurs ».
- La démocratie parce qu’elle « a prouvé qu’elle était en bonne santé, avec deux jambes, une gauche et une droite, toutes deux en état de marche  ». Bon...
- Nicolas Sarkozy, parce qu’il est le favori. Or : « C’est la meilleure façon de servir de cible à fléchettes avant de s’effondrer. Eh bien non. Nicolas Sarkozy a surmonté tous ces obstacles, après avoir fait face à une campagne médiatique d’une violence inouïe, où il a été traîné dans la boue à coups d’intox et de rumeurs de caniveau. » Vraiment ?
- Ségolène Royal, « parce qu’elle obtient un très bon score ». Mais : « Elle a juste un problème. Pour gagner, elle doit séduire les électeurs de Bayrou, tout en gardant avec elle la gauche de la gauche, réduite à sa portion congrue. (...) Ségolène Royal n’est pas aidée par les scores de Buffet, Bové, Voynet ou Laguiller, à peine visibles à l’œil nu, et qu’il faut aller chercher au microscope.  » C’est dit...
- François Bayrou : « Tout seul, avec deux ou trois potes, il a réussi une performance incroyable, un hold-up politique. Il faudrait maintenant qu’il songe à négocier ses 18,5%, sinon il sera laminé aux législatives ».

Restent « les vaincus » : « Oui, toutes les vieilleries et bizarreries de ce qu’on appelle pompeusement l’exception française, l’extrême droite, et l’extrême gauche, où seul Besancenot a sauvé les meubles.  » Sans le moindre amalgame et le moindre mépris : une leçon de « modernité éditoriale ».

Politique, me voilà ! (Jean-Pierre Elkabbach)

Recevant au lendemain du premier tour de la présidentielle Michel Mercier (UDF), Vincent Peillon (PS) et Alain Juppé (UMP), le directeur de la station Jean-Pierre Elkabbach a renoncé à toutes les insinuations partisanes. Qu’on en juge par ces quelques questions, relevées au fil de l’émission.

- Inquiet - « Pour que Ségolène Royal entre à l’Elysée, il lui faut des voix ‘‘ anti système ’’ de Jean Marie Le Pen, de François Bayrou surtout..., de l’extrême-gauche au centre, comment va-t-elle faire ? Comment peut-elle faire ? » Oublieux, Jean-Pierre Elkabbach, n’a pas demandé à Alain Juppé : « Pour que Nicolas Sarkozy entre à l’Elysée, il lui faut des voix ‘‘ anti système ’’de Jean Marie Le Pen, de François Bayrou surtout. Comment va-t-il faire ? Comment peut-il faire ? »
- Prévenant - A Alain Juppé : « Que dit l’homme de Bordeaux Alain Juppé à son voisin, l’homme de Pau ? » - Alain Juppé : « J’ai toujours avec François Bayrou de très bonnes relations personnelles... » Jean-Pierre Elkabbach : « Justement ».
- Incisif - Vincent Peillon : « La victoire est politiquement nécessaire ! » - Jean-Pierre Elkabbach (l’interrompant) : « A qui ?? Nécessaire à qui ? » - Vincent Peillon : « A la France ! » - Jean-Pierre Elkabbach (à mi voix, goguenard) : « Ah Oui ? !... »
- Prévenant - A Vincent Peillon qui vient d’évoquer un score de Ségolène Royal supérieur de 10 points à celui de Lionel Jospin : « Mais à l’époque , rappelez-vous, en 81, le PC et l’extrême gauche, ça pesait, beaucoup plus qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, il ne reste que des résidus. Hélas, peut-être, mais c’est comme ça ! »
- « Au-delà de cela »  : Jean-Pierre Elkabbach à Vincent Peillon (qui vient d’évoquer un « effet de vase communicant entre FN et UMP » qui, dit-il, « donnera la difficulté du second tour ») : « Vous croyez Vincent Peillon, vous qui êtes un philosophe, est-ce que c’est un argument qui suffit ? Parce qu’on pourrait, d’une manière primaire (sic), vous dire ‘‘ Et le PC ? et les trotskystes qui vont se rallier à Ségolène Royal ? ’’ Vous dites ‘‘ les voix du front national ’’ Allons au-delà de cela, puisque ce sont des Français qui votent selon ou des projets, ou des caractères, ou des compétences !! »
- Modernisateur - Jean-Pierre Elkabbach à Vincent Peillon : « Votre candidate s’est présentée hier comme une femme libre. Pour le prouver, est-ce que vous lui recommandez de parler avec les centristes, ou de parler aux centristes par-dessus la tête de ses dirigeants ? [C’est Jean-Pierre Elkabbach qui souligne de la voix] (...) Ce serait une manière de marquer à la fois sa liberté, et la rupture avec un socialisme dont tout le monde dit qu’il s’est archaïsé ! »
- Familier - Au bras droit de François Bayrou : « Qu’est-ce qui vous empêche, Michel Mercier, à vous centristes, de partager ce que Nicolas (sic) appelle ‘‘ le nouveau rêve français [6] ’’ ? »

Nicolas, Ségolène... et François : la campagne pour le second tour dès le lundi 23 avril était lancée.

Un collectif d’Acrimed

[Avec Christiane, Henri, Grégory, Mathias, Muriel, Nadine, Thierry, William.]

 
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Notes

[2C’est nous qui soulignons, ici et par la suite.

[5D’après le titre d’un article de Frédéric Lordon.

[6Ce n’est pas le premier "Nicolas" de la campagne. Pour un exemple de précédent, lire « Familiers ? » dans « Brèves de campagne (6) : Symptômes ? ».

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