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Le Figaro, quotidien de l’aviation et de ses entrepreneurs ?

par Henri Maler, Mathias Reymond,

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Où classer, dans Le Figaro, l’hommage d’un fils à son père, quand aucune rubrique ne semble prête à l’accueillir ? Le « Courrier des lecteurs » ? « Les petites annonces » ? Une rubrique « Anniversaires » ? On imagine assez la perplexité de la rédaction du quotidien.

Comment la décision fut-elle prise ? Nous l’ignorons. Toujours est-il que cet hommage, truffé de commentaires avisés et d’ « idées saines », fut publié le 17 avril 2006 dans la rubrique... « Opinions », sous le titre « Hommage à Marcel Dassault ». Mais il est vrai que les « opinions » ne manquent pas dans ce singulier hommage... rendu par Serge Dassault dans le quotidien dont il est le propriétaire.

Au moins cet hommage comporte-t-il deux informations qui auraient pu faire l’objet d’une « brève ». La première ouvre la contribution au débat d’idée. « Il y a vingt ans, le 17 avril 1986, Marcel Dassault nous quittait. » La seconde fait office de conclusion : « Un dernier hommage lui sera rendu le vendredi 21 avril aux Invalides, avec le passage de son avion préféré, le Rafale. »

Quant aux « opinions », elles n’engagent évidemment, que leur auteur. Et il faut avouer que si, au lieu d’une « tribune », Le Figaro avait publié un tel article signé par l’un de ses journalistes, des esprits chagrins auraient hurlé à la servilité. Tandis que, dans le cas présent, Serge Dassault s’est servi tout seul.

Opinions

L’éloge pourrait paraître partiellement justifié, s’il ne tournait rapidement à l’hagiographie. Mais le portrait du père dessiné par le fils doit tant à la piété filiale que l’on serait presque tenté d’excuser ses excès pour se concentrer sur les « opinions ». Extraits :

Du jour où Marcel Dassaut comprit « que l’aviation était son avenir », son destin était tracé : « Sa passion devint si grande et sa volonté si forte que, malgré les multiples difficultés qu’il rencontra dans sa vie dans tous les domaines, il n’abandonna jamais. C’est ainsi qu’en 1936 il fut nationalisé une première fois et perdit toutes ses usines. Il fut emprisonné par les Français de Vichy en 1941. Il fut déporté en 1944 à Buchenwald, d’où il revint, en 1945, miraculeusement. De retour, il se remit aussitôt au travail avec deux petits ateliers à Boulogne et à Saint-Cloud. Mais on lui interdit de fabriquer des avions. Rien n’y fit. Malgré la concurrence des sociétés nationales, il réussit à se faire commander des Dassault 315, des Mystère, des Mirage 3, des Mirage 4 et des Mirage 2000. Mais il fut de nouveau semi-nationalisé par François Mitterrand en 1982. Il fut surveillé et contrôlé par l’Etat pendant toute sa vie. » Placer presque sur un même plan la déportation et... les nationalisations est manifestement une « opinion ».

Et encore : « Il aimait ce qui était beau [...] Mais il avait aussi le souci de son personnel. Très proche, très généreux avec tous, il leur accorda, de lui-même, deux semaines de congés payés quand l’Etat en décida une, et trois quand il en décida deux. Il inventa même l’intéressement à ses bénéfices, qu’il proposa à son personnel en 1935 mais qui fut refusé par la CGT de l’époque. Il a su construire une société qui était un prolongement de sa famille, une culture d’équipe avec un souci de la réussite commune. Ce fut aussi une cause de son succès. Un autre que lui aurait abandonné devant tant de jalousies, tant d’obstacles, mais pas lui. » Dresser la statue d’un entrepreneur plus généreux que l’Etat et plus progressiste que les syndicats est manifestement une « opinion ».

On se prend alors à rêver quelques questions. Et si Le Figaro publiait une enquête sur l’entreprise Dassault, passée et présente, serait-elle publiée ? Et dans quelle rubrique ? Celle du journalisme indépendant ou celle des libres « Opinions » ? Et que dirait le propriétaire si on n’y trouvait pas des « idées saines » ?

Henri Maler et Mathias Reymond

 
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