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Quand Libération fait dire à un colloque à peu près le contraire de ce qui fut dit

Nous publions ci-dessous une mise au point de Bruno Amable, Keith Dixon, Richard Farnetti, trois des organisateurs d’un colloque dont Libération a titré, à sa convenance, un compte-rendu dans une tribune libre des pages « Rebonds » (Acrimed)

Colloque sur le blairisme.
Mise au point par Bruno Amable, Keith Dixon, Richard Farnetti

Dans un article publié par Libération en date du mardi 25 octobre 2005, trois des organisateurs et conférenciers du colloque organisé le 14 octobre dernier à l’Assemblée nationale sur le thème de « L’union européenne à l’épreuve de la troisième voie blairiste » tentaient de dégager quelques enseignements de cette manifestation. Sur cette base, la rédaction du quotidien Libération a cru bon de pouvoir ajouter un titre qui trahit complètement le sens de l’article et du colloque lui-même. Outre le fait que titrer « Vive le blairisme et vive la dépense publique ! » revient à enrôler malgré eux les trois cosignataires dans la cohorte des partisans de Tony Blair, ce procédé journalistique peu honnête vide de son sens la tenue de cette journée d’études.

Si en effet la comparaison des dépenses publiques outre-Manche et en France montre bien que le gouvernement de Tony Blair et de Gordon Brown a fortement redressé le niveau de ces dernières à partir de 2001 (auparavant, entre 1997 et 2001, le gouvernement néo-travailliste avait moins investi dans les services publics que le gouvernement conservateur de John Major ...), les différents intervenants lors du colloque ont tous souligné qu’on ne saurait s’en tenir à ce constat simpliste et qui ne s’embarrasse d’aucun scrupule méthodologique. De fait on ne peut comparer que ce qui est comparable et sauf à tomber dans la caricature il est dangereux de rester à ce bas niveau digne du « benchmarking » le plus fruste et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord il faut tenir compte de l’immense abandon des services publics britanniques qui a rendu nécessaire d’injecter de toute urgence de l’argent dans la santé, les transports ferroviaires et l’éducation sous peine de voir ces secteurs s’effondrer tout simplement (que l’on songe aux dramatiques accidents à répétition du chemin fer de la fin des années 1990 !!). Ces dépenses ont donc souvent été des dépenses visant à remplacer et à combler le vide ce qui est loin d’être le cas en France. Ce simple fait invalide déjà toute comparaison grossière. De plus, plusieurs des universitaires présents lors du colloque (et qui sont tous des spécialistes confirmés de ces questions) ont tous affirmé que la profonde transformation du secteur public britannique, par suite de l’introduction de partenariats public-privé (« Public-Private Partnership » en anglais), rendait toute comparaison en stricts termes de dépenses, profondément erronée.

Il en va d’ailleurs de même avec l’épithète de « keynésien » aussi hâtivement et généreusement décerné à toute augmentation de la dépense publique sans qu’aucun critère quant à la nature des dépenses ne vienne moduler le caractère de la dépense. A ce compte là le financement de la guerre des étoiles par le président Reagan devrait valoir à ce dernier de figurer au panthéon du keynésianisme dans ce pays qui compte pas moins de 45 millions de personnes sans assurance maladie....

Enfin le blairisme en Europe n’est pas tant une doctrine de promotion du keynésianisme (le maniement de la dépense publique afin de réguler l’activité économique) qu’une exportation des principes de déréglementation, de privatisation et de flexibilisation, bref, une néo-libéralisation de l’Europe. Dans ce contexte, l’augmentation de la dépense publique ne dissimule pas que, des deux côtés de la Manche, les blairistes cherchent avant tout à modifier profondément les institutions de l’économie dans le sens d’une soumission accrue aux mécanismes marchands. C’est d’ailleurs cette dernière raison qui suscite tant d’admiration pour Blair du côté patronal français (cf les Echos qui titre le jour même du sommet européen de Hampton Court : « Blair incite les 25 à réformer leurs économies »).

Enfin plusieurs des contributions du colloque portaient sur la politique étrangère et le militarisme des gouvernements successifs de Tony Blair afin de compléter le tableau des dépenses publiques qu’on ne saurait réduire aux seuls services de santé, de transport ou d’éducation. Les sortir du champ de l’analyse revient à se méprendre totalement sur le caractère de la politique néo-travailliste.

Au total on a là clairement tous les symptômes d’un journalisme de complaisance et de facilité qui de surcroît est complètement sourd à la nature des manifestations dont il prétend rendre compte.

 
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