Accueil > Critiques > (...) > Vous avez dit « pédagogie » ? [Référendum de 2005]

Un faux scoop du Monde au service du « Oui »

Souvent directeur du Monde varie. En septembre 2001, Jean-Marie Colombani nous décrétait « Tous américains » (13.9.01). Mais depuis son éditorial du 29 avril dernier, il nous veut à présent « Tous Européens ». C’est-à-dire, en langage colombanien, tous partisans du Oui au référendum. « On voit bien, a expliqué Colombani, que les arguments du non sont des arguments simples - non à ci ! non à ça ! - et que les arguments du oui font plus appel à la réflexion. » (France Culture, 26 mars 2005) Ceux du Monde font aussi appel à... l’imagination.

Sur quatre colonnes à la « une », l’édition du 25 mai publie une information fracassante : « L’appel des syndicats européens pour le oui ». L’événement semble d’importance : au terme d’une campagne référendaire où l’inspiration libérale et socialement régressive du texte giscardien fut beaucoup débattue, un « appel » des syndicats européens en faveur du « oui » pourrait faire basculer plus d’indécis qu’un texte du patronat allant dans le même sens. C’est du moins ce que Le Monde espère et fait afficher.

Distribuée par milliers aux kiosquiers pour appâter le chaland, l’affichette commerciale du Monde insiste aussitôt sur cet « appel » syndical qu’on imagine prendre la forme d’un texte signé par de nombreux responsables de confédérations ouvrières européennes appelant les Français à voter oui.

Il n’en est rien. En guise d’« appel », Le Monde s’est contenté d’interviewer quelques dirigeants syndicaux : trois italiens, qui « déclarent au ‘Monde’ que l’Europe ne doit pas faire les frais des difficultés sociales de certains pays de l’Union », un allemand qui « aurait clairement voté oui », enfin Jacques Chérèque atrocement « déçu par la campagne et par la gauche ». Leurs propos, retranscrits en page 6 du journal, sont complétés par ceux de trois permanents de la Confédération européenne des syndicats, organisation dont Le Monde rappelle qu’elle s’est prononcé en faveur du traité en ...juillet 2004 [1]

Ainsi, « L’appel des syndicats européens pour le oui » n’existe pas. Le Monde a fabriqué et diffusé une information mensongère scriptée conformément aux convictions de son directeur et à celles de ses principaux actionnaires externes (Hachette, Pinault, Publicis). À la guerre comme à la guerre !

Dans Le Parisien du lendemain, François Chérèque s’empresse d’accréditer la mystification en évoquant cet « appel des syndicats européens ». Tant qu’à publier un vrai « scoop » vérifiable et vérifié, Le Monde aurait pu titrer sur « L’Appel de syndicalistes contre le projet de traité constitutionnel » [2], lancé le 26 avril dernier par 500 cadres syndicaux français. Le 23 mai, l’agence Reuters a consacré une dépêche à cet appel bien réel. Vingt-quatre heures plus tard, Le Monde, décidément quotidien vespéral du oui, inventait un appel européen bidon, mais mieux ajusté à ses préférences.

Tout en professant son amour des « petits faits vrais », le grand journal de référence s’est rendu célèbre par ses faux scoops et ses vraies bévues (« Scandale de Panama » du financement du Parti socialiste inventé par Edwy Plenel en 1991, faux « plan fer à cheval » pendant la guerre du Kosovo en 1999, bagagiste de Roissy « interpellé en possession d’un arsenal » en 2002, affaire du RER D en 2004, etc.) Là, il ne s’agit pas d’une simple faute - ou faillite - professionnelle, mais bien d’une manipulation désespérée destinée à inverser le sens d’un scrutin populaire.

[Documentation : Acrimed et PLPL]

 
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Notes

[1Comme le relève Gérard Filoche, militant du Parti socialiste et partisan du « non », cette page est « totalement bidonnée » : « On ne saura rien, des 17 syndicats qui se sont abstenus, ni des débats qui traversent depuis de plus en plus tous les syndicats européens, y compris, récemment le grand syndicat suédois LO, sur l’opportunité de ne plus soutenir la Constitution européenne, ne serait-ce qu’à cause de la directive Bolkestein... On ne saura rien des débats qui font rage dans les syndicats allemands, face à la politique de Schröder, ni dans les trade unions face à celle de Tony Blair... On ne connaîtra pas la position de la FGTB belge ni du précédent dirigeant fondateur, Georges Debunne, qui appelle a faire barrage à cette constitution libérale... On ne saura pas qu’en France, 80 % des syndiqués, la CGT, FO, FSU, la CFTC, le dirigeant de la CGC, Sud-Solidaires, l’Unef sont contre la constitution, que l’UNSA s’est divisée en plein dans son congrès, et que la CFDT est, bien sûr, plus partagée que ne l’affirme son dirigeant Chérèque, le seul chef syndical qui soit politiquement engagé pour le « oui », mais qui est peu habitué à consulter sa base. ». - Précision : "Sud-solidaires" désigne vraisembablement l’Union syndicale Solidaires (qui ne comprend pas que des syndicats Sud qui n’y sont pas tous affiliés). Rectification : la CFTC s’est prononcée en faveur du traité (Acrimed, le 27 mai 2005 - lien périmé, mars 2010).

[2Appel disponible en pdf à cette adresse, jusqu’à preuve du contraire... (mars 2010)

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