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« L’Europe, L’Europe... »

Quatre « régionaux » et un sondage

par ColMar, Denis Perais, Henri Maler,

Le premier sondage donnant « l’avantage » au « Non » a fait l’objet d’innombrables commentaires des sondologues et sondomaniaques associés. Et, bien sûr, pas seulement dans les médias nationaux. Dans la Presse Quotidienne Régionale (PQR), dont on ne dira jamais assez qu’elle se réduit généralement à un seul titre par région, les prescripteurs d’opinion ne manquent pas. Quatre penseurs, parmi de nombreux autres, se sont penchés sur le berceau du sondage qui disait « non » à 51%. Quant à celui qui disait « non » à 55%, c’est « à suivre »...

Une seule « vraie » réponse : « oui »

Dans La Provence du mardi 22 mars, Gilles Dauxerre, dans un éditorial de première page titré « Vrai campagne », mène la seule vraie campagne possible à ses yeux : la campagne pour le « Oui ».

La première phrase annonce d’emblée, avec tout l’effet de dramatisation qui sied, que cet éditorial est entièrement rédigé du point de vue des partisans du “Oui” : « La poussée du "non" dans les sondages concernant le référendum sur la Constitution européenne a déclenché la panique dans le camp du "oui". »

Suit alors, pour expliquer sans doute cette « panique », ce bijou : «  Les partisans du traité se rendent compte que leurs arguments rationnels, ardus et austères, sont balayés par diverses allégations subjectives, simples et multiples. » [On souligne tout en gras, tellement c’est beau...]

Au risque d’être pris en flagrant délit d’argumentation d’une complexité rationnelle, ardue et austère, notre pédagogue provençal simplifie et schématise :
« Schématiquement, quand le “oui” rassemble les hommes politiques et les partis, de droite et de gauche, susceptibles d’assumer des responsabilités, le “non” agglomère les souverainistes, les alter-mondialistes, les anti-européens, les anti-Turcs, le Parti communiste, la gauche du Parti socialiste, l’extrême droite et l’extrême gauche... »

Ce n’est pas tout, puisqu’il y a « de surcroît » : « De surcroît, ce “non” au référendum se nourrit de la colère sociale envers le gouvernement Raffarin, et plus généralement envers une sphère politique qui apparaît déconnectée des réalités quotidiennes. »

Vient alors une liste de mobiles hétéroclites, généreusement prêtés aux partisans du “non” qui fabriquent « une sorte de “non révolutionnaire français” que les partisans du “oui à une Europe organisée” ont bien du mal à endiguer. » Ce partage, entre un « non révolutionnaire » et un “Oui” qui - c’est vrai ... - ne l’est pas, clarifie le débat public.

Et voici la seule question qui importe : « Comment en sortir ? ». Réponse ? Faire comme « chacun ». Car « Chacun presse maintenant Jacques Chirac [...] d’intervenir solennellement. » Ou faire comme d’autres : « d’autres » que « chacun » ? Peu importe : « D’autres, comme François Bayrou, prônent des meetings communs des partisans du "oui" pour souligner l’importance de l’enjeu. »

Résumé : « Bref, la vraie campagne doit commencer pour poser les vraies questions et obtenir une vraie réponse à la question posée. »

C’est d’ailleurs ce que vient de faire Gilles Dauxerre en menant compagne sans évoquer le moindre argument (rationnel, ardu, austère) pour une « Vraie campagne » : la campagne en faveur du « Oui » [1].

Une seule “vraie” réponse : « oui » (bis)

Dans Sud-Ouest du 22 mars 2005, le titre principal de la Une (toujours composé d’un gros titre, d’une photo et d’une accroche, le tout occupant la majeure partie de la page) interroge : « Et si le non l’emportait ? »

L’accroche sous la photo précise cette question : « Improbable il y a seulement une semaine, le scénario prend corps au fil des sondages. Quelles pourraient être, pour l’Union et la vie politique française les conséquences d’une victoire du non au référendum sur la constitution ? Sud Ouest ouvre le dossier. »

... Et le ferme aussitôt par un éditorial de Frank De Bondt - « Incrédulité européenne » - où l’on peut lire ceci :

« C’est un sentiment d’incrédulité qui domine à la publication des derniers sondages. [...] Les partisans du non, ou du moins certains d’entre eux, se défendent bien sûr de vouloir la mort du projet européen [...] Mais ils seraient bien incapables de s’entendre sur un schéma qui les satisfasse tous, et davantage encore de réunir une majorité, en Europe, pour les suivre. Cet irréalisme extravagant laisse pantois nos partenaires. [...] Mais ce n’est pas sur le texte lui-même, qui est d’ailleurs susceptible d’être amélioré plus tard, comme vient de l’être le pacte de stabilité, que se jouera le référendum. C’est sur le sentiment qu’ont trop de Français, au-delà de leur envie de sanctionner le chef de l’Etat et son gouvernement, d’être dépossédés de leurs acquis sociaux, voire de leur statut ou de leur emploi, par une Europe qu’ils ont vue grandir à contre-coeur. Cette peur sera difficile à vaincre, parce qu’elle n’émane pas tant de Bruxelles que des transformations du monde auxquelles la société française résiste au lieu de s’adapter.  » [en gras : souligné par nous]

Il est rassurant de constater que Sud Ouest, quotidien régional de proximité, ne se laisse pas enfermer par les particularismes régionaux et prend de la hauteur, pour nous offrir un éditorial vu d’Europe. Et il n’est pas étonnant de constater que vus d’une telle altitude, les arguments des partisans du « non » se réduisent à leur irrationalité et à leur peur. On apprend donc que défendre des acquis sociaux, c’est résister (le mal) au lieu de s’adapter (le bien)...

Frank De Bondt, décidément très en verve, bénéficie en outre d’une double page intérieure qui, sobrement intitulée « Les conséquences d’un non français », est un condensé de l’argumentaire du partisan du « oui ». Sous le titre, cet avertissement qui résume l’article : « Le rejet du traité constitutionnel par les Français créerait une situation de crise dont l’Union européenne sortirait affaiblie et sans doute plus libérale. »

Fragment : « Si les Français devaient donner raison aux derniers sondages et se prononcer majoritairement contre le projet de traité constitutionnel, l’Union européenne basculerait dans une crise profonde et la vie politique française s’en trouverait bouleversée. A Bruxelles, certains parlent même de chaos. [...] ». A Sud-Ouest, apparemment aussi.

Notre propos n’est pas ici de discuter ces arguments. Mais de souligner qu’ils se présentent comme indiscutables [2]. On pourrait attendre d’un journal qui ne se présente pas officiellement comme le journal d’un parti qu’il présente les arguments en présence et non les seuls arguments du ... parti du « Oui » [3]. Aucune tribune libre, aucun entretien avec les partisans de la position adverse ne dispense les journalistes de faire leur propre travail. Quand on est aussi favorable à la concurrence (sauf dans la presse régionale...) que le sont les éditorialistes de Sud Ouest et d’ailleurs, on devrait peut-être veiller à ne pas céder à l’abus de position dominante. Or l’abus de position dominante est, dans la plupart des quotidiens régionaux, ... quotidien.

Une seule « vraie » réponse : « Oui » (ter)

Paris-Normandie, ce même 22 mars, est inquiet et titre en conséquence : « Et si le « non » gagnait... ». Présentation : « Improbable hier, envisagé aujourd’hui. Quelles seraient les conséquences d’un « non français au référendum sur la Constitution européenne ? »

Mais d’abord, il faut expliquer pourquoi, le « non » gagne du terrain : « Les trois raisons de refus français ». Avec cette introduction : « Le brusque renversement de tendance en faveur du « non » dans les derniers sondages sur le référendum constitutionnel européen apparaît en grande partie, comme la conjonction des inquiétudes exprimées par plusieurs catégories de Français dans un climat social tendu ». Et voici les trois raisons : « L’épouvantail Bolkestein, le malaise social et le monde rural oublié ». Le contenu même du Traité européen ? Exclu de la liste des « raisons ». Comme d’habitude, mépris des électeurs convaincus d’ignorance et soupçonnés de duplicité, puisqu’ils s’opposeraient au Traité pour des motifs tellement éloignés de son contenu qu’il ne mérite pas d’être évoqué.

Après ce hors d’œuvre, le plat de résistance : le recours à trois « analystes », dont les titres devraient impressionner : Yves Mény, « Président de l’Institut universitaire européen, à Florence, en Italie », Paul Magnette « de l’Université Libre de Bruxelles », et « un diplomate ». Ils sont tous favorables au « oui » ? Inutile de le préciser... D’ailleurs, ils ne sont pas engagés, puisque ce sont des « experts »... Un échantillon forcément représentatif, qui permet d’affirmer ceci : « Un rejet de la Constitution Européenne lors du référendum du 29 mai en France, porterait un coup fatal au traité, mais risquerait aussi de plonger l’Europe dans une crise politique majeure susceptible de durer longtemps selon plusieurs analystes. » Les « plusieurs » qui ne sont que trois permettent de recourir à ce subterfuge habituel quand on tente de dissimuler une prise de position : se retrancher derrière des « spécialistes ».... Qui assènent les convictions très ordinaires des partisans du « oui ». Inutile par conséquent de les reproduire ici. Une seule « vraie » réponse : « Oui » (quater)

Force est de constater que Les Dernières Nouvelles d’Alsace disposent d’éditorialistes dont l’arrogance n’a d’égal que le mépris pour tous ceux qui ne partagent pas leur point de vue (lire notamment : Les DNA méprisent les lecteur et l’électeur). A quoi il faut ajouter une indifférence hautaine pour les arguments qui reposeraient sur lecture du Traité (lire notamment : « Cachez ce Traité que je ne saurais voir »).

Olivier Picard est indubitablement l’un des meilleurs dans ce genre très prisé par les éditorialistes-pédagogues : la morgue.

Aucun sondage ne semble l’émouvoir au point de changer, sinon de conviction, du moins de ton ! Le 22 mars 2005, il poursuit donc sur la lancée de ses éditoriaux précédents en prenant à parti « Français, jusque-là nettement européens ».

« La montée du non dans les sondages...met au jour les stigmates d’un pays en plein doute, déclinant au point de se perdre dans la confusion de ses choix, de ses priorités, et de ses défis » [4]. Rien que ça ! Et à l’appui de la rhétorique réactionnaire du déclin, cette larme : « Ainsi, nous voilà prêts à tourner le dos à une nouvelle étape de la construction européenne en trouvant tous les bons prétextes à ce renoncement historique. » Excusez du peu !

Subitement, une phrase venue dont ne sait où, déchire la page : « Evidemment, les arguments des partisans du non sont à la fois recevables et légitimes. » Cet éclair de lucidité démocratique n’annonce rien : aucun exposé des « arguments recevables et légitimes ».

En revanche, le titre de l’éditorial est « très sexy » [5] : « La poupée qui dit non, non, non et non ».

Et en guise d’exposé des « arguments recevables et légitimes », Olivier Picard « explique » que les partisans du « non » sont mus par « une série d’exaspérations hexagonales  » : « Ce non-là est celui d’un pays qui n’a plus aucun complexe à étaler sa frilosité, voire sa peur devant l’avenir. ». Et pour effrayer, malgré tout, les partisans du oui, sans peur et sans reproche, quoi de mieux que les fantômes : « Le spectre du non réveille les fantômes qui hantent notre démocratie depuis des années... ». Autrement dit, le « non » ferait le jeu de l’extrême-droite. A quoi bon dans ces conditions, débattre des arguments des partisans du « non » ?

Une seule question : à qui s’adressent ces éditorialistes et analystes des quotidiens régionaux (qui sont presque tous en positions de monopole) quand ils pérorent contre ... une grande partie de leur lectorat ?

Yves Rebours, avec Colmar et Denis Perais.

 
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Notes

[1A noter cependant que La Provence n’est pas le seul quotidien de la région, en raison de l’existence de La Marseillaise dont nous reparlerons une autre fois.

[2Extraits : «  1. Mort du traité. [...] si la France rejetait le traité, le coeur de l’Union serait touché. Ce serait un désaveu terrible pour ses dirigeants, une humiliation pour notre pays face à l’Allemagne et aux quatre autres pays fondateurs.[...] La France perdrait, en outre, une bonne partie de son crédit. Son influence en Europe, déjà bien inférieure à ce qu’elle fut, ne pourrait que diminuer encore. 2. Retour à « Nice » Les partisans du non minimisent les conséquences de leur choix [...] Concrètement, le statu quo, mais avec une Europe élargie, signifierait la victoire des thèses britanniques. C’est-à-dire celle du marché. Il réduirait l’Union à son modèle économique et financier. Pour le coup, ceux qui redoutent une Europe libérale, une Europe de la concurrence à tout prix, sans contrepartie sociale, auraient du souci à se faire. 3. Renégocier un traité ? L’actuel projet de Constitution [...] est un compromis qui ménage les intérêts de tous dans le respect des cultures et des traditions politiques.[...] Sa renégociation souhaitée en France par les partisans du non semble impensable. [...] Le résultat final (à condition d’y parvenir) serait certainement plus libéral et moins social, parce que de nombreux pays sont surtout intéressés par le marché unique. 4. Recul garanti Le rejet du traité constitutionnel serait bien une défaite pour la France et un succès pour les plus libéraux. [...] Aucun traité européen ne s’est révélé définitif. La preuve : au traité de Rome, fondateur, ont succédé l’Acte unique, le traité de Maastricht, le traité d’Amsterdam et le traité de Nice. Tout est révisable. Y compris la Constitution française, qui détient même le record européen du changement. »

[3Pourtant Jean-Claude Guillebaud, sous le titre « Mauvais procès », avertissait, le 20 mars 2005, dans ... Sud Ouest : « D’un côté comme de l’autre, en effet, existent des arguments sérieux et qui mériteraient d’être pris en considération. »

[4En gras, ici comme dans les citations suivantes : souligné par nous

[5Rappelons aux lecteurs distraits que, selon Olivier Picard, pour être convaincant, il faut être « sexy ». Lire : Les DNA méprisent les lecteurs et l’électeur, ainsi que Lu, vu, entendu : « D’ici et d’ailleurs ».

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