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Ouest-France : racolage par affichettes sur la voie publique

par Muriel Brandily,

Les affichettes jaunes de Ouest-France polluent l’espace public. Chaque jour, elles attirent l’attention pour susciter l’achat du passant. On se souvient par exemple avec émotion d’une ancienne affichette titrée « Un motard tué par un pigeon ». Mais depuis la mise en place des thématiques sécuritaires, l’ambiance sur les affichettes est nettement moins portée vers le fait divers surréaliste.

Présentes sur le trottoir devant les magasins de la plupart des dépositaires (bureaux de tabac, presse, boulangerie, alimentation), ces affichettes racoleuses cultivent la peur devant un monde où tout peut arriver - surtout en bas de chez soi.

Relevé d’un mois d’affichettes jaunes à Rennes (où Ouest-France est le seul quotidien d’information locale existant)

Du 2 au 7 novembre (le lundi 1er est férié)

- Nantes : des braqueurs ligotent des employés
- Noyal sur Vilaine veut quitter la Métropole
- Rennes : 300 étudiants suivent l’élection de Bush
- Courant coupé chez la mamie malade
- Un forcené blesse 3 gendarmes

Faits divers -violences d’abord - de préférence.

Du 8 au 13 novembre

- Une rennaise témoigne à son retour de Côte d’Ivoire
- Douaniers braqués : un Caennais écroué
- Pas de fête foraine cette année à Rennes
- [11 novembre : Férié]
- La poursuite s’achève chez les gens du voyage
- Une salle de concert en projet à Rennes

La semaine précédente, c’était « Rennes : 300 étudiants suivent l’élection de Bush », cette fois c’est « Une rennaise témoigne à son retour de Côte d’Ivoire ». Ouest-France réinvente l’information internationale de proximité ! Dialogues (presque) imaginaires dans le bureau du rédacteur des affichettes jaunes : - « L’actualité internationale est vraiment trop importante. On va être obligé d’en parler : tu me trouves un truc sur ça à Rennes. » Et ce fut fait...
Mais très vite l’actualité locale reprend ses droits pour une semaine où le Rennais peut se dire que décidemment la violence (quelles que soient ses formes : accidentelle, meurtrière, en bande, sexuelle...) est partout et surtout près de chez lui :

Du 15 au 20 novembre

- Le lycéen meurtrier jugé en appel à Rennes
- St Brieuc : depuis 7 ans elle recherche ses enfants
- Rennes : incendie spectaculaire dans le centre
- Notre enquête : la violence dans les stades
- Un Rennais condamné pour harcèlement sexuel
- Reportage : « la rue de la soif » le jeudi soir

Ouest-France, premier quotidien national français, a décidé de se lancer dans le journalisme d’investigation (une enquête et un reportage la même semaine) et sur des sujets pointus : « la violence dans les stades » et « la rue de la soif ».

Le passant, piéton, cycliste, automobiliste, passager de transport en commun (les affichettes sont partout) est quand même étonné : « Notre enquête : la violence dans les stades » ? Un sujet général sans référence à la vie locale (le Stade rennais est beaucoup plus connu pour ses mauvais résultats que pour la violence de ses supporters). Etonnement vite passé : il s’agissait juste de conforter le climat sécuritaire général.

Après cette « enquête », le passant découvre le « Reportage : “la rue de la soif” le jeudi soir » ? A nouveau, étonnement : pourquoi choisir le jour de la sortie du beaujolais pour faire un « reportage » sur une rue où la consommation d’alcool notamment le jeudi soir (et tout ce qui peut aller avec) est déjà la règle toute l’année ?

Mais à cette occasion, le lecteur apprend que souvent le jeudi soir, des affrontements ont lieu à la sortie des bars entre des étudiants et les forces de l’ordre. Le lecteur furibard devant tant de débordements alcoolisés (il faut lire le courrier des lecteurs...) va pouvoir accueillir avec soulagement les mesures de la préfète. L’an passé, la présence de N. Sarkozy au Ministère de l’Intérieur avait obligée cette dernière à négocier une autorisation pour la traditionnelle rave des trans. Les forces de l’ordre avaient dû en plus subir le farouche désir des fans sans billet des Beruriers Noirs d’assister à leur concert. Cette fois-ci, la politique anti-jeunes (couvre-feu et silence) va se mettre en place, bien anticipée et accompagnée par Ouest-France.

Du lundi 22 au samedi 27 novembre

- Les fumeurs s’approvisionnent de plus en plus à l’étranger
- Téléphone portable : la 3e génération à Rennes
- Avant les Trans : où en est la scène rennaise ?
- Rennes : dialogue rompu pour la rave
- La préfecture interdit la rave des Trans
- Rennes : les fêtards dispersés au canon à eau

Le passant - médusé ou joyeux - apprend qu’on a fait usage d’un canon à eau contre des étudiants ivres : un canon à eau venu spécialement de Paris, sans qu’aucune trace d’indignation ni que le moindre questionnement n’apparaisse sur l’affichette jaune.

Deux « menaces » dans l’agenda de la préfète pointaient à l’occasion des Trans : elles sont éliminées (pas de rave officielle avec ses conséquences à gérer et des jeunes certainement refroidis par l’idée de voir requérir contre eux de la prison ferme). Ouest-France a suivi pas à pas les préparatifs de cette politique sécuritaire et répressive.
Et ça n’est pas fini, le lundi suivant, ça recommence :

Du lundi 29 au mardi 30 novembre

- Le Blosne : le ras-le-bol des habitants d’une tour
- Rave : le non ferme et définitif de la préfète.

Qu’est-ce qui peut provoquer le ras-le-bol des habitants d’une tour ? Le chômage, les discriminations... ? Non, les jeunes. Ouest-France, supplément de l’agenda de la préfète ? La question mérite d’ être posée.

Sur un mois d’affichettes jaunes (pour le canon à eau comme pour la mamie malade sans électricité), pas un seul point d’exclamation : Ouest-France n’est pas un journal d’opinion, croit-on. Il rapporte seulement des faits... Mais des faits soigneusement sélectionnés qui donnent chaque jour l’impression au passant de vivre à une époque dure, de plus en plus dure. Mais pourquoi ? Parce que des étudiants ivres constituent une menace à réprimer.

Muriel Brandily

 
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