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Venezuela : désinformation « haut de gamme » sur Arte

par Henri Maler,

Arte, 13 août 2004, journal de 19h45. Nathalie Georges présente le référendum révocatoire qui soit se tenir le 15 août au Venezuela : « Dans deux jours le Venezuela devra décider du sort de son Président. Partira ? Partira pas ? Les électeurs diront si oui ou non, ils veulent révoquer Hugo Chavez. L’enjeu est important.  ».

Puis, après une évocation très partielle (et partiale) des mobilisations des « anti- et des pro- Chavez » [1], la présentatrice annonce une mise en perspective (dont on trouvera la citation sonore ci-dessous) : « Comment en est-on arrivé là ? Le rappel des faits avec Esther-Marie Merz »

Ce « rappel » (1 minutes, 50 secondes) ... sera bref : un condensé « haut de gamme » d’ignorance et/ou de malveillance, d’informations approximatives et de falsifications manifestes. En trois étapes.

De fulgurants raccourcis

« C’est en 1998 qu’Hugo Chavez emménage au Palais présidentiel de Miraflores, élu à une écrasante majorité. Quelques années plus tôt, l’ancien sous-officier avait tenté de s’emparer du pouvoir par un coup d’Etat. Ce fut un échec. »

Ce rappel factuel n’appelle apparemment aucun commentaire. Mais, comme on le verra plus loin, le coup d’Etat de l’opposition en avril 2002, pour notre journaliste, ne mérite même pas cette appellation. Et, par un étonnant raccourci, peut-être dû à la nécessité de « faire bref », nous avons droit à un étonnant enchaînement du coup d’Etat de 1992 au soutien populaire de 1998 :

« Quelques années plus tôt, l’ancien sous-officier avait tenté de s’emparer du pouvoir par un coup d’Etat. Ce fut un échec. Mais depuis, pour les vénézuéliens les plus pauvres, il est le sauveur : celui qui va mettre fin à la crise économique et à la corruption du 5ème pays producteur mondial de pétrole. »

Le « sauveur » ? Le terme comporte une forte charge péjorative. Mais les espérances des « plus pauvres » n’ont sans doute pas la rationalité que l’on est en droit de prêter aux autres... Etonnantes espérances d’ailleurs qui ne portent que sur la crise économique et la corruption, et non sur la misère et les inégalités. Encore la nécessité de « faire court » ?

Bilan des espérances des plus pauvres ? Dans les phrases suivantes :

« Mais sur ce plan précisément les « années Chavez » ne changent pas la donne. Au contraire. Les investisseurs étrangers boudent le Venezuela. L’inflation et le chômage augmentent »

Disons-le avec mesure : c’est ... incomplet. Pas un mot sur la production et les cours du pétrole, pourtant décisifs pour l’économie vénézuélienne. Pas un mot sur la nouvelle Constitution et les décrets-lois engageant des réformes sociales qui pourtant entretiennent le soutien populaire et ... provoquent l’hostilité de l’opposition et des classes moyennes. Encore la nécessité de « faire court » ?

Pas seulement, car cet enchaînement est une véritable interprétation : « [...] les « années Chavez » ne changent pas la donne. Au contraire.[...] Résultat : les classes moyennes se détournent d’Hugo Chavez pour rejoindre l’opposition.  »

Mais le pire est encore à venir. Le voici...

Des falsifications manifestes

En avril 2002, l’opposition fomente un coup d’Etat dont la journaliste d’Arte n’a pas encore entendu parler. Elle résume donc :

« Le 11 avril 2002, des centaines de milliers d’opposants marchent sur le Palais présidentiel. Sur ordre du Président, la police tire . Bilan : 17 morts et des centaines de blessés. Chavez consent à quitter le Palais Miraflores. Mais 48 heures plus tard , il est de retour . » [souligné par nous]

Cette version à la fois scandaleuse et grotesque est très exactement celle de l’opposition ou, plus exactement, la version d’une partie de l’opposition, tellement elle est outrancière.

Même Reporters sans frontières (qui, en raison son hostilité au gouvernement Chavez, multiplie les contorsions) n’ose pas dissimuler complètement la vérité. Dans un rapport rendu public le 10 avril 2003 sous le titre « Entre autoritarisme du Président et intolérance des médias », RSF écrit :

« Le 11 avril 2002, l’opposition en est à son troisième jour de grève générale. Des centaines de milliers de personnes défilent dans la rue. Alors que le cortège décide de se diriger vers le palais présidentiel, des tirs éclatent dans la plus grande confusion provoquant la mort de vingt personnes et faisant plus de quatre-vingts blessés. Une fraction de l’armée annonce alors son ralliement à l’opposition et, dans la soirée, le Président est déposé . Pedro Carmona, président de Fedecámaras, l’association des chefs d’entreprise, est nommé à la tête du gouvernement de facto et annonce bientôt la dissolution de l’Assemblée législative et de la Cour suprême. Mais, dans la nuit du 13 au 14 avril, grâce à l’appui de forces loyalistes et après des manifestations réclamant son retour, Hugo Chavez revient au palais présidentiel . » (souligné par nous)

La journaliste d’Arte, elle, « sait » que « sur ordre du Président, la police tire », que « Chavez consent à quitter le Palais Miraflores » et que, par magie, « 48 heures plus tard, il est de retour  ». [2]

Et pour couronner le tout, on entend - illustration visuelle et sonore évidemmment ridicule en l’absence du contexte - Chavez proclamer avec un grand sourire : « Je suis et je reste le roi »

Après ce morceau de bravoure journalistique, tout le reste est peccadilles.

Vite, on est pressés

Encore et toujours, la nécessité de « faire court »... Et, pour nous aussi, d’abréger en plaçant de brefs commentaires entre crochets.

« L’opposition n’abandonne pas. En 2002, elle lance une grande grève dans le secteur pétrolier [dans le but d’obtenir par une grève politique la démission de Chavez]. Puis en 2004, elle mise sur le référendum récemment inscrit dans la Constitution [à l’initiative du gouvernement]. Après plusieurs mois de confrontation [???], elle parvient à rassembler les 20% de signatures nécessaires. Début juin, Hugo Chavez crée la surprise : il accepte le référendum.  »[car c’est une « surprise » que Chavez respecte la Contitution qu’il a lui-même contribué à faire adopter !] »

La fin est nettement plus « apaisée » : « Le 15 août, les vénézuéliens choisiront de révoquer ou non leur Président. Tout est possible désormais. Mais Hugo Chavez se dit confiant. L’homme aime se comparer à son célèbre prédécesseur, Simon Bolivar, qui au début du 19ème siècle avait donné au Venezuela son indépendance  », indique la journaliste avant de laisser Chavez expliquer qu’« Il faut rendre au peuple ce qui appartient au peuple  ».

Une dernière illustration sonore que l’on peut interpréter comme un éloge du respect par Chavez des normes fondamentales de la démocratie...

Pour écouter, cette minute 50 d’explications complexes :

On l’a dit : c’est un condensé « haut de gamme » d’ignorance et/ou de malveillance, d’informations approximatives et de falsifications manifestes... dont on ne sait à quoi il faut l’imputer. La nécessité de « faire court », peut-être ?!

Henri Maler

 
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Notes

[1Pour la journaliste, en effet, « Dans le centre de Caracas, des centaines de milliers de personnes ont manifesté en faveur du oui au départ du président Chavez » tandis que « le président lui, a retrouvé ses partisans - ceux qui veulent le voir rester au pouvoir, pour un dernier discours destiné à mobiliser les électeurs. » D’un côté, des centaines de milliers de personnes, de l’autre, uniquement les « partisans » et une ultime tentative pour les mobiliser. Le peuple contre des militants politiques. A cette partition de la légitimité démocratique et des forces répond le contraste des images. D’un côté une manifestation populaire illustrée par des images d’une foule s’étendant à perte de vue, de l’autre un meeting très institutionnel avec une scène ,le discours de Chavez et l’image de deux militaires manifestant leur soutien.

[2Lire, pour une explication exacte, dans Le Monde Diplomatique : « Coup d’Etat au Venezuela : Hugo Chávez sauvé par le peuple », par Maurice Lemoine.

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