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Venezuela : Quand Libération suggère de destituer Chavez

par Henri Maler,

A deux jours, du référendum révocatoire contre le Président Hugo Chavez réclamé et obtenu par l’opposition, un article de Jean-Hébert Armengaud, un « envoyé spécial » qui désinforme avec constance et sans retenue. (Lire ici même : « Quand Libération enquête au Venezuela  », publié en 2002)

Armengaud est personnellement hostile au gouvernement d’Hugo Chavez : c’est évidement son droit. Mais, Armengaud est journaliste et rédige un article d’information et non un éditorial. A défaut d’attendre de lui une improbable objectivité, on pourrait espérer un minimum de probité... Peine perdue : le cas de Armengaud est un cas désespéré.

Jean-Hébert Armengaud « envoyé spécial » est arrivé à Caracas. Ce qui nous vaut, dans Libération du vendredi 13 août 2004, un article d’une haute tenue. Titre : «  La « révolution bolivarienne » mise aux voix à Caracas  ». Sous-titre : « Référendum, dimanche au Venezuela, pour révoquer ou non le président Chavez. »

Depuis son arrivée à Caracas, Armengaud a eu le temps de se rendre dans deux quartiers populaires et d’y rencontrer... deux habitants - l’un soutenant Chavez et l’autre favorable à son départ. Deux visites destinées à mettre en scène et en page l’existence d’un soutien populaire à l’opposition et de tenter de briser l’image, pourtant fondée, d’une opposition au président Chavez soutenue essentiellement par l’oligarchie et les classes moyennes. Du grand reportage de propagande ?

Micro-trottoir tropical et populaire.

Voici comment Armengaud présente - c’est aussi le début de son article - son (bref) séjour dans le premier quartier :

« Sur un mur gris du quartier populaire de Petare, à l’est de Caracas, le graffiti est direct : « Ici, il y a des couilles et des ovaires pour défendre Chavez ! » A l’approche du référendum de dimanche qui remet en jeu le mandat du très contesté président vénézuélien Hugo Chavez et de sa « révolution bolivarienne » [...], les esprits sont échauffés , même si la violence se limite aux discours. « Cette révolution, personne ne l’arrêtera et, s’il le faut, nous la défendrons avec notre sang », lance Luis qui, à Petare, tente d’animer avec quelques collègues un kiosque des partisans de Chavez. L’affluence est rare , quelques passants isolés viennent se renseigner sur les fameuses nouvelles machines à voter électroniques, prévues pour éviter tout soupçon de fraude sur les résultats du scrutin . Luis répète à l’envi le discours désormais rodé du « révolutionnaire bolivarien ». [...] (souligné par nous)

Et voici comme il présente son (bref) passage dans le second :

« Sur les hauteurs de Catia, autre barrio qui domine la capitale de ses petites maisons de briques brutes couvertes de tôle ondulée, José anime depuis plus de vingt ans une association de quartier qui lutte pied à pied pour les conditions de vie meilleure s, ramassage des ordures, espaces verts, transports publics... Il fait campagne pour le départ de Chavez . Schématiser une lutte des pauvres contre les riches est ridicule. Ici aussi le quartier est divisé... La pauvreté, le chômage, ont augmenté et avec eux la mendicité et la délinquance. Les conditions de vie ne s’améliorent pas.. [...] Chavez a eu sa chance, il aurait pu transformer vraiment le pays, mais tous ces espoirs se résument aujourd’hui à rien, à une zizanie permanente sur la révolution et la contre-révolution.”  »

De discutons pas les arguments de José. Ne lui imputons pas un « discours désormais rodé », alors qu’il reprend les propos désormais habituels de l’opposition. Et admirons le travail du journaliste : d’un côté, des slogans virulents, des « esprits échauffés », un kiosque dépeuplé, des propos stéréotypés ; de l’autre un animateur d’association dont les propos sont présentés sans distance, tant ils confirment ... ce qu’ Armengaud pense lui même et veut nous faire penser.

Politologie tropicale et amnésique

Entre ces deux visites - donc entre les deux paragraphes qui leur sont consacrés -, Jean-Hébert a inséré un résumé, en quelques lignes, du conflit politique.

« Hugo Chavez a promis de respecter le résultat du référendum, de s’en aller si le oui l’emporte, mais de se représenter au scrutin présidentiel qui devrait suivre alors dans les trente jours. En face, les partisans du oui, qui réclament le départ du Président depuis plus de deux ans, tirent leur force mais aussi leur faiblesse de leur union. La Coordination démocratique réunit l’ensemble des partis d’opposition, de la gauche à la droite, mais aussi la société civile, syndicats, associations, ONG... Un mélange hétéroclite d’où n’a toujours pas émergé un leader présidentiable potentiel. »

Du grand art...

- D’abord des asymétries et des omissions significatives. Si « Hugo Chavez a promis de respecter le résultat du référendum », pourquoi ne pas dire que l’opposition ne l’a toujours pas fait ? Puisque « en face, les partisans du oui, [...] réclament le départ du Président depuis plus de deux ans », pourquoi omettre que cette humble « demande » a pris la forme d’un coup d’Etat et d’une grève générale.

- Ensuite, une présentation de l’opposition par elle-même : « La Coordination démocratique réunit l’ensemble des partis d’opposition, de la gauche à la droite, mais aussi la société civile, syndicats, associations, ONG...  ». Non seulement tous les partis (« de la gauche à la droite »), mais aussi « la société civile, syndicats, association, ONG ». Evidemment, les pauvres qui, selon toute vraisemblance, soutiennent le gouvernement ne font pas partie de « la société civile ». Quant aux « syndicats associations, ONG », ils ont perdu tout article : « les » ou « des » ? La grammaire d’Armengaud est prudente... et le dispense de détailler.

Politologie tropicale et spécialiste

Un sous-titre entre guillemets - « Projet militaire » - introduit un diagnostic d’une remarquable précision, confortée par les propos d’un « historien spécialiste » :

«  Mélange, en vrac, de messianisme populiste et d’autocratisme militaire, de références à Fidel Castro, à Dieu et à Bolivar, de nationalisme exacerbé et « d’anti-impérialisme », la « révolution » du « Comandante » ¬ responsable d’une tentative de coup d’Etat en 1992 avant d’être élu démocratiquement en 1998 ¬ est essentiellement... ». Quoi donc ? Nous allons le découvrir. En attendant, le pot-pourri d’appellations diverses qu’Armengaud octroie à la « révolution » est suffisamment lourd et grossier pour qu’on ne l’attribue pas à une verve satirique chancelante : la polémique revêt ici les atours élimés de la stricte propagande.

Mais allons à l’essentiel :
« [...] la « révolution » du « Comandante » ¬ responsable d’une tentative de coup d’Etat en 1992 avant d’être élu démocratiquement en 1998 ¬ est essentiellement « un projet militaire »[...] ». Cette « essence », Armengaud nous assure qu’il ne l’a pas inventée. Que l’information est digne de foi, puisque ’elle émane de « Domingo Irwin, historien spécialiste du rôle des forces armées vénézuéliennes .  », qui déclare notamment : «  [...] nous sommes en fait devant le premier gouvernement militaire du XXIe siècle en Amérique du Sud. Pas une dictature mais un gouvernement prétorien, par définition autoritaire, fondamentalement persuadé, comme cela est souvent arrivé sur ce continent, que l’armée est responsable du développement du pays et non pas destinée à rester dans les casernes. »

Le minimum d’information exigible serait de préciser que ce propos de « spécialiste », est un argument de l’opposition ou favorable à l’opposition et non une vérité révélée. Comme le commentaire suivant d’ailleurs. En effet, sous un sous-titre démocratiquement exigeant - « Séparation des pouvoirs » -, Armengaud poursuit à propos d’une loi récemment adoptée et, comme toute loi, évidemment, discutable : « Nombre d’organisations des droits de l’homme s’inquiètent de la propension du régime à vouloir accaparer tous les pouvoirs, notamment judiciaire  ». Mais que disent ceux qui défendent cette loi ? Qu’importe : la dénonciation unilatérale de prétendues dérives autoritaires est confortée par une citation de Human Rights Watch : « L’indépendance du pouvoir judiciaire et la séparation des pouvoirs sont mises à mal par cette loi », note un rapport de Human Rights Watch qui soupçonne le président Hugo Chavez de vouloir aujourd’hui « reconstruire un pouvoir judiciaire au service de ses propres intérêts » comme le firent, « dans les années 90, Carlos Menem en Argentine et Alberto Fujimori au Pérou ».

Et Armengaud de conclure, menaçant : « Deux anciens présidents aujourd’hui activement réclamés par la justice de leur pays ». Faut-il comprendre que Libération demande, la vielle du référendum et faute d’informer si peu que ce soit sur sa préparation, que Chavez soit traduit devant un tribunal ? Ce serait décidément très étonnant dans un article de pure information...

Une seule question se pose alors : pourquoi cet article n’est-il pas passé dans les pages « Rebonds » ? Une réponse possible : parce que Libération avait déjà publié le mardi 10 août dans ces pages une tribune libre [1] truffée du même genre d’approximations, d’inexactitudes ou de mensonges malveillants que ceux qu’Armengaud prend et veut nous faire prendre pour des informations.

Henri Maler

 
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Notes

[1« Ne soutenons pas Chavez » par Michaël Prazann

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