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Presse alternative

CQFD : un journal alternatif aussi par ses pratiques

par Jacques-Olivier Teyssier,

Depuis mai 2003, CQFD sort régulièrement dans toute la France, le 15 du mois. Grâce à un « noyau dur » basé à Marseille et à un fonctionnement de plus en plus professionnel. Mais sans renier les principes libertaires. Et avec une ligne éditoriale qui conteste l’ordre établi. [1]

« Je m’en tape de faire un journal. Je pourrais faire la même chose avec de l’huile d’olive de Palestine. » A l’en croire, Lionel Raymond dit « Pilou » [2], aurait pu travailler dans l’agro alimentaire. CQFD, le mensuel réalisé à Marseille, est en effet un projet dans lequel il veut avant tout « construire des rapports dans la structure, en relation avec ce que l’on souhaiterait dans la société » et « toucher le maximum de gens sans se comporter comme une pourriture. » Car, comme le dit Olivier Cyran, un autre pilier du journal, « ce qu’on fait n’est pas plus important que la manière dont on le fait. »

Il faut dire que ce dernier n’a pas de très bons souvenirs des dix ans qu’il a passés à Charlie Hebdo. Il évoque un « vrai conflit » avec Philippe Val et se souvient aussi de l’entreprise Charlie où « à part quelques cas isolés, on retrouve les mêmes mécanismes de domination, de soumission consentie, de manipulation, de lâcheté, de pas ouvrir sa gueule quand il y a des gros problèmes, de laisser tomber des copains qui s’en prennent plein la gueule.  » Lionel Raymond, quant à lui, était bénévole à la Cimade, association d’aide aux étrangers en France, avant de se faire éjecter « parce qu’il était trop activiste », selon O. Cyran qui rapproche l’expérience de L. Raymond à la Cimade de la sienne à Charlie.

« Le titre a été choisi à l’issue d’une longue réunion abreuvée »
François Maliet


Un idéalisme pragmatique
C’est donc un groupe « politico affinitaire », selon l’expression de L. Raymond, qui se retrouve pour lancer CQFD. Avec une base de départ : « Le RIRe » (Réseau d’Information Réfractaire), une association qui gérait un centre de documentation et éditait un journal qui tirait à quelques centaines d’exemplaires. Sans être des idéologues, ils se disent libertaires notamment parce que, selon O. Cyran, c’est dans ces milieux que l’on trouve « la vigilance la plus grande par rapport aux dérives de pouvoir, aux mécanismes d’autorité et de domination ». Lionel Raymond, quant à lui, se dit communiste libertaire, idéologie qu’il résume en « action collective et respect de l’individu ».

Des libertaires aux commandes d’un journal donc. « Beaucoup de gens nous ont dit qu’on n’arriverait pas à sortir 2 numéros de suite » se souvient O. Cyran. Après le numéro 12 sorti le 15 mai dernier, on ne peut pourtant pas parler de hasard. Peut-être parce que c’est un idéalisme pragmatique qui est au pouvoir à CQFD. Il n’y a, par exemple, pas de rédacteur en chef mais pour fonctionner sur des bases égalitaires tout en ayant une organisation efficace, les tâches principales sont déléguées via des mandats. Ils sont confiés tous les six mois à trois personnes, lors de l’assemblée générale des membres de l’association « Le RIRe ». Et pour aborder le contenu du journal, les 7 membres du comité de rédaction se réunissent tous les mois et font le point avec les trois mandatés.

Tous bénévoles
Le « pépin mou marseillais » - Lionel Raymond se refuse à parler de noyau dur - se charge donc des tâches essentielles à la sortie du journal. Olivier Cyran gère les relations avec les rédacteurs, rédige lui-même des articles, assure la correction et la titraille. Lionel Raymond s’occupe des relations avec les dessinateurs, de la mise en page, de l’impression et de la diffusion hors abonnés. François Maliet, le troisième pilier, se charge du courrier, de la diffusion aux abonnés et du site internet. Il rédige également les articles antimilitaristes. Les autres collaborateurs, une trentaines de rédacteurs et dessinateurs, sont tous bénévoles. « On est tous dans des réseaux, dans des luttes. Pour dire rapidement : dans le mouvement social » résume Olivier Cyran. Et répartis dans toute la France.

La diffusion est aussi nationale et dans ce domaine le pragmatisme prévaut également. Même si une partie de la diffusion est assurée par la coopérative alternative Co-errances, pas question de se passer des kiosques. Ils utilisent donc le réseau des NMPP, contraints et forcés par le monopole dont elles disposent dans ce domaine. Résultat : une diffusion au numéro de l’ordre de 5 000. Quant à la publicité pour faire connaître CQFD, pas de compromis, en revanche : elle est proscrite. Le collage d’affiches et la diffusion dans les manifestations sont les seuls outils admis. Sinon ce serait pour L. Raymond un « constat d’échec sur l’autogestion ». Quant à l’envoi des 2 000 abonnements, ce sont les abonnés marseillais qui s’en chargent. Outre l’économie qu’il considère d’ailleurs faible, L. Raymond y voit surtout l’occasion d’échanges entre et avec les lecteurs, aussi le moyen de faire participer le plus grand nombre de gens au projet. Même s’il dit ne pas vouloir « tomber non plus dans un délire libertoïde en parlant du "journal dont tu es le héro". »

Au-delà de la débrouille qui a permis au journal de se développer, il y a une volonté de professionnaliser le fonctionnement. Avec la location d’un vrai local en haut de la Canebière. Ou encore la mise en place d’une comptabilité car « on ne fonctionne pas pareil à 1 000 exemplaires et à 10 000 » comme le dit L. Raymond. Et puis ça a permis de savoir s’il était possible de salarier Olivier Cyran. Pas très égalitaire de prendre « la galette pour consolider l’édifice plutôt que se la partager », c’est-à-dire de salarier une personne plutôt que donner un peu à chaque collaborateur. Mais ils le considèrent comme essentiel à la survie du journal. O. Cyran, chômeur en fin de droit, une femme intermittente et deux enfants en bas âge, le voit aussi comme « un acte de solidarité du groupe envers un camarade qui était dans la merde ». Son salaire de 1 500 € versé depuis mars 2004 représente, avec les charges, un coût mensuel d’environ 2500 € pour le journal. Il s’ajoute aux 4 000 € environ de frais fixes (impression, expédition, local, téléphone,...). La publicité pour augmenter les rentrées d’argent ? « On ne s’est même pas posé la question  » tranche François Maliet. Seule issue : vendre plus de numéros.



« En fait lors de l’une de nos premières réunions, j’étais arrivé avec un bouquin de Simplicissimus, un journal allemand de la fin du 19e siècle, un journal très virulent anti-militariste, anti- monarchique, anti-prussien, un peu anar de l’époque. Ce chien qui a été dessiné en 1897, c’était un peu leur mascotte. Il a cassé la chaîne et il manque de te sauter à la gueule. Aujourd’hui je trouve que ça fonctionne toujours bien. Alors on l’a adopté.  »
Olivier Cyran


«  Dénoncer les injustices  »
Avec comme arme principale une ligne éditoriale qui se situe dans la contestation de l’ordre établi pour « donner des biscuits aux luttes ». Il s’agit aussi, comme l’indique O. Cyran, de « dénoncer les injustices » et pas seulement sur les thèmes de l’anti-militarisme, du droit d’asile, de l’immigration ou du sécuritaire qu’ils connaissent bien. Il s’agit en effet aussi, toujours selon O. Cyran, de «  remonter un peu les brettelles aux chers camarades de quelque obédience que ce soit à travers la rubrique Faux amis.  » Philippe Val, Manu Chao, Christophe Aguiton, Daniel Mermet ont notamment été brocardés. Car « si on n’est pas capable de dénoncer, de s’indigner des injustices commises dans nos propres milieux, on n’est pas forcément super bons pour s’attaquer à celles commises par les adversaires » explique-t-il. Il est par ailleurs convaincu que la contradiction qui existe parfois entre les opinions, disons de gauche, et certains comportements « inadmissibles » doit être dénoncée, parce que « ça fait des vrais dégâts » chez les personnes qui en sont victimes.

Les questions internationales sont aussi présentes avec des dossiers sur la Tchétchénie, les Roms ou la Bosnie. Et le social avec, par exemple, une enquête sur les travailleurs immigrés saisonniers. Car il n’est pas question de ne publier que des billets d’humeur ou des éditoriaux, « du jus de cerveau » selon Lionel Raymond ni de faire du « journalisme Google ». Et même s’il n’aime pas trop procéder par comparaison, il résume ainsi l’ambition de la ligne éditoriale : « faire un Charlie mieux informé et un Diplo plus accessible. »

Jacques-Olivier Teyssier


Les propos d’Olivier Cyran ont été recueillis le 17 février 2004 à Paris. Ceux de Lionel Raymond les 1er et 2 mars 2004, ceux de François Maliet le 1er mars 2004 à Marseille.



Abonnement : 11 numéros, 20€
http://cequilfautdetruire.org/
CQFD
BP 2402
13215 Marseille cedex 02

 
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Notes

[1Après Fakir, nous poursuivons avec cet article, l’étude de la presse indépendante et alternative. Toutes les contributions des journaux concernés sont les bienvenues. Ecrire à acrimed@wanadoo.fr

[2P. c’était lui dans le film de Pierre Carles « Attention Danger Travail ». Celui qui était assis devant un mur de boites d’archives de Politis, S !lence, etc

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