Accueil > Critiques > (...) > Après « le séisme ». Questions aux journalismes

Des écrans sécuritaires en service politique non commandé

Après le "séisme", le "raz-de marée" ? Des centaines de pages et d’ heures d’antennes sont consacrés aux résultats du premier tour des élections présidentielles. Se prévalant du rôle d’ observateurs impartiaux , éditorialistes, présentateurs et sondologues, se défendent d’avoir joué un rôle actif dans le processus électoral : ce sont des antilepénistes aux mains pures...

Pourtant, les médias contribuent à façonner des représentations qui ne sont pas sans effets.

Le "problème de l’insécurité" a, nous dit-on, plombé la campagne électorale.

Mais trop rares sont les journalistes - on revient plus loin sur les exceptions - qui ont pris la mesure de la responsabilité des médias , notamment télévisés (et des sondologues) dans la construction médiatique dudit problème.

Sans doute, l’insécurité n’est-elle pas une invention des journalistes : il existe indubitablement des actes de délinquance contre les personnes et les biens. Mais la mise en scène d’un "problème de l’insécurité" (comme on construisit hier encore un "problème de l’immigration") est un fait médiatique et politique qui doit être analysé comme tel.

Les journaux télévisés se sont emparés de tous les faits divers qui leur permettaient de construire un représentation médiatique de "la" violence, accréditant ainsi le "tout-sécuritaire" dont ils ont été, eux aussi, les promoteurs.

Sans doute est-il difficile de mesurer l’impact du tout-violence et tout-sécuritaire des journaux télévisés. Mais on peut au moins leur prêter un double effet de légitimation.
 La légitimation de l’agenda des principaux candidats qui ont épousé la représentation médiatique du "problème de l’insécurité" ;
 La légitimation du vote pour Le Pen perçu comme un vote "contre l’insécurité".

C’est un expert en l’occurrence – mais venu d’Italie – qui a vendu la mèche.


Quand Berlusconi explique le rôle de certains journalistes

Dans Le Canard enchaîné du 17 avril, page 2 on pouvait lire ceci :

LES LECONS DE SUA EMITTENZA

... Ce même Madelin, qui se targue d’une amitié ancienne avec Berlusconi, raconte en privé qu’au début de la campagne il a confié au gourou libéral italien ses inquiétudes sur les penchants socialistes des journalistes français.

« Ce n’est pas du tout préoccupant, lui a rétorqué Berlusconi : en Italie aussi les journalistes sont à gauche, y compris ceux que j’emploie. Mais quand, au début de notre campagne électorale, ils ont commencé à mettre le paquet sur la sécurité, j’ai su que nous allions gagner. »

Et c’est Jacques Chirac lui-même qui a confirmé la leçon de Berlusconi.


Quand Jacques Chirac confirme la leçon de Berlusconi

Le mercredi 24 avril 2002, répondant à Olivier Mazerolles sur France 2 qui, invoque ses « adversaires de gauche » qui disent qu’il a « servi un peu les idées de l’extrême droite en basant sa campagne sur la sécurité », Jacques Chirac réplique :

« Il aurait fallu être tout à fait sourd pour ne pas entendre ce que disaient les Français avant la campagne. (...) Vous savez, je regarde aussi les journaux télévisés. Qu’est-ce que je vois depuis des mois et des mois : tous les jours ces actes de violence, de délinquance, de criminalité. C’est bien le reflet d’une certaine situation. Ce n’est pas moi qui choisissais vos sujets. »

Deux jours auparavant, c’est un éditorialiste en l’occurrence, mais de Belgique qui, le premier à notre connaissance, tiré la conclusion qui s’impose.


Quand un éditorialiste belge dénonce le rôle joué par certains journalistes

Dans La Libre Belgique du lundi 22 avril 2002, on pouvait lire sous la signature de Bernard Delattre et dans un éditorial intitulé " Une crise de régime " ce diagnostic lucide :

« Qui est responsable de ce séisme ? La classe politique, bien sûr. La droite, qui jadis pactisa avec le FN puis tenta de récupérer ses diatribes sécuritaires à des fins électorales, ce qui fit le lit de Le Pen. La gauche aussi, bien sûr : qui jadis utilisa l’extrême droite contre la droite, puis minimisa avec naïveté le terreau sécuritaire sur lequel Le Pen grandit. La droite et la gauche de concert encore, qui tardèrent à assainir leurs mœurs politiques, ce qui alimenta l’anti-politisme rampant, et – myopes, lointains, parisiens – se coupèrent de leur électorat populaire.

Mais les politiques ne sont pas seuls en cause. Cette campagne l’a encore bien montré : certains médias français, lorsqu’ils n’ont pas participé de manière purement intéressée à la surenchère faite autour de l’insécurité, ont clairement abdiqué leur mission d’explication et de pédagogie. Ils se sont livrés à une opération de dénigrement systématique, visant soit l’enjeu électoral proprement dit (en présentant le scrutin comme couru d’avance), soit les candidats en lice (en raillant leur manque de nouveauté, d’audace, d’ambition, de crédibilité ou de charisme), soit les projets présentés (tous étant peu ou prou jugés semblables et sans intérêt). Ce bourrage de crâne a sans doute contribué à démobiliser les foules et à ouvrir un boulevard au vote ’ultra’. »

Le lundi 22 avril, la revue de presse en ligne de Courrier international mentionnait ce commentaire avisé... mais sans s’y attarder.

 
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