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Campagne contre Pascal Boniface

Les gardiens de la bienséance pro-israélienne

par Pascal Dillane,

Annonçant la démission du PS du chercheur Pascal Boniface, Libération et Le Monde charcutent soigneusement ses propos.

Le chercheur Pascal Boniface a annoncé sa démission du Parti socialiste. Ce spécialiste des questions internationales, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), était chargé des questions stratégiques au PS quand, en avril 2001, il remettait a la direction du Parti une note dont le grand public apprendra l’existence - à défaut du contenu - l’été suivant, à la faveur d’une passe d’armes entre l’auteur et l’ambassadeur d’Israël dans les colonnes du Monde [1]. Depuis, la polémique ne s’est pas apaisée [2]. Et Pascal Boniface revient sur cette affaire dans un livre, Est-il permis de critiquer Israël ?, où est reproduite la fameuse note (Lire Bernard Langlois dans Politis du 23 juillet 2003 [3]).

Annonçant le départ de Boniface du PS, Libération (18 juillet 2003) et Le Monde (19 juillet 2003) retracent d’une bien curieuse façon les termes du débat.

Première curiosité, dans Libération : le 18 juillet, l’article dans l’édition papier était titré : " Israël provoque des remous au PS ", mais quand nous consultons, le 21 juillet, le site internet de Libération, le titre est devenu : " Israël fait claquer la porte du PS ".

Le contenu même de l’article est bien plus intriguant. Pour expliquer les raisons de la démission de Boniface, Jean-Dominique Merchet écrit que le chercheur " accuse le PS, dont il est membre depuis 1980, de "communautarisme" - comprendre d’un alignement excessif sur les positions pro-israéliennes de la communauté juive. "

Passons sur " les positions pro-israéliennes de la communauté juive ", un raccourci qui peut apparaître a la fois simpliste et globalisant.

Plus important, le " communautarisme " du PS est en effet le motif mis en avant par Boniface. Pour lui (on peut le lire dans sa fameuse note comme dans son récent livre), la politique internationale d’un pays ne doit pas s’ajuster selon le poids de ses différentes " communautés " mais se fonder sur des principes universels (droits de l’homme, droit international...).

Il est donc pour le moins abusif de la part de Jean-Dominique Merchet de réduire cette thèse à la question de l’ " alignement " du PS sur les " positions pro-israéliennes " supposées de la " communauté juive ". D’ailleurs, dans Le Monde, Camille Boulongne écrit plutôt que Boniface reproche au PS " de privilégier "ceux qui ont une lecture ethnique du conflit israélo-palestinien" ".

Mais Libération et Le Monde se rejoignent pour présenter de façon biaisée le contenu de la note d’avril 2001. Le premier écrit que Boniface " s’interroge, dans sa note interne destinée à François Hollande et Henri Nallet, chargé des affaires internationales au PS, sur "l’efficacité électorale" des positions du parti, jugées trop favorables à Israël alors que l’électorat d’origine arabe pèse de plus en plus lourd. " Tandis que le quotidien du soir prétend que Boniface " s’interroge sur l’"efficacité" d’une ligne politique jugée trop favorable à l’Etat juif alors que l’influence de l’électorat originaire de pays soutenant la cause palestinienne va grandissante. "

En réalité, la question électorale n’est abordée que secondairement dans cette note - Boniface n’est pas politologue mais expert en questions internationales et stratégiques. La note traite essentiellement des critères a appliquer au conflit israélo-palestinien, qui devraient être les mêmes que pour toutes les autres crises internationales : Boniface met en garde contre le " deux poids-deux mesures ".

Libération écrit ensuite : " "Peut-on diaboliser Haider et traiter normalement Sharon ?" demande-t-il dans ce texte, en mettant sur le même plan le leader de l’extrême droite autrichienne, connu pour ses positions ambiguës sur le nazisme, et un dirigeant israélien. "

En realité, voici la phrase écrite par Boniface : " Peut-on diaboliser Haider et traiter normalement Sharon, qui ne s’est pas, lui, contenté de dérapages verbaux mais est passé aux actes ? " (le mot "diaboliser" est en italiques). Dans son livre récemment paru, Boniface est plus précis, rappelant notamment que le gouvernement Sharon comporte des représentants de partis d’extrême droite.

A la lecture de la note, on voit bien que cette phrase n’est qu’une incidente et non pas un argument décisif du développement. Mais très curieusement, Le Monde, qui ne cite pourtant que deux très courts extraits d’une note de six pages, a retenu le même passage que Libé, celui sur Haider.

Encore plus fort : Le Monde tronque la phrase exactement de la même façon que Libération : " "Peut-on diaboliser Haider -le dirigeant populiste autrichien dont on rappelait alors les ambiguïtés par rapport au nazisme- et traiter normalement Sharon ?", demandait-il. "

La méthode est connue : elle consiste, pour discréditer un propos, à ne surtout pas faire état de son argumentation principale, mais à focaliser l’attention sur deux ou trois extraits périphériques, courts et le plus souvent tronqués, qu’on noircira par une interprétation aux apparences pédagogiques. Le tout suffisant à démolir l’ensemble pour le lecteur qui n’en a pas eu directement connaissance.

Dans Libération, pour couronner le tout, un encadré offre une lecture tout aussi orientée du livre Est-il permis de critiquer Israël ? L’auteur de l’article ironise : ce livre et les témoignages que Boniface rapporte montrent qu’ " il n’est aujourd’hui pas si difficile de critiquer Israël ".

C’est prendre les lecteurs pour des imbéciles. En effet, ce que Boniface explique, de nombreux exemples à l’appui, c’est que, depuis quelques temps, émettre publiquement des désaccords à l’égard de la politique du gouvernement israélien, c’est s’exposer quasi-systématiquement à l’accusation d’antisémitisme, voire, comme dans son cas, à une campagne de dénigrement qui peut aller jusqu’à l’interdit professionnel. Toutes méthodes qui n’ont rien à voir avec le débat démocratique [4].

L’auteur de l’article ne fait pas défaut à la règle, qui, au lieu de commenter le contenu de l’ouvrage, choisit quelques passages sur lesquels il tente difficilement d’étayer l’accusation d’antisémitisme. Si Boniface écrit : " Je ne crois pas à l’existence d’un lobby juif ", Jean-Dominique Merchet commente : " la lecture de l’ouvrage laisse souvent l’impression du contraire ". Que Boniface explique qu’en France la discrimination frappe davantage les Arabes que les Juifs, et démontre que les agressions antisémites sont instrumentalisées par les ultras pro-israéliens, et Merchet tranche : " son acharnement à minimiser la " judéophobie " en France n’est guère raisonnable. "

Les écrits de Pascal Boniface peuvent, comme bien d’autres, prêter à discussion - et ce n’est pas ici notre propos. Encore faudrait-il qu’ils soient rapportés honnêtement, et que certains journalistes ne rendent pas la discussion impossible en se comportant en petits procureurs.

 
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Notes

[1" Lettre à un ami israélien ", par P. Boniface, 4 août 2001 ; " Propos d’un " ami " français ", par Elie Barnavi, 7 août 2001 ; " Est-il interdit de critiquer Israël ? ", par P. Boniface, 30 août 2001.

[2Voir par exemple dans Le Monde diplomatique " Au nom du combat contre l’antisémitisme ".

[3Lire également à propos du livre : L’Humanité (lien périmé), Le Monde des livres, Bernard Langlois dans Politis, Alfred Grosser dans L’Express.

[4Pas moins de sept éditeurs ont refusé de publier Est-il permis de critiquer Israël ?, rapportait Le Canard enchaîné (7 mai 2003).

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