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Une campagne maltraitée

Hebdos 2002 : où est passée la campagne présidentielle ?

par David Larousserie,

Après coup. Le Nouvel Obs et L’Express, hebdos « branchés » de la campagne présidentielle de 2002 : comment dépolitiser le débat public (et occulter les problèmes sociaux qui sont au cœur des mobilisations de 2003). [1]


Dans le déferlement de critiques sur les médias après le 21 avril 2002, il n’a souvent été question que de la télé et des thèmes de l’insécurité et des sondages. Mais qu’en est-il des deux principaux hebdomadaires français, L’Express et Le Nouvel Observateur ? Quelles images renvoient-ils de la politique et du journalisme ?

Faute de place ?

De janvier 2002 au premier tour des élections, Le Nouvel Observateur a consacré 5 « Unes » au sujet et L’Express 3. Et encore dans les deux cas, nous comptons l’inévitable « Une » sur le « séisme » du 21 avril : « Les leçons d’un désastre » pour L’Obs, « Pour la France, la république, la démocratie, Chirac  » pour L’Express. Ajoutons que dans ces choix on trouve un « marronnier » (« Présidentielles, le poids des francs maçons » dans L’Obs) et deux sujets passionnants : un test, « Etes-vous de gauche ou de droite ? », dans L’Express et un micro-trottoir, 66 personnalités disant pour qui elles vont voter (10 pages) dans L’Obs. Reste, pour ce dernier, une « Une » sur Chevènement (« est-il de droite ? ») et une autre sur Arlette (« Les mystères... »). C’est finalement peu, mais il y a longtemps que dans les hebdos la hiérarchie de l’information a cédé la place aux impératifs de vente et aux couvertures accrocheuses.

Les hebdos se rattrapent-ils sur les « Unes » dites de société ? Pas vraiment avec un match nul entre les deux : 4 partout. Fonctionnaires, Juifs et arabes, Insécurité et Ecole, dans L’Obs  ; L’état de la France, l’affaire Schuller, l’Etat-gaspilleur et les comptes manipulés des entreprises, dans L’Express. Alors sur quoi ont titré nos hebdos ? Sur des sujets proches des gens, très proches même. Par exemple, 8 fois L’Express titre sur « ces psys qui peuvent aider nos enfants », « réussir sa vie », « vivre heureux en France », « le couple et l’argent », « enquête sur la vie sexuelle des français », « la fatigue, mal du siècle », « les religions au banc d’essai » et « les nouveaux Dolto, ces psy qui bousculent les idées reçues »... Quand les hebdos s’éloignent de Combat pour se rapprocher de Marie-Claire ou Psychologie, il n’est pas sûr que la politique y gagne...

Faute de mieux ?

Sondages. C’est l’avalanche. Un numéro sur deux avec en moyenne trois pages pour l’Obs et L’Express  ! Le premier en est si friand qu’il publie même mi-avril trois pages sur les sondages des concurrents. Beaucoup de critiques ont porté, après-coup, sur les marges d’erreur, les facteurs correctifs, l’aspect prédictif ou non de ces « thermomètres » de l’opinion (voir la rubrique Sondologie et sondomanie [2]), mais peu ont mesuré combien ces outils ont cannibalisé le journalisme politique. Ce qui fait événement dans une campagne ce n’est plus un discours, une proposition, une critique, mais une baisse ou une chute dans un indicateur omniprésent. Impossible de le laisser passer ; les plumes se lâchent. Triste évolution du journaliste politique mué en simple commentateur de sondages.

Insécurité. Contrairement à la télévision, les hebdos n’ont pas abusé du sujet. La tuerie de Nanterre fait 3 pages dans L’Obs et 7 dans L’Express. Ce thème remplit moins de 25 pages sur les 17 numéros considérés dans L’Express (contre 23 pages consacrés aux sondages) et une trentaine dans L’Obs (contre également 27 pages de sondages). Pas vraiment de quoi effrayer l’électeur, comme à la télé, mais suffisant pour détourner son attention des enjeux véritables. Cependant, L’Obs a un goût prononcé pour le fait divers : 25 pages (en plus de celles comptées ci-dessus). C’est même une obsession avec le cas des disparues de l’Yonne : 14 pages en quatre articles ! L’Express fait preuve en la matière d’une sobriété étonnante : pas de sujets faits divers de plus d’une page.

Où sont passés les programmes ?

Les bilans, c’est ennuyeux, les discours trop lourds, les programmes intenables... alors les hebdos ont choisi de se tourner vers les Hommes, leur passé, leur mystère, leurs ennemis, leur femme... La politique dans les hebdos, c’est du people. Prime au portrait de candidat, donc. 8 dans L’Obs et 5 dans L’Express. A ce jeu, Chirac bat Jospin dans L’Obs (17 pages à 11) et l’inverse dans L’Express (11 à 6). Le premier convoque Sylviane et le juge Halphen pour renforcer ses plumes tandis que le second s’allie Claude Allègre (4 pages).

Heureusement L’Express redonne un peu de lustre à la profession en publiant 4 débats (Europe, Ecole, Social, Economie) de cinq pages et un article bilan de Chirac sur 4 pages. Mais ces débats ne sont que des comptes-rendus de face-à-face entre personnalités. L’Obs se contentera de deux pages de comparatifs des programmes. C’est à se demander si les journalistes ne préfèrent pas regarder le doigt plutôt que la lune...

Où est passé le peuple ?

C’est devenu un thème récurrent de la critique des médias, les sujets touchant au social sont absents des journaux. Dans cette campagne, les hebdos n’ont pas dérogé à la règle. Pourtant après l’élection c’est la stupeur : la France active est à plus du quart ouvrière ! Cela avait échappé à L’Express qui dès janvier publie 40 pages de chiffres et de synthèse sur l’Etat de la France : retraités, cadres, fonctionnaires, insécurité, loisirs, sont photographiés. Mais rien sur les employés et ouvriers (plus de la moitié des actifs)... Même aveuglement dans L’Obs, où son directeur, Laurent Joffrin, peste en mars contre « le débat muet » en regrettant que les candidats se taisent sur le sort des quartiers les plus pauvres, le pouvoir de la finance ou l’efficacité de l’Etat. Mais que n’a-t-il demandé à ses journalistes d’en parler ? Il sera donc peu question de chômeurs, de licenciés, d’employés précaires, d’ouvriers critiquant les 35 heures, de retraités au pouvoir d’achat menacé, de pauvres (ah si, dans L’Obs, un article, « au secours les pauvres reviennent »... aux Etats-Unis). Pourtant, quelle a été l’actualité post-élection ? Les 35 heures, les retraites, les licenciements massifs, le chômage, la sécurité sociale... et on en oublie.

Du coup, la surprise du 21 avril secoue les rédactions. A L’Obs, deux envoyés spéciaux sont dépêchés en « nouvelle Lepénie » dans l’édition du 2 au 8 mai pour trois pages ; dans le même numéro, on s’interroge, « faut-il brûler les sondeurs ? » (en page « sciences », pour éviter de se demander s’il faut brûler 27 pages de L’Obs !) ; puis, suit un étonnant « Le Pen, la faute aux médias ? » qui ne parle que de la télé. Enfin, audace suprême, mi-mai, c’est « 35 heures, l’effet boomerang » qui raconte que la France n’est pas peuplée que de cadres et que la réforme phare du gouvernement Jospin n’a pas toujours séduit les employés. On voit aussi surgir des « si j’avais su », « salauds de pauvres » et une « France paumée » qui en disent long sur les omissions antérieures. A croire qu’il n’y a pas que la France qui soit paumée, ses journalistes aussi. L’Express panique moins et reste droit dans ses bottes : après les élections, deux articles sur l’insécurité en Hollande et à New-York, ainsi qu’un autre sur la gauche et le peuple.

 Finalement, sondagite aiguë et politique-people sont les deux piliers sur lesquels repose la politique vue par les hebdos. Le troisième pilier, non traité ici, étant les éditoriaux. Plutôt bancal. Ainsi les sondages monopolisent l’espace consacré à la politique tandis que les portraits finissent d’en déformer l’image. Aucun des deux hebdos étudiés n’a trouvé les moyens de sortir de ces deux calamités. En revanche, dans cette campagne, chacun a livré sa vision de la société. Pour L’Obs, c’est une succession de faits divers, et pour L’Express une juxtaposition de vies intérieures.

David Larousserie

 
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Notes

[1Chapo d’Acrimed.

[2Note d’Acrimed.

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