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Retraites : Le Monde, conseiller du gouvernement

par Henri Maler,

L’éditorial du Monde paru dans l’édition datée du 20 avril 2003 prend pour titre une invitation adressée au gouvernement : « Négocier les retraites ». Décryptage.

La première phrase de éditorial est apparemment anodine  : « Pour la gauche comme pour les syndicats, il est naturellement tentant de condamner de but en blanc les propositions sur les retraites que vient de dévoiler le ministre des affaires sociales, François Fillon. ». Cette entame, la suite le confirme, est d’abord un conseil adressé à la gauche et aux syndicats : « Ne cédez pas à la tentation ».

Pourquoi ? C’est la phrase suivante qui l’annonce : « Il faut pourtant admettre qu’elles ont au moins deux mérites ».

Commençons donc, avec Le Monde, par le premier de ces mérites : « D’abord - et ce n’est pas mince -, elles ont le grand mérite d’exister. »

On croyait pourtant savoir que d’autres « réformes » avaient eu cet inestimable mérite. L’éditorialiste anonyme du Monde le sait aussi. C’est pourquoi, il précise : «  Ou, plus précisément, Alain Juppé a agi avec une telle brutalité qu’il a dû, finalement, se résigner au statu quo. ».

Et l’on apprend ainsi incidemment que ce n’est pas le contenu de la « réforme » Juppé qui était en cause, mais seulement la méthode : « Alors, pour une fois qu’un gouvernement a le courage de prendre le problème à bras-le-corps, il faut lui en donner crédit. Il faut d’autant plus lui en donner crédit que, précisément, il semble avoir tiré les enseignements de la méthode Juppé. Pas de réforme à la hussarde !  »

On croit alors saisir - sans que l’éditorialiste anonyme fasse suivre son « d’abord » d’un quelconque « ensuite » - quel est le second mérite des " propositions soumises à concertation" : « L’intitulé du document suggère donc que le gouvernement va offrir une marge de négociation aux partenaires sociaux. »

Alors Le Monde, ignorant sans doute avec quel acharnement le gouvernement, entend distinguer « concertation » et « négociation », se prend à rêver. Et comme chacun comprend bien qu’un rêve du Monde ne peut pas être n’importe quel rêve, celui-ci mérite d’être rapporté :

« Entre la durée d’activité, le niveau des cotisations ou des pensions, sans parler du fameux fonds de réserves, il existe en effet de très nombreux paramètres pour consolider le régime des retraites. On se prend donc à rêver d’une vraie concertation, où aucune piste ne serait par avance fermée. Une concertation qui réhabiliterait la politique contractuelle, entrée en crise depuis près de deux décennies. »

Le Monde rêve donc d’abord de paramètres. Des paramètres aussi flous que l’exige la rêverie. L’éditorialiste évoque la "durée de l’activité". Mais s’agit-il de la durée de cotisation ou de la durée d’activité effective ? L’éditorialiste mentionne le niveau des cotisations. Mais de qui ? Des salariés ou des entreprises ? Si Le Monde est aussi vague, c’est sans doute parce qu’il rêve, sur cette base incertaine, de politique contractuelle et qu’il souhaite faire partager son rêve nébuleux à M. Fillon. Aussi s’interroge-t-il :

« Est-ce l’ambition de M. Fillon ? Lui qui revendique l’héritage politique de Philippe Séguin, il a sûrement médité cet enseignement que son mentor livre dans son récent Itinéraire dans la France d’en bas, d’en haut et d’ailleurs (Seuil) : "Ne jamais rien lâcher avant qu’on puisse prétendre vous l’avoir arraché. (...) Et même si l’on est prêt d’emblée à une concession, il faut permettre -aux syndicalistes- de justifier qu’ils se sont battus pour l’obtenir." Ce qu’André Bergeron, en d’autres temps, formulait de la sorte : il faut que les syndicats aient " du grain à moudre". »

Cet argument vaut le détour parce que sa formulation même montre que Le Monde postule au poste de conseiller en relations contractuelles, en adoptant sur elles le point de vue de l’Etat. Que dit Le Monde, mentor de M. Fillon, quand il s’abrite derrière une citation de M.Seguin, mentor du même ? « Préparez des concessions et laissez croire aux syndicats qu’il les ont obtenues grâce à leur luttes ».

Aussi, après avoir évoqué la tentation qui pourrait être celle de la gauche et des syndicats, Le Monde met-il en garde M. Fillon contre la tentation de faire ce qu’il fait déjà : « Mais le gouvernement peut aussi avoir une autre tentation : faire mine d’engager une concertation, pour désamorcer toute fronde, mais en ayant prédéterminé par avance l’essentiel des solutions. »

De là cette question qui par son énoncé même vaut soutient à la seule organisation syndicale qu’il mentionne : « Est-ce la raison de la colère de la CFDT, qui, de tous les partenaires syndicaux, est pourtant celui qui est le plus coopératif avec le gouvernement sur cet explosif dossier des retraites ? C’est en tout cas le sentiment que peut donner ce texte : à le lire dans le détail, on ne voit pas bien ce qui est encore discutable, en tout cas d’ici à 2008. »

Conclusion de la supplique : par pitié M. Fillon, donnez du grain à moudre à la CFDT. Car sur l’essentiel du texte, pas de problème. L’essentiel est ailleurs : «  C’est l’interrogation principale que soulève ce document : donne-t-il le coup d’envoi à une vraie négociation ? Ou n’est-ce qu’une négociation de façade ?  »

Au terme de ce travail de « journalisme d’investigation », nous pouvons donc révéler l’une des identités politiques de l’éditorialiste anonyme de Monde : médiateur entre la CFDT et le gouvernement Raffarin. C’est Le Figaro qui va être jaloux !

 
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