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Interdiction d’Egunkaria : « Le silence qui nous assassine »

L’interdiction du seul quotidien en langue basque est passée pratiquement sous silence en France. [*] Par Nora Arbelbide, journaliste d’Egunkaria à Bayonne, actuellement au chômage.

Egunkaria, un mot qui ne dit peut-être pas grand chose. Un mot étrange, étranger. Tant pis pour lui. C’est le nom du seul quotidien en langue basque. Enfin, c’était… Il a été fermé sur simple ordonnance d’un juge d’instruction le 20 février dernier. Cela ne s’est pas passé en Turquie, non, non, mais dans un pays de l’Union Européenne. Je vous apprends peut-être un scoop, car, même si l’événement a fait date en Espagne ainsi que dans beaucoup d’autres pays, en France, bizarrement, il est passé presque inaperçu. Pourtant, lorsqu’on interpèle les journalistes français sur cette fermeture, tous sont d’accord pour constater la gravité de la situation. Néanmoins, personne, mise à part la presse altérnative n’est prêt à utiliser ses propres moyens de communication pour, justement, dénoncer cette injustice.

La guerre contre l’Irak n’avait pas encore commencé, la presse avait encore un peu d’espace. C’était l’époque où La face cachée du Monde de Pierre Péan et Philippe Cohen et Les petits soldats du journalisme de François Ruffin provoquèrent un débat sur l’état de la presse. La fermeture d’un journal aurait très bien pu y trouver sa place. Ce ne fût pas le cas. Il s’est passé un mois et 15 jours depuis. Pratiquement aucun article, ni de son et encore moins d’images à propos de cet événement. Un silence qui est d’autant plus difficilement compréhensible dans un pays où la présomption d’innocence ainsi que la liberté d’expression sont des principes fondamentaux. Un quotidien fermé sans procès, se basant sur des suspicions infondées de liens très hypothétiques avec ETA, 150 salariés condamnés au chômage du jour au lendemain, sans leur donner aucune explication sérieuse, des dirigeants du quotidien torturés pendant cinq jours dans un commissariat espagnol et personne pour en rendre compte.

« Vous savez, avec la guerre qui se prépare en Irak ». Pas le temps, pas les moyens de défendre la liberté d’expression.
« Désolé, vous ne rentrez pas dans les cases. Normalement les Basques sont les terroristes, les méchants. L’Espagne est une démocratie, elle représente les gentils. L’inverse est impossible. Les gens ne comprendraient pas ». Voilà quelques réponses que nous avons pu entendre pour expliquer le silence radio.

Nous nous sommes presque mis nus, perchés du haut de la Tour Eiffel pour que l’on s’intéresse à nous. 150 salariés d’un journal dans leur plus simple appareil, ça, c’est vendeur, n’est ce pas ? Par contre, des salariés simplement au chômage, en plus, des Basques… « Il n’y a pas de fumée sans feu », surtout lorsqu’il s’agit de Basques… La présomption d’innocence n’existe plus…

« C’est un problème espagnol » rétrorquaient certains. Nous sommes cinq journalistes du Pays basque du Nord (soit le Pays basque de France) ainsi que quelques collaborateurs et pigistes à travailler pour ce journal qui possède une antenne à Bayonne. 500 ventes quotidiennes (15000 dans l’ensemble du Pays basque). Lorsque Egunkaria fêta ses 10 ans il y a trois ans de cela, Le Monde n’hésita pas a lui consacrer un long article (lire Le Monde du 21 décembre 2000).

Et même s’il s’agit d’une affaire judiciaire espagnole, où se trouve donc les défenseurs de liberté d’expression ? Certains la mériteraient-ils plus que d’autres ?
Est-ce parce que le Pays basque est trop loin de Paris ? Trop loin pour comprendre, pour daigner s’y pencher ? Nous avons tenté d’organiser une conférence de presse à Paris. Elle n’a pas suscité de vif intérêt. « Nous allons essayer de venir », disaient les journalistes affairés... Puis, pratiquement personne. De la mauvaise foi en prime. « Peut-être plus tard ». Plus tard… un mois et 15 jours. La guerre en Irak a commencé depuis. Ce n’est même plus la peine…

« J’essaierai de faire quelques chose, mais il n’est pas sûr que mes supérieurs soient d’accord. Vous savez, Le Pays basque n’intéresse pas les mass media… ». Le Pays basque n’est pas à la mode… Il est vrai qu’essayer de faire vivre dans ce monde une langue mourante, ce n’est peut-être pas « In ». Il est vrai que des hommes et des femmes cagoulés qui mettent des bombes, qui peuvent tuer, qui vivent dans la clandestinité, c’est beaucoup plus accrocheur, plus commercial. Preuve en est. Deux jours après la fermeture du journal, deux membres de l’ETA furent interpellés dans un petit village du Pays basque de France. La presse française leur consacra la place qu’elle n’avait pas accordée au journal assassiné et à la manifestation de plus de 100000 personnes dénonçant la fermeture du journal, qui eu lieu le même jour que l’interpellation. « Pas de place ni de temps » vous avez dit ? Est-ce bien là le problème ?

Non, non, vraiment, il ne fait pas bon dans ce monde d’être à la marge… Vous savez, comme « ces nègres » que l’on retrouve mort tous les jours au bord de l’Andalousie… Ce n’est pas si grave… Ce ne sont que des « nègres » après tout… Ce n’est pas si grave, ce ne sont que des Basques après tout.

 
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