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Miracles de l’indépendance sur Europe 1

par Henri Maler,

Pour le premier congrès de l’UMP, la rédaction d’Europe 1 est priée par sa hiérarchie de ne pas gâcher la fête.

Dans le numéro du Canard Enchaîné du 27 novembre 2002, paraît un article titré : " En direct d’Europe 1, la radio chérie de l’UMP " qui reproduit une " note " rédigée par la rédaction en chef à l’intention des journalistes au sujet du congrès de l’UMP :

" NB : Ne pas s’attarder sur le vote ni sur la participation. Insister sur l’ambiance chaleureuse de ce congrès. La rivalité en vue de 2007 estompée ".

Curieux, non ?

Le 27 novembre, une dépêche de l’AFP nous informe qu’une Assemblée générale de rédacteurs, outragée, réaffirme, dans un communiqué, l’indépendance de la station :

"Les journalistes d’Europe 1 se sentent insultés par les accusations du Canard Enchaîné. Non ils ne sont pas ’au bord de la révolte’, non ils ne sont pas ’au service de l’UMP’, non, ils n’ont jamais reçu de consigne politique de leur hiérarchie sur le contenu de leurs papiers".

Et, l’AFP d’indiquer que ce communiqué a été publié " mercredi soir [27 novembre] à l’issue d’une assemblée générale réunissant une cinquantaine de journalistes rue François 1er à Paris. " Et la dépêche de l’AFP de surenchérir par cette perfidie involontaire : " La rédaction d’Europe 1 compte quelque 110 journalistes au total. " Ainsi, le communiqué en question a donc été adopté par moins de 50 % de journalistes de la station (un pourcentage inférieur à celui obtenu par la direction du Monde pour avaliser le passage en Bourse du quotidien).

A quoi il faut ajouter que cette Assemblée générale, selon Libération, a été " réunie en présence de Jérôme Bellay, le directeur général de l’antenne ". En sa présence ou à son initiative ? En tout cas, on se doute que cette " présence " n’impliquait aucune pression sur les journalistes invités à s’indigner.

Pourtant, Annick Peigne-Giuly, dans article paru dans Libération daté du jeudi 28 novembre sous le titre " Europe 1 réfute toute pression politique ", précise :
" Mais, derrière ces voix à l’unisson, certains journalistes notent "un vrai malaise", dû aux mauvais chiffres de l’audience mais aussi à un système "trop vertical" : "On fonctionne sans conférence de rédaction depuis six ans." Et Le Canard Enchaîné du 4 décembre 2002 attribue des propos semblables à Catherine Nay, que l’on peut difficilement suspecter d’allégeance à la gauche radicale.
On imagine donc mal que " réunie en présence de Jérôme Bellay, le directeur général de l’antenne ", une assemblée générale de journalistes désavoue la " ligne éditoriale " impulsée par la rédaction en chef. C’est donc en toute indépendance, que des journalistes, privé de conférence de rédaction depuis six ans, se son prononcés.

D’autant que, si l’on en croit Le Canard Enchaîné du 4 décembre 2002, Jérôme Bellay - après avoir tenté vainement de faire adopter une motion destinée à leur cher Jean-Luc Lagardère, dans laquelle les journalistes auraient reconnu l’indépendance que le patron leur accorde - aurait ainsi harangué " ses " troupes, lors de l’Assemblée Générale :

" N’oubliez pas que, c’est moi qui vous ai embauché pour la plupart, moi qui vous paie, moi qui vous augmente ! ".

Ne pouvant recouper cette information du Canard, nous lui en laissons la responsabilité. Mais qui peut douter un instant que des salariés convoqués par leur chef n’entendent de semblables paroles ... même quand elles ne sont pas prononcées ?

C’est donc " en toute indépendance ", que par un esprit de corps remarquable, les journalistes présents ou certains d’entre eux se sont défendus, du moins s’il l’on en croit les précisions données par Libération :

"Quand j’ai découvert cette note, raconte un journaliste, j’ai eu peur qu’elle ne tombe dans des mains malveillantes..." D’autant que la station se sait attendue au tournant en raison de son appartenance au groupe de Jean-Luc Lagardère, proche de Jacques Chirac. "C’est humiliant que l’on nous taxe encore de radio de droite, poursuit une journaliste. Nous faisons notre travail en toute liberté. Jamais on ne m’a dit : "Tu as été trop dure avec Juppé"..." De fait, la note ne suscite pas de réaction dans la rédaction les jours suivants, et c’est l’article du Canard qui provoquera les remous".

Ce qui est remarquable, dans ces propos, c’est que l’on ne parvient pas à déterminer, si les journalistes défendent leur indépendance ou l’image de marque de la station. Confusion d’autant plus regrettable qu’elle est entretenue pas le communiqué publié. L’AFP indique en effet :

" Dans son communiqué, la rédaction de la station de la rue François 1er indique que "la note interne, publiée par le Canard Enchaîné, a été remarquée et signalée au directeur de la station. Elle a été jugée maladroite, précisément parce qu’elle pouvait être mal interprétée". "Si le Canard avait écouté l’antenne au lendemain du congrès de l’UMP, il aurait constaté que les journalistes d’Europe 1 ont travaillé en toute indépendance, de façon honnête et équilibrée. Comme ils le font tous les jours, en politique et dans tous les domaines", conclut le communiqué. "

" Maladroite, précisément parce qu’elle pouvait être mal interprétée". Comme les propos de Jospin sur l’âge de Chirac ?

Bref, C’est, en toute indépendance que les journalistes présents lors de l’Assemblée Générale ont accepté, à l’instigation de Jérôme Bellay, d’établir une distinction entre " consigne politique " et ... Et quoi au fait ? C’est encore Libération qui nous l’apprend : " Philippe Bès, lui, s’étonne d’un tel charivari. "Je revendique le droit de donner un "angle" aux papiers. Celui relevé par le Canard n’était qu’un aspect de l’ensemble de la couverture."

Philippe Bès n’a pas donné de consigne politique il a fait don d’un angle...

NB. Parmi les propos attribués à Jérôme Bellay par Le Canard Enchaîné dans l’article du 4 décembre, on relèvera ceux-ci : " [...] Bellay revient à la charge : " "Libé a sorti un papier, "Le Monde" en prépare un : nous avons affaire à un complot. Il faut répondre". Et Le Canard de commenter : " Cette information est inexacte : "Le Monde" qui est associé au groupe Lagardère, notamment dans Internet, ne prépare aucun article."

On attend désormais une réaction outragée des journalistes du Monde. Car le quotidien de référence a publié, dans son édition du 29 novembre une dépêche de 61 mots (compatibilité du site du Monde) d’une grande sobriété : " Les journalistes d’Europe 1 réunis en assemblée générale, mercredi, après la publication d’un article dans Le Canard enchaîné qui qualifiait la station de " radio chérie de l’UMP ", se sont déclarés " insultés par ces accusations ". Dans un texte ils assurent qu’ils " n’ont jamais reçu de consigne politique".


Quelques articles de presse sur cette affaire, répertoriés par le site transnationale.org (Note d’Acrimed, janvier 2003.)(Lien obsolète. Note d’Acrimed, avril 2009)

 
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