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Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle (SNJ-CGT)

Le SNJ-CGT a écrit aux candidats à l’élection présidentielle pour faire part de ses revendications et propositions et leur demander d’exposer leur programme concernant le secteur de la presse et des médias.

À quelques semaines de l’échéance présidentielle de 2017, le syndicat SNJ-CGT (Syndicat national des journalistes CGT), réuni en congrès (6-8 mars 2017), vous adresse cette lettre au moment où les journalistes sont la cible d’attaques virulentes qui constituent autant de coups portés à la démocratie et à la liberté d’expression.

Ces agressions s’expriment dans un contexte où la profession et le pluralisme sont, plus que jamais, en grave danger.

Pourquoi notre profession est-elle en danger ? D’abord parce que son indépendance est menacée, compromettant par exemple notre lien de confiance avec le public, lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes, usagers du multimédia.

Au cours des deux derniers quinquennats, le processus de concentration s’est accéléré : une poignée de dirigeants de grands groupes industriels, dont en premier lieu les opérateurs de télécommunication ou bancaires, ont fait main basse sur les grands médias. Pour eux, l’information représente un produit d’appel pour valoriser leurs offres commerciales.

Ces nouveaux patrons de presse, souvent en affaires avec le pouvoir, contrôlent contenus et contenants au travers de la convergence des supports rendue possible par les nouvelles technologies. En clair, si, de facto, il existe plus de sources d’information, en réalité l’uniformisation des contenus et la monopolisation des médias tuent le pluralisme qui est réduit à sa portion congrue. Le débat démocratique est annihilé au profit du prêt-à-penser néolibéral, privant les citoyens de clés pour comprendre.

Cela se traduit concrètement par la disparition de titres. Parmi les titres qui subsistent, combien sont indépendants des grands groupes ? Des sites « pure player » se sont créés mais leur modèle économique reste fragile. La presse syndicale, associative et militante est sous perfusion.

L’audiovisuel public est miné par la politique d’austérité réduisant les emplois et imposant mutualisations et polyvalences qui nuisent à la qualité de l’info. Après la suppression de 750 équivalents temps plein à partir de 2012, Delphine Ernotte, nommée en 2015 PDG de France Télévisions arrivant du groupe de télécommunications Orange, continue dans la même logique. Au total entre 2012 et 2020, ce sont 1250 emplois qui auront disparu soit 12% des effectifs.

L’information est de plus en plus sous contrôle.

La loi Bloche (15 novembre 2016) qui vise « à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias » est très loin de répondre à l’urgence de la situation. Le texte ne s’attaque pas au problème de fond, celui de la propriété des médias. La loi prévoit une charte éthique par entreprise avant le 1er juillet 2017. De plus rien ne change sur la protection des sources, réforme promise par l’actuel chef de l’Etat, et sur l’indépendance des rédactions.

Les concentrations s’accélèrent…

Nous assistons à une véritable révolution copernicienne dans les modèles économiques et financiers des médias ces dernières années avec une accélération des concentrations. Après la prise emblématique du Monde par un trio formé d’un banquier (Mathieu Pigasse) et de deux hommes d’affaires — Xavier Niel (Free) et Pierre Berger — Vincent Bolloré, qui possède aussi bien des entreprises de publicité et de communication, des instituts de sondages (CSA), des plantations, des groupes de transports, des entreprises de stockage d’énergie, est aujourd’hui le principal actionnaire via Vivendi de Canal +. Les méthodes brutales de management du groupe breton ont montré le poids des puissances d’argent sur les médias dont il a pris le contrôle : censure à Canal+, et licenciements massifs de 90 journalistes en lutte sur I-Télé. Patrick Drahi, principal actionnaire du groupe Altice Media Communication endetté à hauteur de 50 milliards d’euros, contrôle Libération, le groupe L’Express et BFM

En presse régionale, le pluralisme est moribond. Le Crédit mutuel contrôle tous les quotidiens de l’Est de la France jusqu’en Rhône-Alpes. Le Crédit Agricole dispose de 30% des parts du groupe La Voix du Nord, qui est également propriété du groupe belge Rossel. Le quotidien lillois est au centre d’un plan social drastique. Le groupe belge pourrait prochainement s’emparer de Paris Normandie moyennant un plan de licenciements. On peut aussi rappeler les opérations de Bernard Arnault (2e fortune en France) sur les quotidiens nationaux, comme Le Parisien, et le contrôle de la presse magazine par de grands groupes multinationaux (Lagardère, Mondadori, Bertelsmann, etc.).

La profession se précarise…

Depuis 2009 le nombre de journalistes diminue régulièrement. En six ans la profession a perdu 1400 titulaires de la carte de presse, soit 4% de ses membres, même si le nombre d’entrants dans la profession est à peu près stable chaque année. Ces deux dernières années, ce sont plus de 250 journalistes de plus de 15 ans d’ancienneté qui sont partis des rédactions à l’arrivée de nouveaux actionnaires soit en clause de cession soit lors de PSE ou de plans de départ volontaires.

Les reporters-photographes sont sinistrés et les agences photographiques qui faisaient la renommée de notre pays ont disparu du marché de la photo d’actualité.

Quant aux salaires, les négociations de branche ou par forme de presse sont quasiment inexistantes. En 1980 le salaire brut moyen d’un journaliste représentait 1,8 du salaire moyen français, aujourd’hui il en représente 1,2. Les entreprises jouent sur cette précarisation en proposant aux jeunes journalistes de devenir auto-entrepreneur ou producteur, y compris dans le service public. La précarisation des journalistes s’accompagne de l’appauvrissement du métier par les obligations de plus en plus imposées à exercer poly compétences et autres tâches techniques.

Quelles solutions ?

Le SNJ-CGT qui défend depuis longtemps le pluralisme, l’éthique, la déontologie et les conditions de travail des journalistes vous demande de prendre en compte ses revendications. Il faut pour cela s’inspirer du programme du Conseil National de la Résistance, qui avait pour ambition « d’assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances de l’argent et des influences étrangères ».

Notre syndicat demande :

 L’inscription dans la Constitution du droit à l’information ;
 Un projet de loi mettant en place les conditions de l’indépendance juridique des rédactions par rapport aux actionnaires.
 Le renforcement d’un service public des médias audiovisuels.
 Une réflexion sur l’impression et sur la distribution.
 Une refonte du CSA.
 Un statut novateur pour les entreprises de presse afin de garantir une presse démocratique, associative, alternative, pluraliste et indépendante.
 L’inscription du financement de l’audiovisuel public dans la Constitution.

Il vous demande aussi de :

 Assurer la protection du secret des sources des journalistes en réformant enfin la loi de 2010.
 Relancer les dispositions anti-concentration dans les médias.
 Prohiber la détention de médias aux groupes bénéficiant de commandes publiques.
 Sauvegarder les droits d’auteurs en abolissant la loi Hadopi et toutes les dispositions qui favorisent la mutualisation des contenus.
 Un statut pour les lanceurs d’alerte
 De vous assurer que les aides publiques à la presse accompagnent des politiques volontaristes privilégiant la qualité de l’information et la sauvegarde des emplois.

Notre combat est aussi celui de la démocratie. Contre les mesures sécuritaires du quinquennat actuel (loi Renseignement et Etat d’urgence).

C’est pourquoi nous vous demandons d’agir en appuyant nos propositions pour renforcer le pluralisme et l’indépendance des journalistes dans ce pays.

Nous attendons des réponses à nos très vives inquiétudes et nous vous prions d’accepter nos salutations syndicalistes.

Montreuil, le 15/03/2017

 
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