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Les trous de mémoire d’Edwy Plenel : À propos des Nouveaux Chiens de garde, de Serge Halimi

par Henri Maler,

Dans un article précédent, consacré à la façon dont Edwy Plenel réécrivait l’histoire de son opposition sans failles à Denis Robert, nous écrivions : « L’erreur est humaine, dit-on. Les errements aussi. Mais quand on rédige publiquement son autobiographie, on s’expose à des trous de mémoire et l’on impose à la critique des médias de lutter contre l’amnésie. » Or Plenel, prenant prétexte de la publication par Mediapart d’une série d’articles consacrés à Pierre Bourdieu réédite sur son blog, assortie d’une sorte de préface, un article virulent qu’il avait rédigé contre Les Nouveaux Chiens de garde de Serge Halimi : un article dont il avait souhaité ou imposé la publication dans les colonnes du Monde diplomatique en février 1998.

«  Rien ne remplace le jugement sur pièces  », déclare Plenel, en guise de justification de cette réédition. Force est de constater qu’il manque quelques pièces au dossier…

Un éclairage aveuglant

Edwy Plenel présente comme un débat avec Pierre Bourdieu (qui n’a jamais eu lieu) ce qui fut un combat contre Serge Halimi (et qui ne s’est pas arrêté avec le court pamphlet qu’il reproduit aujourd’hui).

C’est ainsi que l’on peut lire, dans la préface de Plenel, qu’à l’occasion de la publication par Mediapart des articles sur Bourdieu, « certains lecteurs rappellent notre différend à propos du journalisme, exprimé lors de la parution sous son parrainage des Nouveaux Chiens de garde de Serge Halimi ». Or l’article que reproduit Plenel est une charge sans nuances… contre l’ouvrage d’Halimi. Étrange déplacement…

Pourquoi présenter cet article, omettant sa véritable cible, comme une pièce d’un différend avec Bourdieu ? Pour conférer à ce différend une noblesse qu’il n’a pas et se poser en victime d’une accusation méritoire, mais qui serait imméritée : « Nombre de ceux qui me soupçonnent d’un crime contre l’esprit pour avoir osé discuter l’approche du journalisme par Bourdieu ne prennent pas la peine de lire, ni même de réfuter ce que j’ai tenté à l’époque d’expliquer. » Étrange déplacement, une fois encore, puisque l’audace que s’attribue Plenel, toute relative et hors de propos (à défaut d’être criminelle…), était celle d’un procès, et non d’une discussion, intenté contre l’approche du journalisme… par Halimi. Et comme si cela ne suffisait pas, Plenel, se posant en victime d’un procès imaginaire, invite ses critiques (de qui s’agit-il ?) à se rendre sur le terrain de la discussion, « plutôt que de rester sur celui de l’excommunication pour crime de lèse-Bourdieu. » Trop, c’est trop : c’est oublier un peu vite, ou tenter de faire oublier, que le micro-pamphlet de Plenel inaugurait, position de pouvoir à l’appui, une série de charges incessantes contre toute critique des médias qui n’avait pas l’heur de plaire à la direction du Monde.

Une mémoire défaillante

Cet éclairage rétrospectif et aveuglant sur la cible du différend se double d’une amnésie complète sur ses circonstances. En effet, usant de son pouvoir de responsable de la rédaction du Monde – et alors que ce quotidien de révérence n’avait pas consacré une ligne à l’ouvrage en question –, Plenel s’imposait dans les colonnes du Monde diplomatique. À en croire Ignacio Ramonet, il ne s’agissait que d’un souhait : « Edwy Plenel, directeur de la rédaction du quotidien Le Monde […], a souhaité, à titre personnel, s’exprimer dans nos colonnes. »

Comme l’écrivait alors (non sans humour, malgré les circonstances), Halimi : « Edwy Plenel gratifie les lecteurs du Monde diplomatique d’une faveur bien étrange en leur offrant la primeur d’un commentaire qu’il aurait pu réserver au quotidien qu’il dirige. » Et Bourdieu s’interrogeait : « Pourquoi un livre dont – au moment où j’écris –- il n’a pas été dit un seul mot dans un quotidien soucieux de sa réputation de sérieux, et qui a déjà été lu à ce jour par plus de 70 000 lecteurs, sans doute moins convaincus que les journalistes de la transparence du journalisme, fait-il l’objet d’une mise au point hautaine ? »

À cette question, Plenel répond enfin, quatorze ans plus tard. Faisant allusion à la bataille (« fort obscure et fort piégée », concède-t-il) qu’il aurait livrée avec d’autres au sein du Monde et pour Le Monde, et aux convictions qui l’auraient toujours animé, il écrit : « Mon article de 1998 était une défense de ce combat contre une posture intellectuelle que je ressentais comme un renoncement et une désertion. » C’était mal « ressentir » ce qui n’était ni une posture, ni une désertion. Mais c’est avouer aujourd’hui que c’est au service de son propre combat et donc de la défense du Monde que Plenel inscrivait alors dans le Code déontologique des mauvaises postures, le crime de lèse-Le Monde (et, par extension, de lèse-médias) pour lequel furent poursuivis pendant de longues années tous ceux qui, d’Halimi à PLPL en passant par Acrimed et quelques autres, s’étaient engagés dans une critique sans concession de l’ordre médiatique existant, dont Le Monde était déjà une composante.

C’est pourquoi Plenel préférait alors n’avoir rien à dire sur la cible du livre : un « quarteron de commentateurs multicartes très richement dotés », selon l’expression d’Halimi lui-même. Il préférait, comme le soulignait ce dernier, adopter une autre « posture » : «  […] S’instituant avocat d’une profession de journaliste qui ne lui a pas confié ses dossiers, il escamote la responsabilité sociale des Grands Commentateurs et autres “intellectuels de parodie” […] ».

… Un ordre médiatique dont Le Monde était déjà, en 1998, une composante, disions-nous. Mais ceci est une autre histoire, une histoire que Plenel, toujours oublieux, réécrit à sa façon. Nous y reviendrons (voir le post-scriptum à cet article, en réponse à une demande de Plenel postérieure à sa publication).

En attendant, tous au cinéma : le film Les Nouveau Chiens de garde est sur grand écran, et Bourdieu n’y est, du moins directement, pour rien. Plenel, non plus. Mais on est en droit de se demander si, une fois de plus « Hors sujet », Plenel dirait du film, en 2012, ce qu’il disait du livre, en 1998 : « Ainsi donc, les journalistes seraient les “nouveaux chiens de garde”, meute au service de l’ordre établi et de l’idéologie dominante. C’est du moins ce que l’on retient du pamphlet de Serge Halimi. Certes, sa cible apparente est l’“élite” de la profession, ses signatures et ses présentateurs en vue. Mais ils ne sont éreintés que comme l’avant-garde d’un métier à la dérive. »

Parfois le cinéma porte conseil…

Henri Maler

 Sur le site du Monde diplomatique :

- La présentation de la controverse par Ignacio Ramonet : « Informer sur l’information ».
- La tribune d’Edwy Plenel : « Le faux procès du journalisme ».
- La réponse de Serge Halimi : « Hors sujet ».
- La réponse de Pierre Bourdieu : « Questions sur un quiproquo ».


P.-S. quelques heures plus tard

Réagissant sur son blog à cet article, Edwy Plenel interpelle directement et personnellement son auteur en lui demandant notamment ceci :

[…] Pourrais-tu avoir, au moins, l’obligeance de signaler à tes lecteurs que j’ai rendu compte dans un livre, dès 2006, de ce qui s’est joué au Monde. Les références : Procès, Stock, 2006, puis Folio, 2007. Ce livre fut suivi d’un autre, en 2007, chez Stock aussi, Chroniques marranes, qui reprend mes derniers articles parus dans Le Monde avec une introduction, qui est aussi une explication, intitulée “Autoportrait”. Tu peux évidemment trouver ces éclaircissements insuffisants, mais tu ne peux pas faire comme s’ils n’existaient pas. Les ignorer serait intellectuellement malhonnête. […]

Bien que cette demande soit largement « Hors sujet », puisque l’article qui engage collectivement Acrimed ne porte que très indirectement sur Le Monde, (nous annonçons, à ce propos, que « nous y reviendrons »), mais sur la réplique « Hors sujet » au livre de Serge Halimi et sur sa réédition « Hors sujet », nous apportons volontiers les précisions que Plenel demande sur son histoire du Monde, en attendant d’y revenir, comme promis.

 
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