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Le Monde d’Arnaud Leparmentier macronise la démocratie

par Henri Maler,

Dans un article précédent – « Avant le premier tour, Le Monde n’aurait pas roulé pour Macron ? La complainte du médiateur » –, nous avions mis en évidence les contorsions du médiateur du Monde mobilisé pour nier l’évidence : Le Monde, comme c’est parfaitement son droit, a soutenu la candidature d’Emmanuel Macron. Liberté d’opinion, oui ! Tromperie sur la marchandise, non !

Emmanuel Macron est désormais Président de la République ! Personne ne songe à le contester. Mais de là à faire assaut de légitimisme, il y a plus qu’un pas : un fossé. Légitimisme ? C’est-à-dire le soutien inconditionnel au pouvoir en place au nom de sa légitimité électorale. Le Monde est un quotidien légitimiste : c’est parfaitement son droit. Mais il ne fait aucun doute que le légitimisme ne fait pas bon ménage avec le journalisme. Comme on va le voir…

Emmanuel Macron a été élu avec une majorité des suffrages exprimés : personne ne songe à le contester. Peut-on pour autant célébrer cette victoire électorale comme un « triomphe » que même Emmanuel Macron et ses partisans ne revendiquent pas ? Le Monde, plus enthousiaste que les plus enthousiastes, l’affiche à la « Une » du quotidien daté du 8 mai 2017


Un titre de parti-pris ? Pourquoi pas ? En vérité, un slogan de propagande post-électorale présenté comme une information. Mais que nul ne s’avise à mettre en doute, ou même à discuter cette prétendue information.

Arnaud Leparmentier vitupère


Françoise Degois, une journaliste qui, comme elle dit elle-même, fut « Conseillère spéciale de Ségolène Royal dans une autre vie » ose (en s’appuyant sur un sondage d’opinion sans doute discutable comme ils le sont tous) mettre en question les ressorts, forcément multiples (et parfois contradictoires), dont dépend le sens politique du vote en faveur d’Emmanuel Macron :


Aussitôt, un cerbère du Monde, en l’occurrence son directeur éditorial, aboie :


En guise de réponse, le journaliste sourcilleux a corrigé l’erreur d’attribution, mais c’est pour mieux montrer ses crocs. On vous les montre à nouveau :


Un mensonge, doublé d’une insulte, confortée par une bêtise : cela fait beaucoup en si peu de signes. Un mensonge : personne ne dénie la victoire électorale. Une insulte : quiconque s’interroge sur son sens n’est pas un « pseudo démocrate ». Et une bêtise : il faut être obtus comme un directeur éditorial du Monde pour affirmer que le peuple n’existe qu’à travers sa représentation électorale, ou feindre d’ignorer qu’un même candidat peut agréger des votes motivés par des logiques foncièrement différentes, voire opposées. Et ce n’est pas fini…

Nouveau tweet, nouvel aboiement contre un twitteur qui ose, lui aussi, mettre en question, non le résultat final, mais le sens du vote :


Et en guise d’apothéose démocratique, un tweet plus tard :


Une rage de « pseudo-démocrate », à n’en pas douter, qui prétend effacer des tablettes de l’histoire électorale, un résultat qui n’a pas eu ses faveurs. Légitimiste, jusqu’au bout, puisque, comme n’importe quel journaliste le sait, ce résultat a été effacé par le Traité de Lisbonne. Malheur à qui oserait prétendre que les vingt et quelque millions d’électeurs ayant glissé un bulletin Macron dans l’urne n’étaient pas tous convaincus par son projet européen qui, il est vrai, entérine le Traité.

Qu’un nouveau « tweetos » – un peu excédé, visiblement – avance un nouvel argument, et les jappements, toujours plus furieux, reprennent de plus belle. Vous contestez le tweet précédent d’Arnaud Leparmentier ? « Vous êtes totalitaire » : un émule d’Hitler et de Staline en quelque sorte ?


Le point Godwin [1] atteint en trois tweets ! Voilà qui en dit long sur la capacité du directeur éditorial du Monde à échanger des arguments rationnels et à affronter la contradiction …

Qu’Arnaud Leparmentier, en journaliste ouvertement dépendant, se rêve en partenaire d’Emmanuel Macron et se comporte comme un « fan » enamouré est pour moins troublant ! Peut-être espère-t-il que son zèle lui vaudra une séance photo avec le nouveau locataire de l’Elysée, pour que le cliché vienne compléter celui qui figure sur son compte twitter et sur lequel il s’exhibe (voir en annexe) en compagnie d’Angela Merkel

Quant à savoir si son acharnement outrancier de polémiste atrabilaire est conforme au rôle d’un des directeurs éditoriaux du Monde, nous laisserons au directeur du Monde, Jérôme Fénoglio, le soin de l’évaluer. Nous lui laissons le dernier mot.


L’éditorialiste du Monde surenchérit


Moins de deux jours après son accès de rage prétendument démocratique, le twitteur Leparmentier a été relayé par un rédacteur d’éditorial. S’agit-il du même personnage ? Nous l’ignorons. Le style a changé, mais pas le fond. Habituellement un éditorial du Monde est plus solennel qu’un sermon dominical. Solennel et souvent perfide, comme celui que Le Monde a mis en ligne le 10 mai 2017.

Son titre est suggestif : « L’étrange procès en légitimité fait à Emmanuel Macron ». Sa présentation prononce la sentence : « Le nouveau président serait un président minoritaire, en dépit des 66 % de suffrages qui se sont portés sur son nom. C’est un fort mauvais procès. » Sur quoi repose cette affirmation ? Sur, nous dit-on, ce « simple constat : à peine élu, voilà Emmanuel Macron récusé par certains. ». Qui est « certains » ? Nul ne le sait, mais on va le découvrir. Que disent-ils ? On l’ignore et ce ne serait pas le rôle des journalistes du Monde – rappelons que cette prose émane de journalistes ! – de le dire ! Que récusent les « certains » ? Emmanuel Macron, son élection ou son programme ? Peu importe à l’éditorialiste mondain qui, légitimiste, défend son idole d’un crime (imaginaire) de lèse-majesté.

En quoi consisterait donc l’audace des « certains » ? En une intolérable atteinte à la démocratie macronisée. Pensez-donc : Macron « n’a pas encore pris ses fonctions et voilà sa légitimité mise en doute ».

« Légitimité » : le mot est fort, mais le mot est flou. Le Monde, dans cet édito, n’entend rien d’autre que la régularité et le résultat du scrutin. C’est indiscutable : Macron a bien obtenu la majorité des suffrages exprimés... et, à ce que l’on sache, personne ne le conteste. Mais Le Monde « sait » visiblement bien des choses, quitte à les inventer.

C’est d’abord le fait même que certains critiquent les projets politiques macroniens qui semble insupportable au Monde : « L’on ne sait rien de son gouvernement, pas même s’il aura une majorité à l’Assemblée et voilà, déjà, ses projets condamnés. » À tort ou à raison pourtant, ses projets et non son élection, ont « déjà » été condamnés par « certains ». Ont-ils raison ? Ont-ils tort ? Cela se discute après l’élection comme avant – même si pour l’éditorialiste du Monde, cela ne semble guère discutable. « Les faits sont sacrés, dit-on, les commentaires sont libres ». Mais que valent des commentaires quand, comme la suite le confirme, ils reposent sur une falsification ?

Vient alors la mention des « certains » qui ont osé  : « Notamment par les procureurs de La France insoumise et les sans-culottes autoproclamés qui n’ont pas attendu 24 heures pour descendre dans la rue et décréter la “ guerre sociale”. » Les procureurs du Monde macronisé, en professionnels de la détestation politique et du mépris social, ont choisi leurs cibles. C’est leur droit, mais cela ne leur donne pas tous les droits, à commencer par celui de désinformer : de tailler sur mesure – à la mesure de leur démesure – les arguments de ses adversaires qui, voyez-vous, se borneraient à affirmer que Macron « serait un président minoritaire, en dépit des 66 % de suffrages qui se sont portés sur son nom ».

Et la machine à calculer du Monde qui sert de cerveau à l’éditorialiste anonyme établit ce que toutes les machines à calculer ont déjà établi : qu’Emmanuel Macron « n’a recueilli le soutien que de 43,6 % des électeurs inscrits ». Et Le Monde d’affirmer que c’est pour cela et seulement pour cela que l’élection de Macron serait contestée [2].

La sentence, impitoyable, s’abat alors sur les « certains » : « […] l’on ne saurait, sans danger, contester le principe même de l’élection : le président de la République est celui des candidats qui a obtenu la majorité des suffrages exprimés. » Peu importe si les « certains » dont il est question ne contestent pas « le principe même de l’élection » : s’interroger sur le sens des résultats serait un déni de démocratie !

« L’outrance pourrait prêter à sourire si cette intolérance ne témoignait d’un fâcheux déni des règles de la démocratie »  : c’est Le Monde qui l’affirme, fort de sa propre outrance, qui l’autorise à omettre que parmi les règles de la démocratie figure le droit de manifester et de s’opposer aux projets du président élu. Fâcheux déni, par Le Monde, des règles de la démocratie… et du journalisme.

Or c’est bien ce droit d’opposition que Le Monde, dont l’imaginaire argumentatif défie la plus élémentaire déontologie, conteste ou propose de différer : « Il sera bien temps pour ses adversaires de combattre Emmanuel Macron sur le terrain parlementaire ou social. Qu’ils lui accordent, dans l’immédiat, non pas un état de grâce, ni même un délai de grâce, mais tout simplement le temps de s’installer, de constituer son équipe et d’engager son action. Ce serait la moindre des corrections démocratiques. »

Garant autoproclamé de la correction démocratique, Le Monde macronisé a infligé à ses lecteurs, non une leçon de journalisme, mais un cours de maintien.

Henri Maler (avec Blaise Magnin)



Annexe : Môa et Angela Merkel

Décoration d’un compte Twitter...



 
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Notes

[1La loi de Godwin est une règle empirique énoncée 1990 par Mike Godwin, qui prédit que : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 100 %. »

[2On notera au passage que, pour Le Monde, toutes les oppositions se valent et que la volonté de faire barrage au Front national a le même sens que n’importe quelle autre « tactique » électorale : « Ce n’est pas tout, ajoutent les sceptiques. Quelques 40 % des électeurs qui ont voté Macron l’ont fait, disent-ils, pour faire barrage à la candidate du Front national. La belle affaire ! Comme si la victoire de François Mitterrand en 1981 ne résultait pas, pour une bonne part, du rejet de Valéry Giscard d’Estaing. Et tout autant celle de François Hollande face à Nicolas Sarkozy en 2012. »

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