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Le Conseil de presse du Québec

par Jean Pérès,

Au XXème et au début du XXIème siècle, de nombreux pays se sont dotés d’un conseil de la presse. On en compte aujourd’hui une centaine dans le monde. Une forte majorité de pays européens, une trentaine, dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Suède, la Belgique, ont créé de telles instances. Mais c’est le conseil de presse de la province canadienne francophone du Québec qui a sans doute la réputation la plus forte [1] et qui a inspiré nombre d’autres conseils.

En France, l’idée revient périodiquement d’instaurer un conseil de déontologie du journalisme [2], et tout récemment, Jean-Luc Mélenchon [3] et Emmanuel Macron [4] ont tous deux abordé la question de la déontologie, voire proposé la création d’une structure dédiée dans le cas du responsable de la France Insoumise.

Cet article traite plus particulièrement du Conseil de presse du Québec, non pour en faire un modèle, chaque pays ayant en ce domaine une histoire et une approche propres, mais pour éventuellement tirer quelques leçons de son expérience et appréhender les limites d’une telle entreprise.

Qu’est-ce qu’un conseil de presse ?

Il peut être aussi dénommé conseil de déontologie des médias ou conseil des médias. Le conseil de presse est un organe professionnel d’autorégulation. En tant que tel, il peut être comparé à l’Ordre des avocats ou à celui des médecins, mais la comparaison s’arrête là, dans la mesure où les conseils de presse n’ont généralement pas de pouvoir de sanction et concernent des salariés et non des professions libérales. Ils font office, sinon de tribunal, du moins d’instance de concertation, de médiation et d’arbitrage pour régler les conflits entre le public et la profession ; selon la formule souvent citée de Robert Pinker (Conseil de presse britannique) : « Les conseils de presse servent à protéger la liberté de la presse et à protéger le public des excès de cette liberté. »

Les conseils de presse sont composés de représentants des journalistes, des éditeurs et du public, en proportions variables selon les pays : uniquement des journalistes (Italie), journalistes et éditeurs (Allemagne), journalistes et public (Ukraine), éditeurs et public (Grande-Bretagne), journalistes, éditeurs et public (Bénin, où les journalistes sont les plus nombreux, Québec où les représentants du public sont les plus nombreux). Ces représentants sont désignés soit par la communauté professionnelle, soit par des comités indépendants, qui visent toujours à assurer l’indépendance du conseil par rapport aux diverses formes de pouvoir [5]. Le financement des conseils est généralement assuré par ses membres, hors public, avec souvent une participation de l’État.

Le cœur de l’activité des conseils de presse concerne les litiges qui ne relèvent pas de la loi et des tribunaux mais qui soulèvent des questions relatives à la déontologie ou à l’éthique professionnelle, soit l’ensemble des règles régissant les pratiques professionnelles, parfois rassemblées dans des codes de déontologie. De telles règles condamnent, par exemple, le fait de déguiser des publicités en articles (publi-rédactionnel, publi-reportages), de déguiser en « experts » ou « spécialistes » neutres sur les plateaux de télévision des intervenants dont les activités professionnelles ou les engagements politiques pouvant nourrir des partis-pris ne sont pas mentionnés, les bidonnages (comme la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor), les fausses nouvelles (comme le « charnier » de Timisoara), les « ménages » (prestations juteuses de journalistes à des sociétés privées [6]), les manifestations de sexisme, d’homophobie, mais aussi les conflits d’intérêt, les atteintes à la vie privée, etc. Autant de pratiques dont les critiques abondent dans les articles gracieusement mis à la disposition du public par Acrimed. Nombre de ces offenses à la déontologie professionnelle ne sont pas passibles de sanctions par les tribunaux. Mais même lorsqu’elles le sont, comme dans les cas d’atteinte à l’honneur, à la considération des personnes, les justiciables préfèreront souvent s’adresser au conseil de presse (s’il existe) plutôt que se lancer dans des procès coûteux et au résultat incertain.

Dans les pays, comme la France, qui en sont dépourvus, l’absence de conseil de presse favorise la prolifération des médiateurs, qui sont plutôt des amortisseurs des reproches du public à leur média voire des chiens de garde corporatistes patentés [7] et celle de risibles « comités d’éthique » maison, rendus obligatoires par la loi Bloche et composés sur mesure par les grands médias. D’où l’intérêt des conseils de presse, où les médias interpellés par le public sont normalement contraints de lui apporter une réponse argumentée. Notons également que les éditeurs et les journalistes sont souvent favorables à la création de conseils de presse dans lesquels ils voient un moindre mal face à des projets de réglementation étatique des médias beaucoup plus contraignants [8] et un moyen d’améliorer leur image aux yeux du public.


Le Conseil de presse du Québec

La naissance du Conseil de presse du Québec, en 1973, s’inscrit dans un triple contexte : celui où la presse francophone avait fort mauvaise réputation [9], celui d’une forte concentration des médias, et surtout au moment où le gouvernement envisageait de règlementer le secteur des médias [10]. Il se dénomme plus précisément « Tribunal d’honneur de la presse », une appellation qui, quoique un peu grandiloquente, exprime bien le rôle du Conseil qui fonctionne comme un tribunal classique, mais un tribunal sans pouvoir de sanction autre que morale.

Organisme privé sans but lucratif, il œuvre depuis 45 ans « à la protection de la liberté de la presse et à la défense du droit du public à une information de qualité ». Il s’appuie pour cela sur un code de déontologie publié en 2003 [11] et largement rénové en 2015. Ce guide de déontologie sert de référence à ses décisions.

Le Conseil est composé de trois collèges : 6 journalistes, 6 représentants des éditeurs, et 7 représentants du public. Il est présidé par un représentant du public. Les journalistes sont choisis par l’assemblée générale de la fédération des journalistes québécois, les représentants des éditeurs par ces derniers, et les représentants du public par le CA du Conseil après appel public de candidatures dans les médias et recommandations d’un comité de sélection composé des représentants du public. L’adhésion des médias au Conseil est libre. Il est financé par les médias adhérents (60%), les revenus de ses fonds propres (16%), la Fédération professionnelle des journalistes (2,5%) et le gouvernement (22,5%), pour un total compris entre 500 000 $ (328 000 €) et 700 000 $ (460 000 €) annuels.

Sa compétence s’étend à tous les médias du Québec, qu’ils adhèrent ou pas, mais il n’est financé que par ses adhérents. Il est compétent pour tout litige ayant trait à la déontologie, y compris s’il oppose un journaliste salarié à son employeur ; mais il s’abstient ou se retire si d’autres tribunaux sont saisis de la même affaire. Le Conseil ne peut pas s’autosaisir, mais tout citoyen, tout organisme privé ou public, peut le saisir gratuitement d’une plainte qui, si elle est estimée recevable, fait l’objet d’une décision susceptible d’appel sous 30 jours. Le Conseil n’a aucun pouvoir coercitif mais invite vivement les médias, en particulier celui qui est visé par une plainte, à publier sa décision. Depuis le 15 novembre 2017, le Conseil de presse a mis en place un service de médiation qui recherche dans un délai de 30 jours une « entente équitable et durable » entre les parties. À défaut d’entente, la procédure ordinaire est engagée.

Les plaintes, dont l’immense majorité émanent de particuliers, furent pendant longtemps au nombre d’une centaine par an ; elles ont augmenté depuis 1998, lorsque le Conseil s’est doté d’un site Internet sur lequel elles peuvent être déposées, et récemment, on en comptait environ 220 en moyenne par an (2014-2016), avant que leur nombre ne fasse un bond pour atteindre le chiffre de 735 en 2017. C’est également en 2017 que le nombre de plaintes concernant la presse écrite, qui fut longtemps la principale cible, a été dépassé par celui concernant les autres médias (radio, télévision, Internet – y compris les versions Internet des journaux).

Les plaintes jugées recevables sont ensuite traitées par une Commission des plaintes et, après notification d’argumentaires par les parties, font l’objet d’une analyse par la Commission et d’une décision. Les décisions favorables au plaignant, dites « retenues », sont parfois accompagnées d’un blâme, voire d’un blâme sévère à l’intention du journaliste et/ou du média. Ces décisions ont permis l’édification au fil du temps d’un véritable corpus de jurisprudence sur la déontologie du journalisme, chaque décision faisant l’objet d’un rapport circonstancié où figurent les positions des parties et les conclusions du Conseil. Pour exemple, on trouvera en annexe une décision récente du Conseil prise à la suite d’un afflux exceptionnel de plaintes. Ce sont plus de 2 000 décisions qui sont ainsi accessibles sur le site du Conseil, par thèmes, titres des journaux et années, critères de recherche que l’on peut croiser.

Difficile de savoir si l’existence du Conseil a modifié sérieusement les pratiques professionnelles des journalistes québécois, mais on ne peut douter qu’il a favorisé, au moins par les commentaires que ses décisions ont suscités dans le milieu médiatique, des réflexions et une conscience plus aigüe et avertie des questions de déontologie. De même pour le public : depuis que le Conseil de presse a acquis une certaine notoriété, il a incontestablement contribué à familiariser le public à la déontologie des médias, à ce que peuvent faire et ne pas faire, dire et ne pas dire les journalistes, et partant, à une vigilance accrue à leur égard.

Où s’arrête la liberté d’expression ? Où commence le droit du public à une information de qualité ? Devant trancher ces délicates questions au cas par cas, dans une époque de vive concurrence entre les médias, le Conseil de presse du Québec a fait l’objet de nombreuses critiques.


Critiques et limites

Une critique récurrente souligne la lenteur des décisions du Conseil. Malgré une volonté constante de réduire les délais, ceux-ci tournent autour d’une année, si ce n’est plus ; onze mois (un record de brièveté !) en moyenne en 2017. Et il n’y a pas de procédure accélérée pour des cas qui l’exigeraient. Dans de nombreuses affaires liées à l’actualité, ce délai peut constituer un véritable préjudice pour les plaignants, notamment en cas d’atteinte à la considération de la personne. En cause sans doute, une procédure lourde comprenant de nombreuses étapes [12] auxquelles se sont surajoutées récemment une formalisation de la tentative de résolution amiable, plus étoffée, et la possibilité pour les parties de demander une audition. Mais surtout, le budget manifestement trop faible du Conseil, qui ne permet d’employer que cinq salariés, laisse une charge de travail considérable aux membres chargés d’instruire les requêtes et de prendre les décisions.

Il a aussi été reproché au Conseil de limiter son activité au recueil et au traitement des plaintes, plutôt que de mener de vastes enquêtes sur les médias et le journalisme et, le cas échéant de rapporter de façon autonome des dysfonctionnements constatés. Même si de temps à autre une subvention ponctuelle du ministère de la Culture permet de lancer des études approfondies sur des sujets précis, comme ce fut le cas en 2009 sur l’état de l’information locale, régionale et nationale au Québec, ou encore en 2013 sur l’indépendance des journalistes, le Conseil pâtit en la matière de ses contraintes budgétaires.

Le Conseil serait par ailleurs trop peu connu du public, même si cette tendance semble évoluer au vu de l’accroissement du nombre de plaintes reçues. Ce handicap est important dans la mesure où la seule sanction des médias blâmés par une décision du Conseil consiste à publier cette décision : cette publication sera rarement en première page et en gros caractères et elle pourra passer inaperçue à un public ignorant le Conseil et son rôle (dans l’hypothèse où le média publie la décision, ce qui n’est pas toujours le cas, loin de là, et même si d’autres médias, non concernés par la décision la publient de leur côté). En outre, faire connaître le Conseil de presse au public demanderait un financement autrement plus important que celui dont il dispose [13].

Le Conseil de presse a souvent été attaqué pour sa « partialité ». Certains éditeurs et journalistes lui reprochent, parfois vivement [14] des décisions les concernant. Pour d’autres, c’est « la faiblesse des motifs justifiant les décisions, leur caractère arbitraire et leur absence de rigueur » (groupe Québecor cité par Le Devoir du 15 septembre 2010), qui sont en cause.

Vue par le milieu universitaire, la partialité du Conseil s’exprime au contraire dans des décisions trop favorables aux médias. Ainsi, Armande Saint-Jean, ancienne journaliste devenue chercheuse universitaire se fait l’écho de ces critiques : « Il [le Conseil de presse] serait dominé par les patrons et les journalistes dont les intérêts corporatistes se rejoignent, et le public n’y est représenté que par une certaine élite issue des corps intermédiaires, jamais par "des Noirs, des étudiants, des mineurs" (Sauvageau, 1980). » [15]. Dans le même sens, une étude portant sur les critères déontologiques retenus par 1489 jugements du Conseil de presse du Québec établit que « les résultats de l’analyse confirment les présomptions voulant que le Conseil de presse protège avec vigueur la liberté des entreprises de presse et des journalistes ». L’auteur précise après analyse des contenus des jugements : « Si la jurisprudence du Conseil de presse se révèle partiale par ses taux de rejet des griefs, elle l’est bien davantage par les conceptions qu’elle véhicule » [16]. Jugement confirmé par Marc-François Bernier, titulaire de la chaire de recherche en éthique du journalisme de l’université d’Ottawa, pour lequel les systèmes d’autorégulation, dont le Conseil de presse fait partie, ne sont que « des mythes professionnels assurant la protection des intérêts économiques des médias, au détriment du droit du public à une information de qualité » [17]. Consultés par sondage en 2011, les Québécois semblent du même avis, n’étant que 16% à désigner le Conseil de presse en réponse à la question : « Qui devrait assurer que les journalistes respectent l’éthique et la déontologie de leur métier ? » [18].


La dépendance vis-à-vis des groupes de médias

Comme on l’a vu plus haut, une part notable des difficultés du Conseil tient à son sous financement. Pourtant, parmi les généreux contributeurs au maigre budget du Conseil, tout le monde ne souffre pas d’impécuniosité. Par exemple le groupe Gesca, filiale de Power corporation, compte 33 700 salariés de par le monde, dont 3 150 au Québec, et chiffrait à 28 milliards de dollars canadiens (soit 18 milliards d’euros) ses revenus en 2013. C’est également le cas jusqu’en 2009 (où il quitta le Conseil) de Québecor, un groupe de presse rassemblant plus de 17 000 salariés et dont les revenus s’élevaient en 2015 à 4 milliards de dollars canadiens (soit 2,6 milliards d’euros) de revenus. Que comptent, pour de tels groupes, les quelques dizaines de milliers de dollars accordés au Conseil de presse et à ses cinq salariés ? Le sous-financement semble délibéré, d’autant plus que les grands éditeurs se sont toujours opposés à ce que le Conseil ait les moyens de s’occuper d’autre chose que du traitement des plaintes du public.

La pression économique est d’autant plus forte du fait que le Québec est une région où les médias sont extrêmement concentrés : deux groupes contrôlent 97% des quotidiens (Québecor et Gesca [19]), trois autres 97% de l’audience radio (Cogeco, Astral et Radio-Canada), trois autres 82 % de l’audimat télévision (Bell, Québecor, Radio-Canada).

Cette situation de dépendance rend précaire la stabilité du Conseil. Quand le groupe Québecor, qui contrôle 40 % de l’information du Québec, quitte le Conseil de presse en 2009, il met de fait l’institution en danger sur le plan matériel, en amputant un budget que l’État sera contraint d’abonder [20]. Ce départ affecte aussi la légitimité (au sens de « représentativité ») du Conseil puisqu’il n’est plus reconnu par son principal partenaire. Certes, le Conseil garde la possibilité de traiter les plaintes concernant Québecor, et il le fait, mais les médias appartenant à Québecor ne participent pas au traitement de ces plaintes (en exposant leur point de vue en défense), si bien que les décisions du Conseil les concernant sont formellement biaisées car issues de procédures incomplètes. En outre, évidemment, les médias du groupe Québecor ne publient jamais les décisions du Conseil.

Après le départ de Québecor, le Conseil a dû encore affronter les revendications de Radio Canada, radio-télévision publique, portant sur la procédure de traitement des plaintes (2015), revendications qu’il a dû satisfaire [21]. Plus récemment (2017), il a dû faire face aux protestations du groupe Gesca contre des décisions qui impliquaient le groupe en question, avec, à chaque fois, des menaces de départ, départs qui auraient mis cette fois son existence directement en péril.


***


Au vu de l’histoire du Conseil, même rapidement brossée, et de la constance de ses difficultés, on est conduit à penser que son fonctionnement à bas régime, qui dure depuis 45 ans, ne disconvient pas à tout le monde, en particulier à ceux qui pourraient le modifier : les grands médias partenaires.

Des divers freins à ce fonctionnement, le plus saillant est sans doute le double rôle des éditeurs (patrons de médias), en tant que financeurs et décideurs au sein du Conseil. Position dominante qui est encore facilitée par la liberté d’adhésion au Conseil et la liberté de publier ou non ses décisions, libertés dont les éditeurs usent sans se priver, tout en maintenant le Conseil dans une situation financière précaire.

Par ailleurs, dans une économie des médias de type capitaliste, et qui plus est très concentrée, l’autonomie des journalistes est très sujette à caution. Comme ils sont sous la dépendance, directe en tant que salariés, ou indirecte sur le marché du travail, des éditeurs, il y a de fortes chances que leur contribution aux décisions du Conseil aille dans le même sens que celle des éditeurs, et rompe ainsi l’équilibre initialement prévu entre les trois collèges décisionnaires.

Quant au public, peu instruit de l’existence et du rôle du Conseil, isolé, inorganisé et devant porter seul la charge de la preuve, il voit la majorité de ses plaintes déclarées irrecevables et la moitié de celles qui restent rejetées, et il doit en outre attendre une année avant de voir aboutir ses requêtes. Malgré un effort initial pour qu’il soit représenté plus efficacement, ce public demeure l’enfant pauvre d’un processus pourtant censé être en sa faveur.


Jean Pérès


Annexe : une décision du Conseil de presse, tribunal d’honneur des médias du Québec (15-09-2017) : Prudence dans la couverture de verdicts de culpabilité.


Le Conseil a observé une réaction exceptionnelle du public avec le dépôt de 161 plaintes à l’encontre de l’article « Coupables d’agression sexuelle : les proches des trois jeunes hommes condamnés pour le viol d’une adolescente sont démolis », publié dans Le Journal de Montréal.

Les plaignants reprochaient au journaliste Yanick Poisson d’avoir fait preuve d’un parti pris et d’un manque d’équilibre dans son compte-rendu du verdict. Après analyse, la majorité des membres du comité des plaintes (5/6) a jugé que le journaliste a manqué d’impartialité en présentant les trois hommes condamnés pour agression sexuelle en victimes, notamment en mettant l’accent sur l’impact que le verdict a eu sur eux et leurs familles, dans le choix de mots comme « sont démolis » ou encore l’intertitre « Une soirée qui coûte cher » qui fait référence au prix payé par les coupables. Le Conseil a rappelé le devoir d’impartialité des journalistes factuels, en particulier lors de la couverture d’un procès.

Les mis en cause ont également été blâmés pour le manque d’équilibre dont témoigne l’article en ne faisant pas état de la réaction de la victime et de ses proches au moment du verdict. Indiquer que la victime, qui était présente, ou que ses proches n’avaient pas souhaité commenter la décision du jury aurait permis de remplir minimalement cette obligation déontologique, a fait remarquer le Conseil.

Le Conseil a rejeté les griefs d’atteinte à la dignité, de manque de respect devant un drame humain et d’atteinte à la sensibilité du public et celui d’expression de mépris et d’entretien de préjugés. Cependant, le Conseil a rappelé aux médias de faire preuve d’une prudence accrue, notamment dans le choix des mots, lors de la couverture de procédures judiciaires aussi sensibles qu’une cause de viol collectif dont la victime est mineure. On peut lire ici l’intégralité de la décision.


Post-Scriptum : Nous remercions le Conseil de presse du Québec de nous avoir fourni avec diligence quelques informations qui nous manquaient.

 
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Notes

[1Avant le scandale des écoutes téléphoniques du journal de Rupert Murdoch, News of the world, en 2011, le conseil de presse britannique, la Press complaint commission (PCC), créé en 1953, était aussi une référence. Plusieurs de ses membres ayant été lourdement compromis dans cette affaire, il fut supprimé en 2014 et remplacé par un nouvel organisme, l’Independent press standards organisation (IPSO). Cette mésaventure du PCC a jeté un fort discrédit sur l’ensemble des conseils de presse.

[2Une association a même été créée spécialement à cet effet, l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP).

[3Extrait du texte de la pétition lancée par la France insoumise, « Pour la création d’un conseil de déontologie du journalisme en France » : « Nous demandons la création d’un conseil de déontologie du journalisme en France. Il devrait être composé de représentants des usagers des médias et de représentants des journalistes, y compris les précaires et pigistes. Ainsi, les citoyens disposeraient d’un recours pour faire respecter leur droit à une information objective. »

[4Vœux à la presse, 3 janvier 2018 : « Le deuxième type d’action indispensable dépend de vous. Je sais que beaucoup parmi vous réfléchissent sur la déontologie du métier de journaliste. […] Il vous revient d’organiser en quelque sorte les règles de votre profession, si nous ne voulons plus que tout puisse se valoir et qu’aucune hiérarchie ne soit faite. L’heure est sans doute venue pour votre profession de s’unir autour de principes fortement réaffirmés en un temps de fragilité démocratique. »

[5Ce qui fait par exemple du CSA une sorte d’anti-modèle de conseil des médias. En effet, cantonné au seul domaine audiovisuel à l’exclusion de la presse écrite, ses membres sont nommés par le pouvoir politique (sur ses 7 membres, 3 sont nommés par le président de l’Assemblée nationale, 3 par celui du Sénat, et le dernier, le président, par celui de la République)

[6Dont Christine Ockrent est la reine incontestée.

[8Ainsi, récemment, suite au scandale des écoutes téléphoniques évoqué plus haut, le gouvernement britannique a proposé une « Charte royale » assez coercitive pour réguler les médias. La majorité des journaux ont aussitôt répliqué en créant leur
conseil de presse, l’Ipso.

[9« La préoccupation initiale qui a motivé la création d’un conseil de presse découlait de l’affligeante médiocrité de la presse canadienne française et visait à instituer un mécanisme susceptible de revaloriser la profession journalistique généralement méprisée et maltraitée… » (Ethique de l’information, fondements et pratiques au Québec depuis 1960, Armande Saint-Jean, PUM, 2002).

[10Comme le dit Mario Cardinal : « Le Conseil de presse a été un des éléments qui a été créé pour empêcher justement les législations réglementant l’information au Québec » (Intervention de Mario cardinal, ex Ombudsman de Radio Canada, au colloque sur l’avenir des conseils de presse, organisé par le Conseil de presse du Québec le 16 octobre 2008).

[11Pendant les 30 premières années, le Conseil a donc fonctionné sans code. Ce fut un choix délibéré de ses fondateurs qui tenaient à éviter de s’enfermer dans des critères trop stricts. Mais, avec le temps, au vu de certaines incohérences jurisprudentielles, l’utilité d’un tel code s’est faite ressentir.

[12Étude sommaire de recevabilité, tentative de résolution amiable, nouvelle étude de recevabilité, étude, commentaires écrits des parties, décision, appel éventuel.

[13Une campagne de publicité pour le Conseil de presse a tout de même été réalisée en 2013 ; ce qui explique sans doute en partie la croissance des plaintes dans la période suivante.

[14« En apprenant la décision du Conseil, l’éditeur adjoint de La Presse, Éric Trottier, a vivement réagi : "Voilà une autre décision déplorable du Conseil de presse, a-t-il déclaré. Les grands médias le dénoncent depuis longtemps : le Conseil de presse, au lieu de se comporter en véritable tribunal impartial, tombe trop souvent dans le militantisme anti-journalistique. Dans ce cas, le Conseil va jusqu’à modifier la définition même de l’intérêt public pourtant reconnue par les tribunaux. C’est ridicule." », La Presse, 4 août 2017.

[15Op.cit. p.98.

[16« Légitimation et système normatif : une étude de la jurisprudence du Conseil de presse du Québec », Ulric Deschênes, in Communication Information Média Théorie, année 1996, 17-2, p. 177. L’article est consultable ici.

[17Cité par Adeline Hulin, « L’autorégulation des médias, glaive ou bouclier pour la liberté », in Revue européenne des médias numériques, N° 30-31, printemps-été 2014.

[18Un sondage à prendre toutefois avec précaution, a fortiori puisque, comme nous l’avons mentionné plus haut, de très nombreux Québécois ne connaissent pas même l’existence du Conseil de presse…

[19On notera que les quotidiens du groupe Gesca ont été achetés en 2015 par un groupe moins puissant, Capitales Médias, à l’exception du quotidien La Presse devenu en 2017 un journal électronique indépendant sans but lucratif

[20À ce moment-là, comme les autres financeurs n’ont pas augmenté leur contribution, l’État est devenu le premier financeur avec plus de la moitié du budget, ce qui avait été soigneusement évité lors de la création du Conseil de presse, pour des raisons d’indépendance.

[21Il s’agit des réformes de la procédure de résolution amiable et de l’audition des parties, déjà évoquées.

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