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Tribune

Informations à la solde du divertissement

Nous publions ci-dessous, sous forme de tribune, une contribution à l’analyse - que nous avons peu abordée jusqu’à présent - de l’information-divertissement (Acrimed)

Voici revenu, deux fois par an, le temps des soldes. Et dans nos radios, sur nos écrans, les mêmes sons et visages de clientes euphoriques devant tant de promotions, qui tout d’abord repèrent, essaient, puis se repaissent de tous ses biens, griffés-dégriffés, acquis à la va vite à prix cassés ; les mêmes réactions de commerçants exaltés à l’idée d’être dévastés, puis comblés ou déçus par la ruée consommatrice au terme des soldes. Et les mêmes questions prudemment polémiques : doivent telles durer 4 ou 6 semaines ? Faut-il les faire, surtout l’été, au même moment dans toute la France ? Leur échec ou leur succès dit il quelque chose sur l’optimisme des français ?

De cette grande braderie, nos médias tirent un jus qui a pour nom « infotainement ». Autrement dit, information divertissante et divertissement à la fois. Divertissante pour celui qui la consomme comme une information, un moment du réel, et divertissement pour celui qui lui accorde, comme il se doit, une maigre importance. L’infotainement est en effet à très faible teneur informative, toujours fédératrice des opinions, et grand public dans son traitement journalistique.

Il s’agit donc, en l’occurrence, d’un mélange audacieux de la banalité quotidienne (le fait d’acheter un produit de masse, - en masse) et de sa mise en spectacle dans une comédie médiatique : La comédie du bonheur d’acheter. Le témoin consommateur est d’ailleurs toujours souriant, y compris quand, malgré sa vélocité à se précipiter sur l’ordinateur ou la machine à laver en solde, il arrive bon dernier sous le regard amusé de la caméra.

Une prétention au bonheur dont l’authenticité est d’autant plus « vraie » que ce jour là, le public joue l’acteur de sa quête matérielle du bonheur. Car pour être ludique et efficace jusqu’au bout, l’infotainement a besoin de sa complicité active. Ainsi, à la radio et à la télévision, le public acheteur se reconnaît et les autres publics s’amusent de tant de frénésie contaminatrice, qui d’ailleurs, finit parfois par les contaminer à leur tour.

Certes, il y a dans ce spectacle des soldes une répétition saisonnière qui en d’autres temps lui aurait valu le nom de « marronnier ». Non pas l’arbre, mais le sujet qui revient périodiquement et dont le prototype est : « la rentrée des classes ». Un marronnier journalistique automnal. En effet, à l’heure où tombent de l’arbre, les bogues épineux et les fruits à glacer, les écoliers font, invariablement, leur rentrée. D’où l’appellation de « marronnier ».

L’infotainement a cependant sur lui bien des avantages. Il n’est pas seulement - comme le marronnier - rapide à produire, à date fixe, et prévisible dans son contenu sur l’antenne, -ce qui est un avantage pour les radios télés de flux comme France info ou LCI ; il est surtout foncièrement positif, ludique, et il distille une petite musique propagandiste sur le monde tel qu’il est.

Le jour des soldes, cette petite musique nous dit - par médias interposés - que patrons-salariés-consommateurs sont une famille d’intérêts conjugués. Tous ont a y gagné quelque chose. Un chiffre d’affaire, des salaires assurés, des prix bas. D’où l’omerta généralisée. On ne dira donc rien, ce jour là, sur la maigreur des salaires des employés à mi temps. On ne dira rien, non plus, sur la formation des prix. Le jean’s qui hier coûtait 80 euros n’en vaut plus aujourd’hui que 50. Autrement dit soit hier, on me volait, soit aujourd’hui comme hier, on exploite collectivement celui qui l’a taillé. Enfin, on ne dira rien sur les fauchés - éremistes et autres millions de pauvres - absents au festin. La fête ne doit pas être gâchée. Et pour eux, il y a les vestiaires du Secours Populaire ou d’Emmaüs.

Et si d’aventure, elle l’est, par le refus par exemple, des salariés, de venir ouvrir le magasin à minuit pétante le jour des soldes, il se trouvera devant la grande surface des consommateurs pour revendiquer leur droit à posséder d’urgence le fameux jean’s de tout à l’heure. Et au besoin, la création d’emplois - même temporaires pour la nuitée - leur servira de faire valoir. Tant pis, s’il va de soit qu’au matin, redevenus des salariés comme ceux de la nuit des soldes, ces mêmes consommateurs seront enclins à contester l’obligation qui leur serait faite de travailler un Dimanche.

L’infotainement a aussi ceci de particulier qu’on peut le créer de toute pièce. Le « marronnier » n’est à l’inverse qu’une habitude, une coutume, une routine sociale plus ou moins ritualisées et diffusées par les médias. L’infotainement est au contraire un outil de communication. C’est-à-dire au service d’un intérêt qu’en général, les médias présentent comme l’intérêt général par excellence ; c’est-à-dire neutre : d’où sa fonction fédératrice et son acceptation d’emblée, à la fois comme sujet médiatique incontournable et comme valeur morale commune. Notre société d’individus, très individualistes, particulièrement en quête de lien social est donc grande créatrice et grande consommatrice d’infotainement qui occupe les journalistes et le temps d’antenne des médias.

Il n’est que de citer, par exemple, les journées du patrimoine, la journée sans voiture, la journée du sida, la journée de la femme, la semaine du goût, etc. Bref ce que l’académicien Bertrand Poirot-Delpech appelle les « journées des dupes » [1]. En effet, par exemple, avant d’être une question de formation du goût alimentaire, de prix des bons aliments, de façons de cuisiner et d’assaisonner, de temps à y consacrer, la question du goût renvoie aux conditions de la production agricole : au productivisme, aux engrais, pesticides et autres moyens de forcer la nature à produire en toute saison des fruits et légumes normés, calibrés de formes, d’aspect, et d’espèces, facile d’utilisation, qu’on peut conserver longtemps, des viandes pas chères pour rayon boucher en grandes surfaces....tandis que la radio ou la télévision donnent à voir et à entendre durant cette semaine du goût des gosses, qui d’habitude mangent à la cantine une purée en flocons et qui, ce jour là, découvrent, ô merveille des merveilles.... la purée de pommes de terre.

Durant ces journées, l’infotainement est donc lui aussi hyophilisé. Car le média, qui se contente de relater la réalité immédiate, prend ainsi l’illustration d’une situation - le possible changement de goût des enfants - pour l’explication, et au lieu de favoriser la réflexion de fond sur l’industrie du dégoût alimentaire, les nécessaires changements de mode de production, il propose à ses auditeurs l’adhésion à l’évidence toute faite, positive, pleine de bons sentiments fédérateurs, la solution de l’éducation au goût durant une semaine. Celle du sida ne change rien non plus à la réalité des malades, à leur insertion sociale, à nos comportements collectifs et individuels face au développement de la pandémie.

C’est d’ailleurs un autre trait de l’infotainement que d’esquiver à la fois et le débat de fond, et les mesures à prendre. Ainsi les journées sans voitures vident un dimanche par mois les rues du centre de certaines grandes villes. Elles n’améliorent pas concrètement les transports urbains, n’incitent pas les usagers à les prendre, ne favorisent pas le développement des voitures non polluantes, ou les déplacements alternatifs comme le vélo. L’infotainement divertit et constitue de fait « des manipulations de type publicitaire » qui « sont supposées envoyer aux foules le fameux signal fort dont rêve tout dirigeant , dispenser d’agir, orienter l’opinion, hâter les prises de conscience, produire du consensus, améliorer les sondages . La réussite des « événements » ainsi crées se mesure exclusivement à la couverture médiatique qu’ils attirent » [2].

Mais les médias ont une explication à leur choix qui est aussi la force de l’infotainement. Il passe à leurs yeux, comme les sondages d’opinion, pour un moyen de dire les évolutions de mentalité, de comportements, bref de faire une sociologie du quotidien .... en soldes.

Frédéric Bourgade

 
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Notes

[1« Journées des dupes », par Bertrand Poirot-Delpech, de l’Académie française, Le Monde du 22 Septembre 1999.

[2Bertrand Poirot-Delpech, article cité.

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