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« Grand entretien » d’Emmanuel Macron : misères de la sondologie

par Frédéric Lemaire,

Le dimanche 15 octobre après 20 h, Emmanuel Macron passait un « grand entretien » dont l’exclusivité avait été réservée à TF1 et LCI, chaînes du groupe Bouygues. A peine achevée, la « prestation » du président a fait l’objet d’une série de sondages en ligne… dont les résultats contradictoires témoignent des grandes misères de la sondologie et de ses méthodes.

La campagne présidentielle nous avait déjà habitués à la multiplication des « évaluations de performance » des candidats, avec des méthodologies souvent fantasques que nous évoquions dans un précédent article consacré à un sondage diffusé par BFM-TV...

C’est LCI, une des chaînes bénéficiant de l’exclusivité de la retransmission de l’entretien, qui a dégainé la première les résultats de ses « consultations » en ligne. Problème : comme le souligne un article de Libération, les résultats des consultations de la chaîne sont parfaitement contradictoires selon que l’on regarde LCI à la télévision ou que l’on consulte son site : 71% de non convaincus dans le premier cas, 70% de convaincus dans l’autre, avec un nombre de votants différents. C’est ce que montre cette image diffusée sur twitter :

D’après la chaîne, contactée par Libération, ce résultat s’expliquerait par le fait qu’il s’agit de deux consultations différentes, l’une réalisée via Facebook et l’autre sur le site de la chaîne. La seconde finira d’ailleurs mystérieusement par s’inverser et donner finalement une majorité de votants « non convaincus ».

Ces résultats contradictoires sont une nouvelle démonstration du sérieux de ces « consultations », simples questionnaires en ligne sans échantillon représentatif, où il est facilement possible de voter à plusieurs reprises. À noter que LCI n’est pas le seul média à recourir à ces questionnaires en ligne « à valeur non scientifique », c’est également le cas de RTL, par exemple.

Du côté des « vrais » sondages, le tableau n’est guère plus reluisant. Un sondage a été commandé à l’institut Harris pour RMC et Atlantico. La conclusion est sans appel, d’après BFM-TV :


Pourtant, comme le signale Libération, à partir du même sondage, le site de RMC (qui appartient au même groupe que BFM-TV) tire la conclusion inverse :


Pour comprendre cette différence d’appréciation, il faut s’intéresser à la méthodologie du sondage Harris. L’institut a interrogé en ligne, au terme du débat, un échantillon d’internautes « ayant vu en totalité, en partie ou ayant entendu parler » de l’entretien d’Emmanuel Macron, en leur demandant s’ils avaient été « convaincus ».

Un sondage qui additionne tout avec n’importe quoi : les opinions des plus assidus et celles de spectateurs moins concernés, voire des opinions forgées par ouï-dire, pour ceux qui ont juste « entendu parler » de l’entretien (un peu, beaucoup, passionnément ?). Et de quoi au juste les uns et les autres ont-il été convaincus (ou pas) ? Mystère. Une méthodologie plus que discutable qui révèle le secret de la plupart des sondages d’opinion : ils construisent une opinion qui n’existe pas sans eux.

Quant aux différences d’interprétations entre RMC et BFM-TV, elles s’expliquent par le fait que RMC choisit de mettre en avant les résultats des participants « ayant vu en totalité » l’entretien uniquement. Parce qu’ils sont jugés mieux informés ? Peu importe la raison : ce faisant, RMC sélectionne les résultats d’un sous-échantillon non représentatif, qui rassemble les personnes les plus intéressées par les propos d’Emmanuel Macron, puisqu’elles ont vu la totalité de l’entretien. Un sérieux biais qui s’ajoute à ceux, déjà connus, des sondages en ligne, et dont Alain Garrigou a fait la critique dans cet article.

Ces différents « couacs » dans la publication des résultats des sondages et autres questionnaires en ligne témoignent de l’inanité de ces « enquêtes » low-cost ; mais aussi de la grande désinvolture des chaînes de télévision qui présentent leurs résultats comme des informations parfaitement fiables… quand bien même il s’agit souvent d’artefacts sans valeur.


Frédéric Lemaire

 
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