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2002 : Edwy Plenel découvre le vaste monde

par Henri Maler,

En septembre 2002, paraît un livre d’Edwy Plenel, La découverte du monde. Ronds de jambes, promotions et contorsions.


Convergence miraculeuse

Dans son « Bloc-notes du Point daté du 18 octobre 2002, consacré à « La découverte du monde », d’Edwy Plenel (Stock), Bernard-Henri Lévy se réjouit du « sentiment, peu fréquent, d’avoir affaire à un programme, une pensée, un système de réflexes et de partis pris qui sont, miraculeusement, chaque fois les miens. ». Et parmi les mobiles de cette convergence « miraculeuse », celui-ci :

« Et le formidable lapsus qu’il [Edwy Plenel] est, à ma connaissance, le premier à pointer et qui fait que ladite gauche est la seule au monde à traduire « globalisation » par « mondialisation » : elle laisse entendre, ce faisant, que c’est le monde qui pose problème et, par ce simple écart de langage, cette simple et minuscule erreur de traduction, elle tend la main au nationalisme, fait le lit du souverainisme et ouvre grande la brèche où s’engouffrent la xénophobie, la peur de l’autre, l’indifférence à la misère du monde ; ah ! l’impensé colonial du socialisme français ! »

Subitement réveillé de sa torpeur théorique, Bernard-Henri Lévy découvre que ce ne sont ni le libéralisme, ni le capitalisme - « globalisés » ou « mondialisés » - qui « font problème », comme on dit, mais un « écart de langage »...

Promotion avantageuse

Dans Le Monde daté du 15 octobre 2002, on pouvait lire sous le titre « Télévision : Globlalisation » un résumé de l’émission de Thierry Ardisson, destiné aux lecteurs qui l’auraient manquée, volontairement ou non. Extrait :

« Toujours chez Ardisson, on pouvait voir samedi soir Edwy Plenel. Le directeur des rédactions du Monde défendait, sur le plateau, la thèse suivante : la découverte de l’Amérique par Colomb, en 1492, est l’acte fondateur de l’unification de la planète. Mais c’est aussi le début de l’ère des colonies et des terribles violences imposées aux autres peuples par ceux de l’Occident. La période qui s’achève a consisté en une occidentalisation du monde. Nous assistons désormais, et depuis le 11 septembre 2001 c’est encore plus évident, à un choc en retour venu des anciens colonisés méprisés pour leur différence. Il ne faut pas se laisser tétaniser par les images en boucle des tours jumelles de Manhattan. Il faut accepter que l’autre existe. Et, au fait, pourquoi les Français sont-ils les seuls à employer le mot de "mondialisation" ? Le terme utilisé partout ailleurs est bien meilleur : la "globalisation". »

Et pourquoi est-il meilleur ? Parce qu’il permet d’accepter que l’autre existe !

Dominique Dhombres, auteur de cette chronique destinée à assurer la promotion de l’œuvre de son directeur, prend ainsi le risque d’en affaiblir la portée !

Coïncidence troublante

Dans Le Monde du lendemain - 16 octobre 2002 - l’éditorialiste anonyme, sous le titre « Chaplin aujourd’hui », commente la sortie du Dictateur dans une version restaurée, et en particulier le « slogan » qui figure sur l’affiche du film : "Pour une mondialisation heureuse et égalitaire" :

« Placée explicitement en résonance avec le titre du film, cette phrase en forme de mot d’ordre est plutôt une invite à traquer les nouveaux visages de la dictature sous les refrains enchanteurs de la mondialisation. Méfiez-vous, dit-elle au spectateur : la figure du dictateur se cache sous les mots d’aujourd’hui.

Publicitaire et commercial - puisqu’il s’agit après tout de séduire et d’attirer le public -, ce choix n’en dit pas moins une politique et une idéologie. A ce titre, il est éminemment discutable. Chaplin termine son film par un éloge universaliste et humaniste du monde, d’un monde de démocratie, d’un bien commun et de valeurs communes. A l’inverse, le slogan publicitaire épouse toutes les ambiguïtés du débat français, celles-là même où se brouillent les repères humanistes et s’égarent les référents universalistes. La France est le seul pays où s’est imposé, dans le langage courant, ce mot - "mondialisation" - pour évoquer l’actuelle globalisation du monde. Dans un pays où les ennemis modernes de l’universalisme et de l’humanisme ont toujours eu pour refrain la critique du "mondialisme" et des "mondialistes", dans une version euphémisée de leurs antiennes contre le cosmopolitisme et le métissage, cet usage ne laisse pas de surprendre.

C’est une façon de laisser entendre que notre problème serait soudain le monde et ses illusions, alors que, depuis cinq siècles, la France en particulier et l’Occident en général se construisent et se définissent dans une relation dialectique au monde. Englober sous le vocable de "mondialisation" les injustices et inégalités d’un monde de toute façon commun, c’est faire croire qu’il suffirait d’échapper au monde pour être enfin heureux et égaux. Qu’il faudrait retrouver le proche et le semblable en tournant le dos au prochain et au lointain. Le message du Dictateur est à l’opposé : l’éloge du monde, contre le repli sur soi. »

Toute ressemblance de l’éditorialiste anonyme du Monde avec un éditorialiste clandestin, voire avec Edwy Plenel serait purement fortuite ou accidentelle.

Un éditorial du Monde consacré à une affiche publicitaire : rien n’est trop beau pour assurer la promotion des pensées qui comptent !

Tout ça pour en arriver là

Si vous troquez un mot pour l’autre - la « globalisation » pour la « mondialisation » - la « mondialisation » devient « heureuse »

Jusqu’alors nous n’avions pas compris que lorsque Le Monde se refusait à qualifier péjorativement la mondialisation de « libérale » ou de « capitaliste » et nous invitait à accepter la « mondialisation-mais-régulée », c’était tout simplement le monde qu’il nous invitait à accepter.

Nous n’avions pas compris qu’en désignant comme « les antimondialisation » ceux qui s’opposent à la mondialisation libérale et capitaliste et en rechignant à préciser à quelle mondialisation ils s’opposaient, Le Monde voulait tout simplement laisser entendre qu’ils étaient contre le monde.

Nous n’avions pas compris que la mondialisation est « heureuse » par définition, qu’elle reçoive ou non la bénédiction d’Alain Minc : c’est la « globalisation » qui ne l’est pas ou du moins pas totalement.

Mais qu’importe ! Nous pouvons lui opposer le « métissage ». Mais quel « métissage », si ce n’est le métissage de la pensée d’Edwy Plenel avec celle de Jean-Marie Colombani, Bernard-Henri Lévy ou ... Alain Minc, qui ne s’est pas encore prononcé sur cette grave question de vocabulaire.

Quel « métissage » ? Puisque le mot figure désormais dans un nombre croissant de titres et d’articles du Monde, qu’il soit de Manu Chao, de Raffarin et ou de la commission sur intégration (avec Mongin et ... Imbert ! )

Quel « métissage », puisqu’il n’est plus question ni d’égalité ni d’internationalisme ? Nous tenons une ébauche de réponse dans une nouvelle version de la rénovation conceptuelle chargé de changer la face ... des mots.

En effet, dans Livres Hebdo n°484 du 4 octobre 2002, Edwy Plenel justifie, une fois de plus, l’édition d’un résumé du New York Times dans Le Monde du week-end. Il explique tout simplement qu’il a « voulu faire un journal international en langue française. » Rien de moins !

« (...) un journal international en langue française. Un journal du monde. Métissé et cosmopolite à l’image du monde. [Avec la publication du NYT] nous voulions montrer qu’il y a d’autres récits du monde et le donner à voir au moment le plus sensible, cet après-11 septembre où le repli menace, l’obsession des origines, l’identité assignée. J’ai expliqué qu’on n’accueillait pas n’importe quel récit, mais celui du meilleur quotidien américain. Il y a une culture professionnelle commune, mais différents regards sur le monde et ces regards se croisent.  »

Cet éloge convenu du multiculturalisme sent un peu la naphtaline. Mais qu’on ne s’y trompe pas : c’est un léger soporifique qui devrait permettre aux somnolents de sombrer dans un sommeil profond. Eux seuls ne se rendraient pas compte que le « métissage » a pour symbole qui le résume ... le mariage entre Le Monde et le New-York Times : le « métissage » entre la voix de la France et la voix de l’Amérique.

Les autres ? Ils attendront la fin de la « globalisation »...en lisant, peut-être, Le Courrier International, en français.

(Rédigé en octobre 2002)

 
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