Annoncée depuis longtemps, la future loi sur l’audiovisuel promet une réorganisation qui va surtout se traduire par un rétrécissement du secteur public. La loi va permettre de nouveaux cadeaux aux chaînes privées sur la publicité et la diffusion du cinéma. Un nouvel organisme de contrôle et de régulation va fusionner le CSA et Hadopi et tentera d’imposer des obligations de production française supplémentaires aux plateformes géantes type Netflix. Dans l’audiovisuel public, la mise en place d’une holding chapeautant France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias Monde permettra de gérer la pénurie et risque de renforcer la tutelle politique. Côté financement il faudra encore attendre. Seule certitude : les économies vont continuer alors que l’audiovisuel public affronte une concurrence qui met son avenir en danger.
Il y a quelques jours des salariés de Radio France, mobilisés contre un sévère plan d’austérité [2], publiaient une tribune frappée au coin du bon sens : « Faire plus avec moins ne marche ni à l’hôpital, ni à l’école, ni dans les transports, ni à l’université, ni dans les lieux d’art, etc. Pourquoi cela marcherait-il à la radio ? » (Le Monde, 28 novembre). Réponse du Premier ministre, Édouard Philippe, sur l’antenne de France Inter : « Nous demandons à tous ceux qui gèrent de l’argent public de faire des économies. Radio France a d’excellents résultats, mais ça ne l’exonère pas de cet effort de maîtrise » (« 7/9 » de France Inter, 21 novembre).
Un dialogue de sourds caricatural. Que peuvent les arguments rationnels de ceux qui défendent le bien commun face au fanatisme libéral, qui, de Bruxelles, à Bercy, en passant par l’Élysée et Matignon impose les mêmes orientations depuis au moins trois décennies ? Des contraintes budgétaires inflexibles qui écrasent et appauvrissent les secteurs publics de la santé, de l’éducation… ou de l’audiovisuel [3].
En prenant ses fonctions, l’actuel Premier ministre n’a-t-il pas détaillé son Plan d’Action Publique 2022 qui prévoit de réduire la dépense publique d’environ 60 milliards d’euros et de supprimer 120 000 emplois publics d’ici la fin du quinquennat ? Un effort d’économies que chaque ministère doit décliner dans son secteur, y compris par « des transferts au secteur privé, voire des abandons de missions » !
Réduire l’emploi tout en s’adaptant aux défis ?
De fait, comme c’est le cas ailleurs, l’État a renoncé à jouer tout rôle de stratège voire de régulateur du secteur de l’audiovisuel. Seule domine une étroite vision comptable. À France Télévisions ce sont 900 emplois qui seront supprimés et 400 millions d’euros d’économies qui sont attendus [4]. Une saignée qui s’ajoute à une succession de plans et de décisions qui ont déjà profondément fragilisé l’audiovisuel public [5]. Au total, en dix ans, ce sont plus de 2 000 emplois, soit 20 % des effectifs de France Télévisions, qui seront supprimés ! Pour faire face il ne reste qu’à aller vers des modèles low cost et rétrécir le périmètre et les missions.
France Télévisions a taillé dans ses programmes, supprimé « Thalassa », « Soir 3 » et fusionné ses rédactions nationales. C’est sans moyens supplémentaires que France TV et Radio France ont lancé ensemble la chaîne d’information en continu (web, télé, radio) France Info : la mutualisation des programmes régionaux avec les locales de France bleu et de la radio filmée permet à France 3 d’afficher son objectif de « triplement des volumes de diffusion ».
C’est dans ce contexte de très fortes contraintes que France TV doit pourtant répondre à des défis majeurs : un public vieillissant, de nouveaux modes de consommation et la concurrence des géants de l’Internet. Aujourd’hui, on ne regarde plus la télévision à heures fixes mais à la demande, quand on veut, où on veut, et sur n’importe quel support (tv, tablettes, smartphones). Il est donc plus important d’avoir des catalogues de programmes que des canaux de diffusion. Comment faire face aux plateformes comme Netflix, Amazon ou Disney qui disposent de milliers d’heures de programmes si la télévision publique n’est pas propriétaire des siens [6] ?
L’enjeu stratégique des programmes
On se rappelle le rachat de Newen, le producteur de « Plus belle la vie », par TF1. Avec cette opération, la chaîne privée devenait propriétaire de centaines d’heures d’un feuilleton que France TV avait entièrement financé ! L’électrochoc a contraint les producteurs à accepter un léger assouplissement des décrets Tasca. France Télévisions qui ne pouvait fabriquer que 5 % de ses programmes en interne peut désormais aller, en théorie, jusqu’à 17,5 %. C’est ce qui a permis depuis 2018, que l’autre feuilleton grand public, « Un si grand soleil », soit entièrement fabriqué dans ses propres studios par France Télévisions qui en possède tous les droits. Mais on est très loin du compte.
Comme c’est un enjeu stratégique, tous les acteurs privés du secteur construisent de grands groupes intégrés pour être à la fois diffuseurs et producteurs/propriétaires de contenus. C’est le cas du groupe TF1 avec Newen ou de Vivendi/Bolloré (Canal +, CNews) qui possède les studios d’Euromédias (l’ex entreprise publique S.F.P. bradée par l’État pour une bouchée de pain) et est un actionnaire important du leader mondial de la production Banijay/Endemol. Ce producteur, qui fait beaucoup de télé poubelle, est présent dans 23 pays avec 200 filiales et peut commercialiser un catalogue de 100 000 heures !
À côté, le secteur public fait triste figure. Pour faire face à la force de frappe de Netflix [7], France TV a essayé de construire des alliances en Europe avec d’autres télévisions publiques mais, pour l’instant, c’est un échec. Les ressources insuffisantes et les contraintes légales qui étranglent France TV ont refroidi les partenaires européens. Résultat, France Télévisions produit beaucoup moins que ses voisins de taille comparable, prend peu de risques et manque d’audace dans ses fictions. La vente de ses programmes ne rapporte à France TV que moins de 100 millions d’euros alors que les recettes de la BBC, par exemple, sont plus de dix fois supérieures (1,2 milliard d’euros) et qu’elle fabrique les trois quarts de ses contenus !
La beeb (surnom de la BBC) est présentée comme le modèle de la future holding publique. La comparaison est douteuse. Même si l’audiovisuel public britannique a dû, lui aussi, se serrer la ceinture, il a tout de même un budget deux fois plus important que l’audiovisuel public français et a eu, pendant des années, des financements spécifiques pour réussir le virage numérique. En France ces investissements ne se sont faits que par des redéploiements et des économies.
C’est en partageant leurs moyens que les médias audiovisuels publics ont lancé des plateformes et des sites comme Culture box, Lumni (éducation) ou Okoo (enfants). Parfois même en association avec TF1 et M6 comme dans le projet de replay et de VOD Salto. Mais le volontarisme et les mutualisations ont des limites et l’heure est tout de même à l’atrophie.
L’avenir de l’audiovisuel public est-il garanti ?
France Ô et France 4 [8] seront supprimées avant fin 2020. Début 2023 la holding France Médias regroupera France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias Monde [9]. Elle a un double but : accélérer les économies de structures et garantir un plus grand contrôle du pouvoir. Sous-financé et n’ayant aucune autonomie économique, l’audiovisuel public avec sa gouvernance centralisée sera encore plus à la merci de l’exécutif. Un vaste plan de rétrécissement qui fait partie des grands projets du quinquennat de Macron et avait d’ailleurs été exposé dans le programme du candidat en 2017.
Dès à présent les entreprises sont confrontées aux baisses d’effectifs, aux réorganisations permanentes, aux changements de métiers. Tout en même temps et au pas de charge. Cela génère du stress, de la perte de sens et des souffrances au travail généralisées. Une situation qui pourrait devenir inquiétante pour le personnel et que les syndicats, aux limites du burn out, ont du mal à gérer.
Il faut saluer la remarquable mobilisation du personnel de Radio France, pendant plusieurs semaines. Elle a peut-être éclairé une partie du public sur le fait que l’audiovisuel public concerne tout le monde. Mais c’est encore très insuffisant. Dans le meilleur des cas, télés et radios publiques ne sont vues, avec fatalisme, que comme un des nombreux services publics attaqués par ce gouvernement. Au pire ils font l’objet d’une défiance et d’une colère souvent légitimes. Des émissions comme « Cash investigation » (et beaucoup d’autres programmes) sauvent l’honneur et montrent la place indispensable du service public mais l’absence de pluralisme chez les éditorialistes, des classes populaires rendues invisibles [10], le réflexe de coller trop souvent à la communication gouvernementale dans les journaux télévisés ne sont malheureusement plus à démontrer. Tout cela a créé un désamour aujourd’hui dangereux.
Bien évidemment, ce n’est pas du sommet des entreprises publiques qu’une contestation des politiques gouvernementales est possible. Sibyle Veil, la PDG de Radio France, est issue de la même promotion de l’ENA qu’Emmanuel Macron. Elle est proche de lui et partage sa vision ultra libérale. Pour sa part, la patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte, n’est plus la tweeteuse indocile qui réclamait « fromage et dessert » (à la fois une augmentation de la redevance et celle de la publicité). Après la colère d’Emmanuel Macron sur « la honte de la République » [11], elle a compris la leçon. Aujourd’hui, la patronne de la télé publique trouve même certaines vertus à la cure d’austérité qui lui est imposée [12]. Elle ne se bat plus que pour mériter un demi-mandat supplémentaire [13] en préparant le rétrécissement de France TV.
L’expérience l’a montré, la recherche d’économies et la baisse de la dépense publique ne s’arrêtent jamais dans l’esprit des libéraux. L’existence d’un audiovisuel public vu comme un bien commun et un marqueur de la démocratie est loin d’être garantie. La future holding sera-t-elle autre chose qu’une machine à réduire le secteur ? Que se passera-t-il après la disparition de la taxe d’habitation à laquelle est adossée la redevance ? Taxe universelle ? Ligne budgétaire variant chaque année ? Pour l’instant c’est l’inconnue mais il y a fort à craindre que l’audiovisuel public devienne une variable d’ajustement et que le processus destructeur ne s’accélère. Certains en rêvent d’ailleurs tout haut comme Jean-Philippe Delsol, président de l’IREF (Institut de recherches économiques et fiscales) qui, dans une tribune récente, dit les choses avec clarté : « Il est audible qu’un gouvernement se réserve un canal spécifique, une chaîne, une radio pour pouvoir s’exprimer librement en cas de besoin. Mais pourquoi en avoir dix, vingt ? Est-ce le rôle de l’État d’exploiter de tels médias ? Il n’a pas de journaux et s’en passe très bien. » (Les Échos, 22/11/2019).
Des outrances ultra-libérales volontairement caricaturales ? Ou une feuille de route en train d’être appliquée avec méthode ?
Fernando Malverde