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Olivier Truchot étrille les profs… et s’en félicite sur RMC

par Frédéric Lemaire,

Un bon éditocrate ne se dédit pas, il se justifie. Et ce ne sont pas les occasions qui manquent. Dernier exemple en date : après avoir publié un tweet incendiaire contre les profs grévistes, Olivier Truchot a eu l’occasion de s’en expliquer longuement… dans sa propre émission. En toute connivence avec son co-animateur, et dans la plus pure tradition du journalisme de commentaire, aussi autoréférencé que hors-sol.

Ce mercredi 27 janvier, Alain Marschall affiche une mine réjouie au micro des « Grandes Gueules ». « L’ami Olivier Truchot a mis hier le feu à Twitter, au réseau social, il a même été en tendance Olivier, avec un petit tweet concernant la grève des profs ». Le tweet en question s’affiche à l’écran :



Et de se tourner vers son co-animateur : « Ce qui t’a valu de prendre quand même, en majorité, une véritable volée de bois vert et un tombereau de critiques, pour ne pas dire d’insultes. » Le micro est à la défense, donc. Olivier Truchot ne va pas s’en priver, prenant la parole pendant deux longues minutes pour enfoncer le clou – et distiller au passage quelques contrevérités :

Alors, majoritairement, non. Majoritairement, j’ai été plutôt liké comme on dit, et majoritairement les gens ont plutôt approuvé. Alors forcément ça a déplu à certains, sans doute ceux qui étaient dans la rue ou en grève.

À se demander pourquoi RMC s’embarrasse à commander des sondages, quand Olivier Truchot sait lire l’opinion des « gens » dans les « likes ». Prétention d’autant plus risible qu’à bien regarder les commentaires, on peine à trouver des messages approbateurs. La tendance est plutôt à la « volée de bois vert ». Comme ce tweet s’étonnant « qu’un journaliste au salaire à 5 chiffres s’indigne depuis son canapé d’une grève enseignante » [1]. Quoi qu’il en soit, Olivier Truchot poursuit :

Tout d’abord ce tweet n’attaque pas les profs, je dis « des profs ». Déjà, les profs ça ne veut rien dire, ils sont entre 800 000 et 1 million dans ce pays, donc ce serait idiot de faire une généralité. Je m’en prenais à ceux qui faisaient grève et ceux qui étaient dans la rue. Et d’ailleurs j’ai regardé les chiffres, ils étaient très minoritaires, la majorité des profs étaient en classe, face aux élèves.

Olivier Truchot a regardé les chiffres… ceux du ministère, bien entendu. En témoigne un tweet publié dans la suite du premier :



Fin du débat ? Pas sûr. Comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, la légitimité et la méthode de calcul du chiffre du ministère sont souvent contestées. Et s’emparer de ces seuls chiffres est un peu court… Les syndicats de la fonction publique évoquaient quant à eux une participation à hauteur de 40%. Mais Truchot n’a pas terminé son plaidoyer :

On l’a souvent dit, et moi le premier, la fonction de prof a été dévalorisée ces dernières années. Les professeurs des écoles, c’est vrai, sont beaucoup moins payés que leurs collègues du secondaire, sans véritablement de justification. On sait aussi que l’école française baisse dans tous les classements internationaux. Donc ça aussi c’est une réalité et on doit en prendre compte.

Drôle de manière de « valoriser » le métier que d’opposer les enseignants du primaire et ceux du secondaire ! En remettant en cause, de surcroît, la performance des premiers… Rien de surprenant toutefois, car Olivier Truchot est coutumier du « prof-bashing » : en août 2019, il animait une émission au titre évocateur (« Les profs ont-ils raison de se plaindre tout le temps ? »). Présentant les enseignants comme de « petits colibris » que « Jean-Michel Blanquer ne cesse de […] caresser dans le sens du poil »…

Loin de lui l’idée de rappeler que le salaire réel de tous les enseignants a diminué ces dernières années, et que leurs revenus moyens sont, à formation comparable, inférieurs à ceux des autres salariés [2]. En ce 27 janvier, l’éditocrate souhaite plutôt enfoncer le clou et justifier son tweet :

Mais alors ceci étant dit, aujourd’hui, est-il opportun de se plaindre, de faire grève, de manifester, alors que c’est une catégorie de la population qui est plutôt protégée par un statut, l’emploi à vie, par, finalement pendant le confinement, un traitement qui a été versé à 100% – et tant mieux, hein.

Bref : les profs sont des privilégiés, et feraient mieux de cesser de se plaindre ! Une rengaine médiatique fort peu originale, assortie d’une précision de mauvaise foi concernant le confinement. Car si le traitement des fonctionnaires a été versé à 100%... c’est que les profs ont continué à travailler, contrairement à ce que semble sous-entendre Olivier Truchot. Qui poursuit sa tirade :

Alors certes, c’est vrai que les profs se sont mobilisés, il y a des profs formidables qui ont fait des visios, etc. Et on l’a dit ici. Mais est-il opportun de se plaindre, au moment où des étudiants sont aux Restos du cœur le soir, au moment où des artisans sont au bord du suicide, au moment où des restaurants, des restaurateurs se disent « va falloir que je change de métier parce que on peut plus rouvrir », voilà.

La mise en concurrence des souffrances (au travail) étant un ressort bien connu du maintien de l’ordre, on aura compris le message : d’autres étant moins bien lotis, les profs devraient faire profil bas. Commandement médiatique que vient renforcer l’argument final :

Et puis en plus, je trouve ça plutôt paradoxal de participer à une manifestation où les gestes barrières sont pas toujours respectés, au moment où on interdit aux gens d’aller dans une salle de spectacle, dans un stade, voilà, ça me parait tellement incongru d’aller manifester aujourd’hui puisque les rassemblements semble-t-il sont interdits. Bref, c’est pour ça que ce tweet me semblait opportun et c’est pour ça que je l’ai fait.

Peu importe que les manifestations ne soient pas interdites pendant l’état d’urgence sanitaire – contrairement à ce que semble indiquer ou souhaiter notre éditocrate. On notera également que Truchot semblait autrement moins regardant sur les normes sanitaires lorsqu’il commentait avec amusement les images d’un pot de départ, sans masque et sans distanciation sociale, au commissariat d’Aubervilliers. Inimitiés sélectives ?

Certes, au cours de l’émission, deux intervenants viendront contester la version de l’animateur. Lequel restera droit dans ses bottes, s’indignant qu’il y ait « des gens qui fassent grève au moment où d’autres crèvent la dalle », tout en ayant le soutien des « tauliers » de l’émission, son collègue Alain Marschall et l’inénarrable Gilles-William Goldnadel.

Bref : comment le tweet d’une « grande gueule » a débouché sur une séquence d’autojustification, organisée par ses soins dans sa propre émission… Un monument de « journalisme » de commentaire, toujours plus affranchi de la rigueur et de la bonne foi élémentaires.


Frédéric Lemaire

 
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Notes

[1Ou encore cette réaction salée d’un instituteur et ancien participant des « Grandes Gueules ».

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