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Les garde-chiourmes du Midi (L’Empaillé)

Nous reproduisons ci-dessous, avec leur accord, un article paru dans le numéro 7 de L’Empaillé, journal aveyronnais indépendant, sans publicité ni subventions, et au parler franc. Il y est question des « garde-chiourmes du Midi », échantillon d’éditocrates du quotidien La Dépêche du Midi, qui n’ont apparemment rien à envier à leur homologues de la presse nationale ou de l’audiovisuel. La Dépêche, dont l’histoire, de la collaboration à nos jours, a été retracée par L’Empaillé n°1, fait partie du groupe de presse éponyme, aux mains du potentat local, Jean-Michel Baylet, qui a un quasi monopole de la presse imprimée sur la région Occitanie. (Acrimed)

La Dépêche possède une poignée d’éditocrates qu’on aimerait bâillonner. Oh… on les entend d’ici s’enflammer dans leurs bureaux : « Bande de censeurs-totalitaires-haineux-radicalisés-qui-fragilisent-la-démocratie ! » Mais c’est plus fort que nous. Si ces gens-là se targuent d’être de fins analystes, ils sont en réalité de pauvres commentateurs sans convictions, réduits à produire des éditos journaliers fades, anecdotiques et moutonniers.

C’est en s’intéressant à ces officiers de La Dépêche, à leurs éditos ou à leurs comptes Twitter, qu’on peut mettre en lumière le positionnement du groupe et de ses journaux, qui pourraient parfois nous endormir avec une prétendue « neutralité ». Le traitement du mouvement social a été particulièrement réduit, limité à quelques articles lors des journées de manif, noyés comme d’habitude dans une mer de publicités, de futilités ou de faits divers prompts à produire de l’audimat. Mais nos éditocrates ont aussi pris leur plume pour marquer clairement leur soutien aux réformes Macron et s’horrifier de la violence des masses. Pour répéter que seul le vote est démocrate, pour défendre ministres ou députés contre des syndicalistes désespérés, opposés au seul concept qui vaille, le « com-pro-mis », érigé en totem indépassable. Leurs petits cerveaux ne laissent alors que deux options : ou vous êtes réformistes, démocrates et constructifs, ou vous êtes contestataires, jusqu’au-boutistes et radicalisés.


Le consensus imaginaire


Commençons par le nouveau rédac’ chef de La Dépêche, Lionel Laparade. Un pantin de plus de la macronie, sans envergure et sans intelligence. Son compte Twitter est pathétique, se succèdent des liens vers des papiers mâchés de son journal, avec des retweets sans importance sur un salon du fromage ou un coucher de soleil toulousain. S’il se limitait à ces âneries, ça nous arrangerait bien. Mais le 11 septembre dernier, il se demande faussement dans son édito : « La France a-t-elle encore envie » de ces gilets, après « dix mois de samedis jaunes et de violences blacks » ? Histoire qu’on assimile les manifs du samedi à la violence, et qu’on se range derrière la sentence éditoriale du jour : « Le bulletin de vote est la seule arme qui vaille en démocratie ». C’est pourtant le bulletin de vote des parlementaires qui a mis Pétain au pouvoir, et ce sont les grèves ouvrières de l’histoire qui sont à l’origine de pas mal de choses, mais allez raconter ça à Laparade, il doit être au golf et ne veut pas être dérangé.

Le 29 novembre, à l’aube d’un mouvement qui s’annonce énorme, notre rédac’ chef se fait porte-parole de l’Élysée : « Fallait-il alors ne rien faire ? Contester une réforme de notre système de retraite, c’est nier les graves menaces qui pèsent sur ce modèle solidaire que beaucoup nous envient. Cette évidence fait consensus, comme aurait pu le faire le projet d’Emmanuel Macron, au moins en théorie ». Évidemment, la seule « réforme » possible est celle de Macron. Il n’évoque pas les propositions syndicales consistant à augmenter les cotisations patronales, pas plus qu’il n’explique quelles sont ces graves menaces inventées par le gouvernement. Et on se demande encore où il a vu un consensus chez les Français pour ce projet qui diminue leurs pensions et leur impose de travailler plus longtemps.

Le 10 décembre, dans son édito titré « Quand c’est flou », il fustige ceux qui prennent la rue sans connaître le contenu de la réforme, et clame qu’il faut attendre le discours de Philippe qui doit « parler vrai ». Le 11, la Une de son journal titre « On va enfin savoir » ! C’est quand même rigolo, tout le monde sait grosso modo vers où nous mène cette réforme, sauf les journalistes de La Dépêche ! Il n’y a jamais eu aucun flou : un système universel par points, la suppression des régimes « spéciaux », une baisse des pensions avec un calcul sur l’ensemble de la carrière, un prolongement du nombre d’années au travail.

Mais pour faire de la pédagogie, après avoir soutenu l’appel à la trêve de Noël du chef de la CFDT en Une de La Dépêche, le chef tweete le 18 décembre : « Notre expert vous répond en live sur la réforme des retraites ! » En cliquant sur le lien-Dépêche, le spécialiste annoncé est Pierre Chaperon, présenté comme ayant « exercé des fonctions de direction dans différentes caisses de retraite ». Renseignements pris, cet expert à la noix travaille chez Galéa & Associés, une boîte de conseil pour les entreprises, et pourrait avoir une fâcheuse tendance à se positionner du côté patronal… Flagrant délit de fraude journalistique monsieur Laparade !


Des éditos agressifs


Jean-Claude Souléry, l’ancien chef de La Dépêche, écrit toujours des éditos, malheureusement. En février 2016, lors du remaniement de Hollande moqué par toute la presse, Jean-Claude avait osé vanter le « sang-froid » d’un président qui « ne se dérobe pas » devant le chômage et « réussit la meilleure synthèse à gauche possible ». On aurait pu croire à une blague, mais c’était un éditorial qui saluait l’intronisation de son patron en tant que ministre du nouveau gouvernement… Passons, car Souléry n’en manque pas une pour mépriser les classes populaires et l’opposition politique de gauche.

Ce 31 juillet, il vient à la défense des pauvres députés macronistes. « Attention, inflammable ! La démocratie française est atteinte d’un mal qui s’apparente clairement à la violence politique. Et ce mal peut très bien déborder sous l’effet de boutefeux irresponsables et des ultras professionnels ». Ouh là là, on imagine le pire ! « Peu importe au demeurant l’idéologie ou les intérêts qui animent ces commandos. Anarchistes ou maoïstes, militants paysans ou Gilets jaunes, ils agissent au nom d’une pseudo "avant-garde" ultra-minoritaire ». Des commandos ? Des explosifs, des armes, du sang ? Mais non, Souléry s’est emballé autour de quelques permanences de députés murées ou de quelques graffitis, qui constituent d’après lui « des agressions, des pressions physiques pour influencer les représentants du peuple et entretenir un climat de peur permanent » pour « saper le b.a.-ba de notre République ». Ou plutôt celle de Souléry, la République des beaux quartiers et des exonérations de charges ?

Quand Jean-Claude parle de « Castaphobie » le 20 octobre, pour traiter de l’impopularité de son cher ministre de l’intérieur, il s’apitoie sur ce « vrai martyr de la macronie » et sur le « Démission ! », que « crient en chœur des gens aussi raisonnables que les Gilets jaunes, les Blacks Blocs, Eric Ciotti ou Marine Mélenchon ». Ces mots transpirent la solidarité de classe. C’est la république des gens raisonnables, qui soutient la France Macron prête à user de la force pour défendre le droit de propriété contre la chienlit qui l’entoure : une vraie bouillie de gilets jaunes, facho, violente, populiste. Cynique jusqu’à l’os, il se permet même une boutade sur le fait que « Michèle Alliot-Marie voulait céder ses propres lacrymos à Ben Ali » (l’ancien dictateur tunisien), et « qu’au moins, ce bon Castaner les garde pour lui ». On imagine bien que ça fait rire les convives à sa table de restaurant. Un peu moins celles et ceux qui se sont fait crever un œil au LBD, arracher une main à la GLIF4 ou qui ont suffoqué maintes fois sous les pluies de gaz lacrymos envoyés par la police de Castaner.


L’art du mensonge


Le 16 décembre 2019, à la veille d’une nouvelle journée de manif, Jean-Claude sort le grand jeu. Il se permet de qualifier l’une des plus grandes grèves des dernières décennies de « mélodrame social » animé par « une contestation irréductible, presque désespérée, contre la réforme des retraites ». Il lance alors un cri du cœur pour un compromis entre un syndicat (la CFDT) qui n’est pas opposé à la contre-réforme et le gouvernement : une négociation qui doit porter « sur les seuls dossiers qui fâchent » soit l’âge pivot, la pénibilité, et le « caractère strictement budgétaire de la réforme ». Enfermé entre les flashs de France info ou de BFM, les niaiseries de La Dépêche et son milieu petit bourgeois, on peut penser que Souléry ne se rend même pas compte des imbécillités qu’il écrit. Il suffit de descendre dans n’importe quelle manif pour entendre strictement l’inverse, soit un combat pour l’annulation de toute cette contre-réforme, dont la CFDT ne fait pas partie… À moins qu’il ne s’agisse de travestir la réalité et de manipuler l’opinion, en résumant cette grève massive à une négociation de bureau sur quelques aspects secondaires pour faire passer ce projet patronal.

Certains jours, le langage est plus feutré, avec les éditos de Philippe Rioux, l’éditorialiste star de La Dépêche qui ne prend jamais position, que ce soit sur Miss France, le glyphosate ou le Linky. Bien qu’il ne manque pas une occasion de placer, un jour de manif, un petit coup de pouce bien senti comme « l’Histoire montre pourtant qu’on a rarement raison tout seul et que la seule issue reste bien celle du compromis ». Le compromis étant Macron lui-même, bien entendu.

Son clone chez Midi Libre, Olivier Biscaye, s’affirme plus ouvertement, évoquant sans rire une « séquence gagnante » lors de l’allocution de Macron le 31 décembre, un discours « adressé aux Français désireux de gommer les injustices sociales, en cours depuis bien trop longtemps ». L’injustice étant le régime spécial bien trop avantageux des cheminots ; un nivellement par le bas, voilà la justice que tout le monde attend ! Mais il fait plus fort encore : « [Macron] n’a pas parlé aux contestataires mais aux citoyens favorables à la réforme qui ont peur de ce qu’ils ignorent encore ». Dit autrement, les seuls Français, minoritaires dans les sondages, qui sont encore favorables à cette foutue réforme, sont ceux qui en ignorent le contenu ? Il a un peu trop fumé sur ce coup, notre ami Biscaye… Fin novembre, ce lieutenant macroniste s’inquiétait même à l’idée que le grand chef puisse faire machine arrière : « Va-t-il lâcher la transformation du pays pour ménager l’électorat ? S’il cherchait la réponse, on la lui donne : ne surtout pas se hasarder à stopper le changement ! Ce serait une erreur, politique et économique, et le début des vrais ennuis ». Si le Medef local cherche de nouvelles recrues, Midi Libre a un bon prétendant.

Puis ce fut la même verve serinée par Souléry et ses hommes durant toute cette lutte de décembre à février. Alors qu’on vivait un mouvement assez exceptionnel, qu’on rentrait le soir gorgé d’espoir et rempli de nouvelles amitiés, qu’on allumait des dizaines de milliers de flambeaux dans tout le pays le 23 janvier, lui nous vomissait dessus dans sa case éditoriale trois jours plus tard. Dans cette liesse du soir, des manifestants parisiens scandaient, parmi tant d’autres slogans : « Louis XVI, Louis XVI, on l’a décapité. Macron, Macron, on peut recommencer ! ». Souléry retenait « un appel au meurtre, au régicide républicain ». Alors on a envie de te chanter une chanson, Jean-Claude, comme celle scandée à Macron et récemment au député Mazars, lors de ses vœux protégés par des gendarmes mobiles : « Oooh Jean-claude Souléry, larbin du pouvoir, on va t’niquer ta réforme ! »


L’Empaillé

 
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