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Ces « penseurs » qui rendent fou

par Thibault Roques,

L’année 2020 laisse incontestablement un goût d’inachevé : non pas que les intellectuels médiatiques aient disparu des écrans – il s’en faut – mais, virus oblige, il a fallu faire sans certains petits bonheurs habituels.

Note : cet article est tiré du numéro 37 de notre revue Médiacritiques, qu’il est encore temps de commander !

Ainsi, point de « croisière culturelle » cette année avec Luc Ferry ou Franz-Olivier Giesbert à la barre ; pas non plus de pièce de théâtre signée BHL, dressant un état des lieux aussi lucide qu’impitoyable sur le monde comme il va ; pas – encore – de conférence sur les heurs et malheurs de la civilisation contemporaine par Pascal Bruckner dans le prestigieux écrin parisien de la salle Gaveau.

En bon fast thinkers capables de penser plus vite que leur ombre, la plupart de nos athlètes intellectuels ont quand même commis des ouvrages ces derniers mois qui leur ont permis de conserver leur quasi-monopole sur les plateaux TV, antennes radio et dans les colonnes de journaux. Disons-le tout net : nous ne fûmes jamais déçus. Parions qu’ils sauront encore trouver des ressources insoupçonnées au cours de l’année qui vient. Quoi de mieux, en attendant, qu’un florilège de leurs plus belles saillies récentes ?

À tout seigneur tout honneur : remercions d’abord un BHL courroucé d’avoir trempé la plume dans la plaie et de s’être élevé le premier contre Ce virus qui rend fou… notamment son compère Michel Onfray, visiblement atteint, comme d’autres, sur le plateau de CNews au lendemain du premier confinement : « On se dit, bon, “Covid-19”, c’est qu’il y en a eu 18 précédemment ». Téméraire, celui qui en toute modestie animait jadis une émission nommée « Le monde selon Michel Onfray » publie dans la foulée un ouvrage, La vengeance du pangolin, consacré à la question du moment, dont le sous-titre ne laisse aucun doute sur la profondeur et l’humilité du bonhomme : « Penser le virus ».

S’emportant comme ses frères d’armes contre « le sanitairement correct », André Comte-Sponville a signé un retour fracassant à la faveur de l’épidémie, tant il est vrai que son verdict sans appel « Je préfère attraper la Covid-19 dans une démocratie que de ne pas l’attraper dans une dictature » rivalisait avec ses considérations coutumières mais toujours lumineuses sur la liberté, l’amour et la démocratie.

Dernier rempart de (à ?) la pensée, Pascal Bruckner s’est lui aussi particulièrement distingué en 2020 : non content d’éructer à longueur d’entretiens et de chroniques – innombrables – contre « le maccarthysme néoféministe », il n’a cessé de dire tout haut ce que même les éditocrates les plus réactionnaires osent à peine penser tout bas, évoquant entre (beaucoup d’) autres, « l’avantage moral que nous avons gagné en tant que nation victime du terrorisme islamiste » (France Inter, le 22 octobre dernier).

Ne rechignant pas à se poser en « vieux mâle blanc hétérosexuel », on ignore si notre intellectuel de parodie est réellement Un coupable presque parfait ; c’est en tout cas un essayiste qui ne manque jamais une occasion de vociférer contre les nouveaux censeurs, sur les plateaux qu’il accapare et dans les chroniques qu’il multiplie. Signe, peut-être, que la « cancel culture » n’est pas forcément où l’on croit…

Les amateurs de valeurs sûres en ont aussi eu pour leur argent : dans un papier tout en nuances daté du 6 décembre sur « le grand déclassement : la France en miettes » (FigaroVox), l’historien de salon Jacques Julliard s’est surpassé, déplorant pêle-mêle « la fin de la classe ouvrière », « la fin de l’ambition intellectuelle », la « fin du primat de l’intelligence » dans une version ripolinée d’une « fin de l’histoire » aux contours toujours aussi flous.

Où l’on revient à Luc Ferry, toutologue notoire, capable d’expliquer doctement « pourquoi le véganisme est intenable » le matin, de disserter sur « la mondialisation salvatrice » le soir, tout en livrant « les leçons du Covid » entre deux confinements. Laissons-lui donc le dernier mot, à peine altéré, lui qui dans un édito paru le 7 octobre dans Le Figaro et sobrement intitulé « L’insoutenable finitude humaine », s’inquiétait du « miracle de la notoriété (médiatique) qui transforme en vérités les sornettes les plus niaises ». Qu’on se le dise, les alchimistes de la pensée tiendront encore le haut du pavé en 2021. Et les intellocrates de demain ont toutes les chances de ressembler furieusement à ceux d’hier.

Merci à Monsieur Phi (youtubeur « philo » et auteur de la vidéo « Pourquoi les philosophes médiatiques disent de la merde », 20 nov.) et au fil Twitter pertinent et percutant (réellement, en l’occurrence…) de Sébastien Fontenelle, auxquels nous empruntons certaines citations.


Thibault Roques

 
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