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Actualité des médias : Ligue du LOL, perquisition à Mediapart, Radio France dans le viseur de la Cour des comptes…

par Benjamin Lagues, Jérémie Fabre,

Nous poursuivons notre série d’information mensuelle sur l’actualité des médias avec cette vingt-quatrième édition, revenant sur le mois de février 2019 [1].

Du côté des journalistes, des éditocrates et de leurs œuvres


- Ligue du LOL : des journalistes harceleurs licenciés de plusieurs médias – La publication d’un article de la rubrique CheckNews de Libération a été à l’origine d’une vague de révélations sur les membres du groupe de conversation Facebook « La Ligue du LOL ». Plusieurs journalistes « en vue » auraient utilisé ce groupe de conversation pour harceler, depuis 2009, des journalistes aux profils variés : femmes, homosexuels, personnes racisées, personnes en surpoids, militantes féministes… Devant l’avalanche de témoignages édifiants qui se sont échangés sur les réseaux sociaux, certaines rédactions ont pris des décisions fortes à l’encontre des leaders de ce groupe : Vincent Glad (collaborateur de Libération), Alexandre Hervaud (chef de service adjoint du site web de Libération), David D. (rédacteur en chef des Inrocks) et François-Luc D. (rédacteur en chef adjoint des Inrocks) ont été licenciés de leur média.

- Affaire Benalla : tentative de perquisition à Mediapart – Lundi 4 février 2019, après avoir publié des extraits de conversation entre Alexandre Benalla et Vincent Crase, la rédaction de Mediapart a fait l’objet d’une tentative de perquisition de la part du Procureur de Paris. Selon Mediapart, « l’exécutif, et son bras armé, le parquet de Paris, cherchent à savoir qui a enregistré les extraits sonores que nous avons diffusés, et qui nous a les a transmis. » Cette perquisition a été refusée par les salariés du journal, comme la rédaction en avait le droit. Comme le relate Le Monde, « les sociétés des journalistes d’une trentaine de médias ont exprimé mardi leur “vive préoccupation” après les événements survenus à Mediapart et ont dénoncé dans un communiqué une “tentative particulièrement inquiétante” d’attenter au secret des sources. »

- Edwy Plenel et deux journalistes de Mediapart condamnés pour diffamation – Selon le Journal du dimanche, « le directeur de la publication de Mediapart, Edwy Plenel, et deux journalistes du site d’information, Fabrice Arfi et Karl Laske, ont été condamnés pour diffamation envers le directeur de la rédaction du Journal du Dimanche, Hervé Gattegno. » En cause : « avoir publié en 2016, sans pouvoir apporter de preuve ni "justifier d’une enquête sérieuse", un article qui le mettait en cause à propos des affaires relatives à Nicolas Sarkozy. » Mediapart a annoncé vouloir faire appel de cette décision.

- Nouveaux cas de violences policières contre des journalistesNous en parlions le mois dernier : les agressions de journalistes par des policiers sont de plus en plus nombreuses. Au moins trois nouveaux cas ont été rapportés par la presse ce mois-ci. D’après Le Monde, « Trois photographes qui couvraient la manifestation des “gilets jaunes”, samedi 9 février à Toulouse, affirment avoir été “délibérément” visés par les forces de l’ordre. L’un deux a été blessé, notamment à la cuisse, par une grenade. » Un journaliste de Là-bas si j’y suis a été empêché de faire son travail et copieusement insulté par un policier, comme on peut le voir sur leur fil Twitter. Enfin, Raphaël Maillochon, journaliste à BFM-TV a rapporté sur Twitter que son collègue reporter d’images a été violemment agressé par un policier : « Acte 14, esplanade des Invalides : alors que nous filmions, mon JRI a reçu plusieurs coups de matraque de la part d’un policier. Et ce, malgré nos cris “presse !” et ma carte professionnelle en main. Violence gratuite inadmissible ».

- Le parti présidentiel refuse d’accréditer Sputnik et Russia Today – La République en marche (LREM), le parti du président de la République Emmanuel Macron a annoncé mi-février qu’il refusait d’accréditer les médias Sptunik et Russia Today, en vue des élections européennes fin mai. D’après le directeur de campagne de LREM Stéphane Séjourné cité par Europe 1, « Ce ne sont pas des organes de presse mais de propagande au service du Kremlin. Ils ne doivent pas être assimilés à des médias, qui vérifient ou recoupent l’information ».

- De moins en moins de journalistes reconnus officiellement, mais un métier qui se féminise – Officiellement, il y avait, en 2018, 35 297 journalistes en France. Libération a publié, ce mois, les chiffres de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP). C’est cette commission qui, chaque année, examine les dossiers des journalistes souhaitant obtenir la reconnaissance officielle. En France, un certain nombre de journalistes, impossible à calculer précisément, exerce malgré tout le métier sans avoir cette carte de presse. Les chiffres de la CCIJP ne représentent donc pas l’intégralité du nombre de journalistes en France, mais seulement ceux qui remplissent les conditions exigées par ladite commission. Libération tire trois grands constats des chiffres de la CCIJP. Premièrement, il y a moins de journalistes « officiels » en France qu’avant : « de 37 841 journalistes possédant la carte de presse en 2009, on est tombés à 35 297 en 2018, soit une baisse de presque 7 % des effectifs. » Deuxièmement : bien que le métier soit majoritairement masculin (en tout cas parmi les possesseurs de la carte de presse), les cartes de presse sont de plus en plus des féminines : « l’écart entre le nombre de journalistes hommes et femmes se réduit. Il y a dix ans, les premiers représentaient 55,6% des cartes de presse, contre 44,4% pour les secondes. Aujourd’hui, le rapport se situe plutôt à 52,8 - 47,2. » Enfin, les journalistes reconnus par la CCIJP exercent surtout en Île-de-France : « sur les 35 297 journalistes encartés en 2018, 20 114 travaillaient en Ile-de-France, soit une proportion écrasante de 57 % des cartes de presse. »

- Les cadres toujours surreprésentés à la télévision – « Alors qu’ils constituent seulement 9 % de la population totale, les cadres supérieurs représentent six personnes sur dix qui prennent la parole dans les programmes de la télévision (fictions, divertissements ou encore programmes d’information) ». C’est la conclusion de l’Observatoire des inégalités, à partir des données du « Baromètre de la diversité de la société française à la télévision, vague 2018 » du CSA. Conséquence : « On peut difficilement penser que ce phénomène n’a pas de conséquences, auprès de la population et des commentateurs, sur la construction de l’image des catégories sociales et notamment sur la représentation des intérêts de celles les moins favorisées. » La réappropriation démocratique des médias est bel et bien une urgence, comme nous l’avons récemment rappelé avec d’autres médias et association en lançant un appel fin février.


Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires


- Cyril Hanouna, gilet jaune à mi-temps – D’après Le Canard enchaîné du 6 février, les salariés intermittents massivement utilisés par Canal+ ont vu leur salaire net fondre ces derniers mois, « jusqu’à moins 30 % » ! Cette baisse de pouvoir d’achat touche particulièrement les intermittents travaillant dans les émissions de l’animateur Cyril Hanouna, qui refuse de commenter. « Depuis deux mois et demi, relève Le Canard enchaîné, Hanouna, entouré de gilets jaunes, s’émeut de la chute du pouvoir d’achat des Français. » Cyril Hanouna a raté une belle occasion de joindre le geste à la parole.

- Pour la Cour des comptes, Radio France est un coût – La logique budgétaire continue dans l’audiovisuel public. Après que le gouvernement a demandé aux chaînes et radios publiques une diminution de dépenses de 20 millions d’euros d’ici 2022, la Cour des comptes en rajoute. Selon Le Figaro, « les magistrats constatent que, malgré l’effort budgétaire de l’État, le groupe radiophonique public n’a pas mené à bien les réformes structurelles nécessaires, ni maîtrisé la dérive budgétaire du chantier de rénovation de la Maison Ronde. » Pire, aux yeux de la Cour des comptes : « les charges de personnels, qui représentent 57 % des dépenses totales du groupe, devaient baisser entre 2014 et 2017 (...). Au contraire, elles ont continué d’augmenter. » Selon Libération, Sibyle Veil, qui dirige Radio France, a promis « un “plan d’actions” sur [l’]organisation sociale » de l’entreprise. D’ores et déjà, rappelle Libération, Radio France ne remplace pas un départ à la retraite sur deux.

- Vers une dérégulation de la publicité à la télévision – Pour permettre aux chaînes de télévisions de « rivaliser à armes égales » avec les plateformes telles que Netflix et Amazon Prime, un rapport de l’Autorité de la concurrence préconise d’y déréguler la publicité. D’après Le Monde, ses auteurs suggèrent « d’autoriser les publicités ciblées selon le profil du foyer, sa géolocalisation et ses préférences de consommation. Mais aussi d’en finir avec l’interdiction de secteurs jusqu’alors interdits à la publicité télévisée, comme le cinéma, l’édition ou les promotions de la grande distribution. ». Autres mesures libérales préconisées : réduire les obligations de financement des productions cinématographiques, assouplir encore un peu les dispositifs anti-concentration et supprimer les jours interdits de cinéma à la télévision. Conclusion du Monde : « Les chaînes privées peuvent sabler le champagne ; les radios et la presse, s’inquiéter ; et le cinéma trembler quelque peu pour la pérennité du financement des films. »

- Pour « sauver » L’Express, Alain Weill envisage des licenciements – Selon Le Parisien, « Alain Weill, dirigeant d’Altice France, à la tête notamment de RMC et BFMTV, a annoncé son intention, à titre personnel, de s’offrir 51 % de part de l’hebdomadaire, détenu jusqu’alors à 100 % par le groupe Altice (qui en gardera 49 %). » Comme d’habitude lors d’un rachat d’un titre de presse, des départs sont probables : « la direction de l’Express envisage 30 à 40 suppressions de postes, sur les 180 salariés dont 110 journalistes » relate Le Parisien. Pire : des licenciements sont d’ores et déjà envisagés : « “peut-être que d’autres seront contraints de partir dans un deuxième temps”, précise Clément Delpirou, directeur général des activités presse de SFR, filiale d’Altice. » Qu’on se rassure cependant : Alain Weill a assuré vouloir « sauver » le journal...

- Vice Media annonce la suppression de 250 postes – Pour certains médias numériques, l’âge d’or semble terminé. Après les journaux en ligne Buzzfeed, « qui prévoit de se séparer de trois cents employés au total » selon Le Monde, et le HuffPost « qui a congédié 10 % de sa rédaction, soit vingt personnes », c’est au tour du groupe Vice Media de licencier en masse. 250 postes vont ainsi être supprimés, ce qui équivaut à 10 % des équipes du groupe...

- Surprise après la nomination d’Hervé Godechot au CSA – Hervé Godechot, journaliste jusqu’ici à Franceinfo, a été nommé au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) après validation de sa candidature par la commission de la culture du Sénat. Le président du Sénat Gérard Larcher avait en effet proposé ce profil au début du mois de février. À la surprise générale selon Libération : « le personnage traîne quelques casseroles difficilement compatibles avec la détention d’un siège au CSA. En 1997, Hervé Godechot, alors reporter à France 3, avait écopé de quelques jours de mise à pied pour avoir pris part à un système de faux JT tournés pour vanter les mérites de l’industrie pharmaceutique. L’histoire avait fait grand bruit à l’époque. Puis en 2014, il était le rédacteur en chef du 19/20 quand un scoop sur l’affaire des écoutes de Nicolas Sarkozy avait été supprimé du journal. » Des fautes qui n’ont pas empêché M. Godechot d’être confirmé par la commission de la culture du Sénat. De quoi souligner une nouvelle fois l’aberrante méthode de désignation des membres du CSA [2], tous nommés par des responsables politiques (trois par le président du Sénat, trois par le président de l’Assemblée nationale et le président du CSA par le chef de l’État.)

- Violent plan social à Reuters France – « Liquider 3 200 emploi dans le monde en deux ans », c’est d’après Libération l’objectif que s’est fixé l’agence de presse Reuters, dans le cadre d’une profonde réorganisation. À Reuters France, cela se traduit par un plan de départs volontaires et le non remplacement d’un départ à la retraite sur deux, soit la disparition d’environ 30 % des salariés. Une addition « inacceptable » pour une source syndicale : « On est très inquiet, l’ambiance dans la rédaction est à l’abattement. On ne s’attendait pas à ça. » Aucune inquiétude cependant pour le groupe Thompson Reuters, propriétaire de l’agence de presse : d’après Libération, il affiche « des revenus de 5,5 milliards de dollars en 2018, en hausse de 4%, et un excédent brut d’exploitation de 1,4 milliard ».


Du côté des publications sur les médias


Note : cette rubrique ne constitue pas une sélection, mais recense les ouvrages parus dans le mois sur la question des médias, qu’il s’agisse de bonnes et de moins bonnes lectures.


- Nadège Broustau, Les médias et les journalistes, interprètes de la société, Presses universitaires du Québec, février 2019, 30 euros.

- Collectif, Elles risquent leur vie, Tallandier, janvier 2019, 192 p., 17,90 euros.

- David Colon, Propagande. la manipulation de masse dans le monde contemporain, Belin, janvier 2019, 431 p., 25 euros.

- Sophie Eustache et Élodie Perrotin, Comment s’informer ?, Ricochet, février 2019, 128 p., 12 euros.

- Olivier Goujon, Ces cons de journalistes, Max Milo, janvier 2019, 187 p., 18 euros.

- Guillaume Klossa, Media for good, Débats publics, février 2019, 178 p., 18 euros.

- Victor Le Grand, Tout le monde en reparle, So Lonely, février 2017, 176 p., 14 euros.

- Mathias Reymond, « Au nom de la démocratie, votez bien ! », Agone, février 2019, 144 p., 12 euros.

- Nathalie Rouiller, Portraits libérés, Favre, janvier 2019, 126 p., 16 euros.

- Florian Sauvageau, Simon Thibault et Pierre Trudel, Les fausses nouvelles, Hermann, janvier 2019, 284 p., 20 euros.

- Rita Sayah, La coéxistence des médias et du confessionnalisme au Liban, L’Harmattan, janvier 2019, 184 p., 19 euros.

- Mamady Wasco Keita, Pratique du journalisme. le guide du débutant, L’Harmattan, janvier 2019, 16 euros.


Jérémie Fabre et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed

 
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