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"Le Monde" en Bourse

Préparatifs pour un Monde boursicoté. (2) Les syndicats, le CE

Après avoir mis au point les artifices destinés à contourner la loi, et obtenu l’accord de la société des rédacteurs [1], la direction du Monde a décidé de négliger les inquiétudes des syndicats et l’opposition du Comité d’entreprise.

Ni la culture invoquée par Jean-Marie Colombani, ni les artifices prévus n’ont suffi à calmer les inquiétudes, exprimées à la veille de l’Assemblée Générale par un communiqué intersyndical.

Une intersyndicale inquiète

Voici le communiqué intersyndical sur l’entrée du Monde en bourse, que Le Monde, par souci de transparence, n’a pas cru bon de le publier.

Communiqué intersyndical sur l’entrée du Monde en bourse

« En l’état des informations dont elles disposent, les trois sections des syndicats de journalistes CFDT, CGT et SNJ du Monde tiennent à exprimer leurs inquiétudes sur le projet de modification des statuts préparatoire à une éventuelle entrée en Bourse.

Elles s’interrogent sur l’absence d’alternative à une stratégie qui présente des risques pour la gestion économique et, par voie de conséquence, pour la vie sociale de l’entreprise. Le pacte social en vigueur au Monde résisterait-il à la pression financière et à l’obligation de résultats financiers qu’impliquerait cet appel aux marchés boursiers ?

L’exemple du Financial Times, qui vient de décider le licenciement de 150 salariés pour la simple raison que ses profits seront inférieurs cette années à ceux - exceptionnels - de l’année dernière, ne fait que renforcer ces craintes.

Elles s’interrogent également sur les conséquences réelles de ce projet sur les objectifs de développement et sur la nature des relations qu’entretient Le Monde avec ses différentes filiales.

La présence de verrous - réels - pour préserver l’indépendance du journal de toute offensive prédatrice serait-elle suffisante au moment de faire face à des difficultés conjoncturelles cycliques, comme elles surviennent périodiquement dans la presse et plus spécifiquement dans les quotidiens.

La crise actuelle, pour incontestable qu’elle soit, a provoqué des mesures de rigueur, incluant une réduction des coûts et de la pagination, alors que la menace d’un plan social n’est pas totalement exclue. Cette crise risque aussi de peser sur le contenu des discussions salariales, sur la question des droits d’auteur toujours en attente et sur les autres négociations à venir. Qu’en sera-t-il si à ces contraintes s’ajoutent les exigences des marchés financiers ?

CFDT, CGT-Journalistes, SNJ »

Selon Libération, « aucun des trois syndicats n’avait pourtant appelé à voter contre les deux résolutions ». Libération précise : « la CGT et le SNJ estimaient que chaque journaliste actionnaire devait se prononcer individuellement. La CFDT n’avait pas voulu donner de consigne de vote pour ne pas rompre l’unité syndicale. »

Le Comité d’entreprise s’oppose

Après le vote de la société des rédacteurs favorable à l’entrée du Monde en bourse, le comité d’entreprise du Monde exprime le 5 novembre 2001 un avis négatif sur la réorganisation. Sur 11 votes, 5 voix contre, 4 pour et 2 blancs. Les deux syndicats de journalistes CFDT et SNJ s’étaient prononcés contre, la CGT n’avait pas donné de consigne de vote. Après l’annonce de l’avis du CE, Bernard Dubois, délégué CGT, a annoncé qu’il tenait à exprimer son " profond désaccord sur cet avis. Pour la CGT, seul l’avenir des salariés et l’indépendance du journal doivent primer " (selon La Correspondance de la Presse, 6 novembre 2001).

Compte-rendu de la consultation du C.E sur les projet de réorganisation juridique de l’entreprise

" M. Simon.- Je laisse la parole aux représentants des différents syndicats de l’entreprise.

M. Mismaque.- Je voudrais porter au procès-verbal de cette réunion une déclaration des élus CGT du 26 octobre 2001 :

« Ayant pris acte des votes des différentes sociétés de personnels du Monde avalisant à la majorité - réelle - mais tempérée par un néanmoins fort pourcentage d’oppositions et d’abstentions - le projet de la direction d’introduction en Bourse d’une partie du capital du quotidien, les élus CGT de l’ensemble des salariés de l’entreprise (employés, ouvriers, cadres et journalistes) tiennent à rappeler les principes qui guideront leur action tout au long du processus engagé.

 Ils demanderont à étre informés, par le biais du comité d’entreprise notamment, et resteront extrêmement attentifs à l’egard de chaque décision pouvant avoir des conséquences à la fois sur l’indépendance du journal, mais aussi sur les actuelles garanties sociales qu’une conjoncture encore plus défavorable qu’aujourd’hui, des actionnaires plus exigeants ou... une autre direction moins bien intentionnée (il y a eu des précédents) pourraient imposer.

 Ils prendront les dispositions nécessaires en vue de la création d’un comité d’entreprise de groupe qui, à ce stade, constitue une obligation légale, permettant une meilleure circulation de l’information et des contacts plus directs entre les différentes composantes du groupe Le Monde.

 Ils feront en sorte d’associer le plus largement possible les catégories de personnel qu’ils représentent à leur réflexion, en étant, dans leur rôle, les interlocuteurs vigilants de la direction. »

Mme Chirot.- La section CFDT des journalistes du Monde a exprimé, à une très large majorité, ses inquiétudes sur le projet de modification des statuts, préparatoire à une éventuelle entrée en Bourse et elle a décidé de se prononcer contre. Elle s’interroge sur l’absence d’alternative à une décision qui présente des risques pour la gestion économique, et par voie de conséquence, pour la vie sociale de l’entreprise. Le pacte social en vigueur au Monde résistera-t-il à la pression financière et à l’obligation de résultats financiers qu’implique cet appel aux marchés boursiers ? L’exemple du Financial Times qui a décidé le licenciement de 150 journalistes pour la simple raison que ses profits seront inférieurs à ceux - exceptionnels - de l’an dernier, ne fait que renforcer ces craintes.

La CFDT s’interroge également sur les conséquences de ce projet, sur les objectifs de développement et sur la nature des relations qu’entretient Le Monde avec ses différentes filiales.

La présence de verrous - certes réels - pour préserver l’indépendance du journal de toute offensive prédatrice sera-t-elle suffisante lorsqu’il faudra faire face à des difficultés financières, comme elles surviennent périodiquement dans la presse et plus spécifiquement dans les quotidiens ?

La crise actuelle, pour incontestable qu’elle soit, a provoqué des mesures de rigueur, incluant une réduction des coûts et de la pagination, alors que la menace d’un plan social n’est pas totalement exclue. Elle risque aussi de peser sur le contenu des discussions salariales, des droits d’auteur toujours en attente. Qu’en sera-t-il lorsque, à ces contraintes, s’ajouteront les exigences des marchés financiers ?

M. Faujas.- La déclaration du SNJ est la suivante.

« Après plusieurs années de développement externe, la direction du Monde se trouve confrontée à un fort besoin de financement encore accru par la disparition vraisemblable des bénéfices en 2001.

Parmi les solutions possibles pour obtenir de l’argent frais, elle a privilégié le recours au marché boursier qui est effectivement le moyen le moins coûteux pour améliorer les fonds propres d’une entreprise.

Nous pensons aussi que c’est le système qui est le plus en contradiction avec l’histoire et les valeurs de notre entreprise : le recours à la Bourse va amplifier les hoquets inévitables de la conjoncture, obliger nos gestionnaires à privilégier les paramètres financiers et nous éloigner du régime de la Fondation que nos aînés avaient souhaité pour Le Monde.

Les verrous institutionnels imaginés sous forme de votes qualifiés ou d’actions nominatives sont réels, mais ils ne serviront guère en cas de coup de tabac boursier, de dévalorisation de la société ou d’attaque en règle de prédateurs.

A court terme, l’entrée en Bourse consolide Le Monde ; à long terme, elle le fragilise. C’est pourquoi le SNJ votera contre les modifications statutaires soumises aujourd’hui à l’avis du comité d’entreprise, puisque la nouvelle architecture juridique n’a pas d’autre raison d’être qu’une mise en Bourse d’une partie du capital du Monde.

M. Mismaque.- Au nom de l’organisation syndicale CGT, j’ai quelques questions à soumettre à la direction.

 Dans la procédure d’agrément, il est prévu que les modifications seront adoptées au 8/14e. Même si cela est historique, cela nous paraît un peu trop juste. Pouvons-nous avoir des précisions à ce sujet ?

 Les projets futurs ne sont pas clairement arrêtés. On ne peut pas prédire l’avenir, mais ils nous paraissent flous. Qu’est-il projeté à la suite de l’introduction en Bourse ?

 La modification juridique nous paraît parfaitement consolidée aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il demain, principalement en cas de crise ?

 En cas de crise, ce qui est déjà arrivé au journal, le poids des marchés financiers peut-il faire prendre des risques aux filiales, d’une part et, d’autre part, qu’en sera-t-il du pacte social en vigueur au sein du journal ?

 A ce jour, il n’y a pas de réponse claire sur la garantie de la participation. Qu’en est-il aujourd’hui ?

M. Simon.- Un certain nombre d’élus du comité d’entreprise souhaitent pouvoir s’exprimer par vote à bulletins secrets sur l’avis qui leur est demandé aujourd’hui. Je vous propose de procéder maintenant à ce vote. Il est demandé aux élus votants d’inscrire " oui " ou " non " sur leur bulletin, ou de voter blanc.

Après un vote des élus titulaires, des suppléants qui remplacent les titulaires absents, et du président de séance sur les projets de réorganisation juridique de I’entreprise - soit 11 votes -, le résultat est le suivant : 5 " non ", 4 " oui ", 2 blancs.

Les élus du C.E. émettent un avis défavorable sur les projets de réorganisation juridique de l’entreprise.

La séance est levée à 11 h 40.

Le secrétaire du comité d’entreprise,
Claude SIMON.
 " 


(Actualisation du 29 mars 2003)

Après les révélations du livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, La Face cachée du Monde, des sections syndicales du Monde avaient demandé une réunion extraordinaire du Comité d’entreprise (CE). Cette réunion du CE s’est tenue mardi 25 mars 2003 : " en l’absence de Jean-Marie Colombani, la direction a notamment assuré, par la voix de Dominique Alduy, directrice générale, que le projet d’introduction en Bourse, crucial pour le remboursement des fameuses ORA, n’était pas abandonné ", rapporte Libération du 26 mars 2003 (lire " Face cachée " : Le Monde entretient le suspense). " Elle a ajouté que les comptes consolidés (concernant le groupe) pour 2002 n’étaient pas encore arrêtés et ne pouvaient donc pas être présentés "

 
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