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Journalisme et cyclisme

Une grande enquête du "Monde"

Une insinuation malveillante d’Acrimed.

Le Grand Prix du Midi Libre, comme son nom l’indique, est organisé par le quotidien régional du même nom. Le Midi libre vient d’être racheté par Le Monde. Le Monde choisit le Grand Prix du Midi Libre pour rénover le journalisme sportif [1]. Coïncidences ?

Un Grand Reportage sur un Grand Prix

Dans Le Monde daté du 23 mai 2001, commence une chronique intitulé " Course libre ". Elle est présentée ainsi :

" Le 53e Grand Prix du " Midi libre " prend le départ mardi 22 mai. Rédacteur en chef au Monde et écrivain, Éric Fottorino sera parmi les coureurs et raconter sa course. Un défi dont il décrit la genèse dans Je pars demain. Bonne feuilles. "

Cette première chronique - course à étapes oblige - est donc un prologue qui combine présentation de la chronique et promotion d’un livre, dont les références nous son données en note : Je pars demain, d’Eric Fottorino, éd.Stock, 266 pages, 102 f, 15, 55 euros.

Sous le titre " Un Vélo dans la tête ", les "bonnes feuilles" nous instruisent donc de la " genèse ". Extraits :

" La semaine dernière, le directeur de la communication du Monde, Gérard Morax, est venu dans mon bureau. Il a su que j’avais couru à vélo dans le temps. Il croit que j’ai été un champion. Je lui avoue ma passion de jeunesse mais tempère son enthousisame : je n’étais pas un crack loin de là (...).
Morax est chargé d’étudier l’image de la course du
Midi libre. Première réflexion : qu’est-ce que Le Monde vient faire dans cette " galère ", un sport à l’image désasrtreuse, contaminé par les affaires de dopage ? Nous qui, dans un édotorial, avons titré " Ce tour doit s’arrêter " (à propos de la Grand Boucle 1998), nous nous trouvons, par le biais des prises de participation dans le grand quotidien Midi libre, propriétaire d’une épreuve clé du calendrier professionnel (...)
Quand il
[Morax] est venu me voir, il voulait juste me consulter sur un projet de charte éthique. Il se demandait si le romancier que je suis pourrait aussi relayer le journaliste et tenter de redonner au Midi libre un peu de lustre en chantant sa légende la plume à la main, au printemps.
Le lendemain, j’ai dit à Gérard Morax : la charte éthique, c’est pas mal. Jouer les Blondin ou les Fallet sur le
Midi libre, c’est bien aussi. " Que dirais-tu, ai-je lancé à Morax, si je participais à l’épreuve du Midi libre ? (...) On défendra les valeurs du Monde (...) ".

Autrement dit : les bienheureuses épousailles de la passion, de l’éthique et du marketing.

Un débat bienveillant sur LCI : Le Monde invite Le Monde

Dans le " Le Monde des idées ", l’émission dont le titre même est une publicité, Edwy Plenel reçoit régulièrement des invités qui écrivent pour Le Monde ou dont parle Le Monde. L’émission diffusée et rediffusée les 1-2-3 juin avait logiquement pour titre " Journalisme et cyclisme " et pour invités Eric Fottorino et Erik Orsenna...

Une discussion dans une école de journalisme

- " T’as vu les reportages de BHL dans Le Monde ?
- Oui, ils sont obligés d’avoir recours à l’intérim parce que les journalistes couvrent Loft story ou font du vélo pour le Midi libre ".

Une chronique dans Les Inrockuptibles , n° 292, (29 mai au 4 juin 2001), par Arnaud Viviant (chronique Bonjour les gens).

"- Un journaliste enfermé pendant plusieurs jours dans un peloton cycliste. A 40 ans, il doit pédaler comme un pro, et après quoi, rédiger un long article quotidien sur ses joies, ses souffrances, ses plaies aux fesses qui s’infectent ou pas, sa peur à l’idée d’attaquer la montagne, etc.
- Mais de quoi parles-tu donc ? D’un nouveau jeu de trash TV ?
- Non, non ! D’une série d’articles d’Eric Fottorino pour Le Monde. Il participe au Midi Libre en tant que coureur pour son journal.
- Sans blague ? Et personne ne proteste ?
- Non. Il est adulte. Consentant. Volontaire.
- Ce n’est qu’un jeu, c’est ça ?
- Si tu veux. Surtout, ce n’est que du journalisme.
- Et c’est bien dégoûtant ?
- Je t’en lis un extrait pour que tu juges : ’’ Le massage a duré plus longtemps que les autres jours. Pierre, l’autre kiné, a trouvé mes muscles plus durs. Il y est allé doucement, surtout vers le haut des cuisses, là où on dirait que la chair s’est ratatinée pour ne laisser place qu’aux os. ’’
- La vache ! Et personne ne s’indigne ? Fabrice qui masse les épaules langoureuses de Loana dans le Loft, ça émeut tout le monde, mais Fottorino enfermé dans sa détresse, ça passe ? Les moralistes soudain se taisent ?
- Oh ! Arrête quand même. Ce n’est pas Peloton Story.
- Ca ressemble malgré tout à une spectacularisation inutile de la belle fonction de journaliste. Et une déviation de l’exercice aussi. Depuis quand un journaliste a-t-il besoin de participer aux actions qu’il est appelé à commenter ? A quand, si l’on suit ce raisonnement, un journaliste militaire pour raconter les conflits, un journaliste patron pour raconter les négociations paritaires, un journaliste harcelé moralement pour raconter le harcèlement moral ? Je m’opposer formellement à cette innovation décadente.
- Tu exagères toujours. En fait, je suis sûr que tu es jaloux. C’est une belle idée, et de beaux articles, de la part d’Eric Fottorino.
- Tu parles ! Atteinte à la dignité humaine, oui. Journalisme concentrationnaire ! Loft Story ! Loft Story ! Syndrome !
- Non. Journalisme. "

 
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Notes

[1Lire également, dans PLPL : "Fottorino fait du vélo" (note d’Acrimed, janvier 2003).

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