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Un dossier du journal Fakir (3)

Courrier picard : Une heure à bord du Koursk picard

L’équipage du sous-marin de papier se réunissait, le mardi 19 février 2002, pour un comité d’entreprise pas du tout exceptionnel. Ni crise ni surprise. Au contraire, un constat presque lassant de banalité : leur journal coule.

"Courrier picard" : un dossier du journal "Fakir"
1. Courrier picard : le naufrage tranquille.
2. Courrier picard : La voix de sa banque ?
3. Courrier picard : une heure à bord du koursk régional.


" Les ventes du mois de décembre ont été marquées par un nouveau recul de 1,70 %. " Un gros trou dans le budget, causé par une brèche dans la coque : " Les chiffres du Grand Amiens restent alarmant avec un chute de 2,61%. " [1] Un record inquiétant ? Pas du tout : un déclin régulier, homogène, presque encourageant. Le fief prend l’eau en douceur.

Autre paramètre qui vire au rouge : la pub. " Le mois de janvier a été mauvais. Au total, le chiffre d’affaires est en recul de 3,65 %. En locale, il baisse de 10,91 %. [...] C’est le troisième mois d’affilée que les chiffres de la publicité sont en baisse. "

Là, on imagine que le submersible a touché le fond ? qu’un coup de talon et il remonte ? Pas du tout : " L’année 2002 s’annonce difficile ", prévient d’avance Marc Delemotte. Ouf, le Courrier trouvera d’autres abysses où descendre...

Un seul clignotant ne s’est pas (encore) allumé, et le directeur du Koursk se console avec : " Les PA [petites annonces] et le carnet [avis mortuaires] augmentent structurellement. Dieu merci, il nous reste cela... " Dieu merci, le Très Haut rappelle (même) les Picards auprès de Lui. Des retours au néant que ce gestionnaire traduit en recettes publicitaires.

Seul hic : un vieillard qui s’en va, c’est un abonné de moins pour le Courrier. Tandis que ses enfants, et petits-enfants, souffrent plus rarement de la même pathologie... " Les gens se désabonnent ", note le représentant des retraités. " Est-ce qu’on se pose la question de savoir pourquoi ? " Est-ce qu’il lit son quotidien régional, celui-là ? [2]

Un vaisseau fantôme

Les journalistes, eux, le survolent. Pire calvaire : ils l’écrivent. Et s’effarent, chaque matin, devant le vide subaquatique de leur production : " En période de vacances scolaires, on a vraiment le sentiment qu’il n’y a plus de vie, déplore Chantal Paillart. La pagination est ridicule " - manque en effet l’essentiel : le menu des cantines et les horaires de piscine. Michel Jacq relève, lui, cette cocasserie : " La page ’événement’ est aujourd’hui la page la moins événementielle... " Et Joël Cyprien verse des pièces au dossier : " J’ai ici deux ’Une’ parues à une semaine d’intervalle. Le même titre, le même sujet. Voilà comment est gérée la rédaction... "

Un radeau à la dérive. Avec des auteurs qui s’abonnent à Fakir ou au Parisien pour retrouver un peu " de vie " et d’information. A tel point que Jacques Bey s’étonne, à son tour : " Nous avons de la chance de vendre encore. " Le naufrage pourrait être plus brutal. Heureusement que des lecteurs achètent les yeux fermés... " Est-ce que le rédacteur en chef est conscient du problème ? " s’interroge un journaliste.

Mais depuis lurette, le capitaine a déserté son sous-marin en perdition. A peine embarqué qu’il s’est échappé par un hublot avec sa bouée-canard : " Une grande partie de la rédaction, rappelle Joël Cyprien, a été choquée par la lettre du rédacteur en chef dans laquelle il annonçait sa mise au vert à deux mois et demi des élections présidentielles. Est-ce qu’il s’agit pour lui d’éviter un nouvel échec tel que celui que nous avons connu lors des élections municipales ? " Plus philosophe, Philippe Fluckiger remarque qu’" en soi, cela ne change pas grand chose ". En clair : même à bord, jamais le commandant n’a tenu la barre ou indiqué un cap...

Pour finir sur une note optimiste, les officiers ont tourné leur regard vers l’avenir. Et sont passés aux " investissements ". Assez judicieux : pour " 600 KF ", " l’achat d’une machine à compter les invendus ". Dans l’espoir qu’une seule suffira...
Puis la réunion s’est achevée calmement. Sans mutinerie. Les matelots sont repartis dans les soutes. Avec, pour écoper, une serpillière sous le bras. Depuis le temps, que leur scop coule, ils ne paniquent plus.

 
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Notes

[1Lire : « restent alarmants avec une chute. » On est au Courrier picard. Il est donc légitime que la tradition des coquilles se perpétue jusque dans les compte-rendus de CE. Nous les avons gardées pour faire couleur locale.

[2Les anciens du Courrier, il est vrai, n’ont pas à s’acquitter des 1.600 F d’abonnement. Ce qui incline à davantage d’indulgence.

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