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Septembre-décembre 2001 : A la guerre comme à la guerre (1)

Le terrorisme vient de tout, le terrorisme est partout

Les attentats du 11 septembre ont affiné les capacités d’analyse du Figaro, devenu expert en « terrorisme « . Echantillons [1].

Le terrorisme vient de tout

 Max Clos, dans son Bloc-Notes, tout en nuances : "En France José Bové fait arracher les cultures censées être OGM (sic) par ses partisans, sous l’oeil bienvaillant des gendarmes (re-sic), il "démonte" les Mc Do, sous prétexte de combattre la mondialisation. Ce n’est pas la même échelle que les attentats de New York, certes, mais cela procède du même esprit " (Nous soulignons). On trouve ça dans Le Figaro du 14-09, page 20.

 Dans Le Figaro économie (13/09, p. XII), on peut lire cette déclaration, qui témoigne d’un prodigieux effort de lucidité : " En s’attaquant à un tel symbole [Le World Trade Center], les terroristes rejoignent (sic) le discours des anti-mondialistes dont la parole est devenue omniprésente (re-sic) pour dénoncer la tyrannies consumériste. Cet acte rappelle à sa manière que l’oppression dont souffrent certains pays est aussi (sic, encore) de nature économique " (Jean-Christophe Alquier, directeur général de Harrison & Wolf Corporate).

 Alain-Gérard Slama, dans son éditorial du Figaro Magazine : " (...) C’est le communautarisme sectaire, ethnique et identitaire, qui prend aujourd’hui le relais du marxisme-léninisme (...) C’est une synthèse du communisme et du fascisme (...) Depuis les poseurs de bombes antimondialistes qui tuèrent l’an dernier la jeune employée d’un McDonald’s breton jusqu’aux organisateurs du nouvel Pearl Harbor se dessinent les contours d’une même internationale de la haine". On trouve ça dans Le Figaro Magazine du 15 septembre, p.7.

 Guy Sorman, dans son bloc-notes du Figaro entreprises (Cahier Enquêtes) du 17 septembre (p.3), s’interroge : "Fin de l’antiaméricanisme ?". Et répond : "Un certain antiaméricanisme, celui qui conduisait à diaboliser les produits américains et à recourir à la violence, paraît difficile à poursuivre. On pense évidemment aux OGM et aux fast-foods. Un Bové détruisant un McDonald’s pouvait prêter à sourire ; dorénavant qui en appellerait une autre serait insoutenable". A la "une", ce chant d’espoir est présenté ainsi : "Pour l’économiste, l’antiaméricanisme est peut-être mort mardi dernier".

 Dans le Figaro du 19 septembre 2001 (p. 11), ce titre : « Pour les membres d’Attac, "rien n’a changé" ».

Mais quand on lit l’article, on découvre qu’il s’agit d’une très étrange interprétation d’un propos de Bernard Cassen qui déclare : "On va continuer à se battre par le dialogue, par la construction d’un rapport de forces, par des manifestations. Rien a changé."

Un phrase qui change tout. Ne reste alors que le titre du Figaro ... Le Figaro qui trouve que "le jour même de la réouverture de la Bourse de Wall Street", (...) une "réunion ayant pour thème la création d’une taxe Tobin en Europe pouvait paraître surréaliste". Sacré Figaro !

 Le 13 septembre 2001, dans Le Figaro, Michel Schifres éditorialise : « Notre solidarité, notre soutien, notre compassion vont au peuple américain, lui qui nous a rendu notre liberté et qui appartient à notre civilisation. » (Je souligne). Va pour la guerre des civilisations ?

Mais Schifres s’interroge : « Comment avons-nous pu oublier que les idées de martyr et de cause demeurent le mirage des peuples désespérés et des religions expansionnistes, nous qui sommes également héritiers du sacrifice et de la barbarie ? »

Héritiers de cela, et de bien d’autres choses...Pourtant, que l’on ne s’y trompe pas : « Il ne s’agit pas de battre, une nouvelle fois sa coulpe et de faire entendre le long sanglot de l’homme blanc (...) ». Ouf !

 Max Clos, toujours dans Le Figaro du 14-09, s’interroge : "Faut-il condamner l’Islam ?".

Et répond :

« Des voix s’élèvent un peu partout, y compris en France, pour condamner par avance une "attitude manichéenne" qui condamnerait en bloc l’Islam. Le terrorisme islamiste ne serait, selon ces voix, qu’une déviation ne concernant qu’une petite minorité de musulmans, ne justifiant en rien une réaction militaire brutale. On répondra que le manichéisme peut certes conduire à des excès et des injustices. Mais comment ignorer que les criminels qui ont frappé le coeur des Etats-Unis, ceux qui égorgent en Algérie ou qui oppriment les femmes en Afghanistan, le font au nom d’Allah ».

Donc ?

 Et pour en finir : Les antimondialistes, disciples de Ben Laden

Dans un superbe article intitulé "Le pari de la modernité" (Le Figaro du lundi 19 novembre 2001, p. 14), Alain-Gérard Slama soutient avec brio que l’Afghanistan n’a pas immédiatement besoin de démocratie, mais de modernité, c’est-à-dire d’ "un minimum de confort matériel".

Ce qui nous vaut, entre autres clarifications importantes, ces deux mises au point :

 "Ben Laden et, derrière, lui les antimondialistes et les intégristes de toutes obédiences, se sont attaqués aux symboles du monde matériel en espérant entraîner derrière eux tous ceux qui tiennent à la sauvegarde des biens spirituels. Comme les nazis dans les années 30, ils sont cherché à retourner la technique contre elle-même".

D’où il ressort, pour peu qu’on lise attentivement, que les antimondialistes de toutes obédiences sont impliqués dans les attentats.

 "En attendant, plutôt que de battre leur coulpe et de s’accuser d’être riches, les Occidentaux feraient mieux de retrouver confiance en eux-mêmes, que de reconnaître que leur succès matériel est juste et, face à ceux qui les nient, de faire en sorte que ce qui est juste soit fort."

D’où il ressort que Pascal (auteur allusivement cité de la formule selon laquelle il convient de « faire que ce qui est juste soit fort ») aurait soutenu la guerre impériale !

(Première publication : 24 novembre 2001 - Texte légèrement modifié)

Le terrorisme est partout

 Terrorisme taggeur

Dans Le Figaro, 20 septembre 2001, cette brève (texte intégral), sous le titre : " Tags antiaméricains dans un lycée d’Avallon " :

« “Trois minutes de silence pour les Américains alors qu’on n’a rien fait pour les Palestiniens. " C’est, selon certains élèves du lycée public d’Avallon, l’une des phrases griffonnées, parmi d’autres, sur les murs à l’intérieur de leur établissement, dans la nuit de vendredi à samedi. " Des tags violents racistes et haineux ", selon la direction du lycée, qui les a effacés dès lundi matin. Le proviseur a par ailleurs pris la décision de suspendre les cours hier " en signe de protestation " et de consacrer deux heures de l’emploi du temps pour parler avec les élèves. La gendarmerie a ouvert une enquête, sans succès pour l’heure. »

Quand une phrase aussi banale que " Trois minutes de silence pour les Américains alors qu’on n’a rien fait pour les Palestiniens " devient un " tag violent et raciste " justifiant à la fois une suspension des cours, une séance de rééducation et une enquête de la gendarmerie, la lutte contre le terrorisme est bien engagée.

(Source : PLPL)

 Terrorisme communautaire

Deux semaines après les attentats aux États-Unis, Max Clos, dans son " Bloc-notes", publié dans Le Figaro du 28 septembre, laisse libre cours à son délire :

« [...] Depuis les attentats du 11 septembre, la communauté musulmane se déclare victime de manifestations d’hostilité. Question : qui est victime, les croyants ou les 7000 morts de New York et de Washington ? Qui est persécuté dans les banlieues à risque, les " jeunes " ou bien les enseignants agressés, les policiers attaqués, les conducteurs de bus caillassés, les pompiers harcelés ? Mercredi, s’est ouvert devant la cour d’assises de Versailles le procès du policier Pascal Hiblot, accusé d’avoir tué en 1991, à Mantes-la-Jolie, un jeune Algérien conduisant un véhicule volé au cours d’un " rodéo " après qu’il eût renversé et mortellement blessé une femme policier. Une manifestation est organisée devant le tribunal. Les " jeunes " réclament la " justice ", c’est-à-dire une lourde condamnation pour le policier. Schéma classique. Mais ils n’en restent pas là. L’affaire dégénère en démonstration pro-islamique, au cours de laquelle on acclame les chefs des pays arabes et l’on conspue les Américains. Islam pacifique ? Une " guerre sainte " a été déclarée à l’Occident. Nous sommes en danger, en situation de légitime défense, et l’ennemi est identifié. Le choix est entre se battre ou se laisser égorger comme des moutons bêlants. »

Quelques heures après la publication de cet article, le policier Hiblot, qui avait tiré dans le dos de la victime, était acquitté par la cour d’assises de Versailles. Pour une fois, les policiers n’auront pas été "persécutés " au profit des " jeunes ".

(Source : PLPL)

 Terrorisme quotidien

Cela s’intitule : Le terrorisme quotidien". Et c’est un éditorial d’Yves Thréard, dans Le Figaro du 2 novembre (p. 13). La France est en danger car "nous" supporte "d’autres", terroristes eux aussi. Extraits :

« N’en déplaise aux ligues de vertu droit-de-l’hommistes et autres beaux esprit, la France n’avait pas besoin des attentats du 11 septembre pour savoir qu’elle était en danger. »

Suite une liste de crimes et délits récents. Et : « Osons l’écrire : aujourd’hui, on risque une agression à chaque coin de rue, à son propre domicile, pour un oui ou pour un non ».

Et cela porte un nom : « S’il ne faut pas négliger la menace que font peser les artificiers de Ben Laden, il faut d’abord s’attaquer à la réalité. En France, le terrorisme est quotidien. »

On peut s’épargner la suite, mais pas la dernière phrase : « Entre celui qui fait régner la terreur - qu’il ait le visage de Ben Laden ou d’un "sauvageon" - et celui qui cherche à s’en protéger quel est le plus fasciste ? »

Tous "terroristes", y compris sans doute celui qui refuserait de répondre aux questions stupides d’un éditorialiste du Figaro...

(Première Publication : 6 novembre 2001)

 Terrorisme syndical

Dans Le Figaro du 16 novembre, page 12, sous la plume d’Ivan Roufiol et sous le titre "La loi du plus faible" :
« Avec Moulinex, le "terrosyndicalisme" a acquis ses lettres de noblesse. Au détriment, une fois de plus, de l’état de droit. (...)". »

Suit le rappel des actions de salariés de Cellatex, de la brasserie Adelshoffen et de l’équipementier automobile Bertrand Faure : « Dans la majorité de ces cas, ce sont bien des sommations terroristes qui ont été proférées, c’est-à-dire des recours systématiques à des intimidations destinées à imposer une cause par la violence.(...). »

Terrorisme syndical = terrorisme corse : « Difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce nouveau terrorisme syndical et le terrorisme corse. En effet, ils sont tous deux construits sur la culpabilisation préalable d’un adversaire à impressionner. »

C’est le cas en Corse, et : « Pareillement, c’est parce que le discours dominant a retenu que le patron était évidement l’exploiteur et l’ouvrier l’exploité que le "terrosyndicalisme" est aujourd’hui prioritairement décrit dans les médias comme étant la marque excusable d’une "détresse" de la classe ouvrière. »

Terrorisme syndical et corse = menaces des banlieues + "terrorisme islamique international" : « Alors que la situation dans les banlieues est de plus en plus violente, il est à craindre que les exemples de terrorisme syndical, ajouté au terrorisme corse, ne donnent de semblables idées radicales aux fauteurs de trouble, dont une partie d’entre eux semble déjà solidaire du terrorisme islamique international. »

La boucle est bouclée !

(Première Publication : 18 novembre 2001)

Le Figaro a réponse à tout

La "Une" du Figaro du Lundi 8 octobre annonce fièrement "Le temps de la riposte". Un titre que justifie la fin de l’éditorial de Michel Schifres :

« L’illusion la plus dangereuse serait de croire qu’on puisse éradiquer le terrorisme simplement parce qu’on l’aurait décidé [pur truisme...] Le péril reste menaçant, ne serait-ce parce qu’il est nourri à la fois par le souvenir d’un passé brillant [ ?], la fièvre religieuse [symptôme de maladie], et le désespoir des peuples obsédés par la puissance occidentale [des peuples malades d’obsession...]. ».

Et voici pour conclure le temps propre à la riposte :
« Le moment n’est pas encore venu de tirer les leçons de ce constat, puisque l’urgence est à l’action. Mais on échappera pas à la nécessité de la réflexion. »

Récapitulons : Avant les attentats, c’était le temps de l’aveuglement ; avec les attentats est venu le temps de l’émotion ; après les attentats vient le temps de l’action sans réflexion ; et après la guerre, il sera grand temps de réfléchir, mais à condition - voir ci-dessous - que la "puissance occidentale" ne se batte pas la coulpe...

Le 13-09-2001, dans Le Figaro, Michel Schifres : « Il ne s’agit pas de battre, une nouvelle fois sa coulpe et de faire entendre le long sanglot de l’homme blanc »

(Première publication 9 octobre 2001 - titre modifié)

 
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Notes

[1Ces échantillons ont été prélevés, sans modification, dans une ancienne présentation chronologique du « Figaro en brèves » : la date de publication antérieure est indiquée à la fin de chacun d’entre eux.

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