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Tribune

L’urgence, les médias et les élections

par Olivier Aubert,

Comment la logique de l’urgence ou la logique de l’actualité - « l’actu » - façonnent une médiatisation des esprits qui fait le lit de la lepénisation des esprits : c’est ce qu’Olivier Aubert tente d’expliquer dans cette tribune [*].

(…)
Mes réflexions se borneront aux médias.

On lit et on va lire que cette cochonnerie de sentiment d’insécurité qui mène à un vote pareil est une construction purement médiatique. C’est aussi mon avis, mais je crois que ce n’est qu’un début de réponse.

Et même si ce n’est qu’un bout d’explication d’un vote à l’extrême droite, il mérite d’être exploré même de façon brouillonne.

La presse écrite dit va dire que le battage sur l’insécurité c’est la TV, la TV que c’est l’actu, etc …

Il existe pourtant un très profond sentiment d’insécurité dans ce pays, dans cette peur irraisonné, les pseudos violences urbaines ne tiennent qu’une part infime, l’essentiel est ailleurs dans le renvoie permanent par les médias de l’image d’un monde qui s’agite, complexe, d’une histoire dont on ne serait que des spectateurs face à un déferlement, un tumulte dont on ne pourrait rien faire, incompréhensible ou plus personne ne "maîtriserait" rien, ou tout serait pourri, perverti, dangereux etc …

Ça c’est une construction médiatique.

Sans cesse dans les médias un message est dilué concernant ce qu’il y aurait de "nouveau", de "vraiment nouveau", "d’exceptionnel", "d’inédit", "d’événementiel", "d’inédit" et est en général calamiteux.

Les médias dans leur ensemble veulent, produisent et véhiculent du neuf, de l’actu, des événements sans passé ni avenir (ou quasi). A force de diluer du "neuf" sans le rattacher à de "l’ancien", de raconter des faits épars et de faire semblant de les analyser au quart de tour pour les oublier dès le lendemain, de se donner l’illusion de recouper sans aller regarder dans l’histoire si les mêmes phénomènes ne se seraient pas déjà produits et bien on arrive à une situation ou puisque le quotidien fait de "neuf" est plutôt calamiteux et sans perspectives et bien de plus en plus de gens idéalisent l’ancien, le passé, quelque chose comme un rythme du monde perdus, une tranquillité, une lenteur, un calme, une sécurité qui n’existerait désormais plus.

Dans ces nostalgiques d’un monde organisé, "maîtrisé" beaucoup d’électeurs ont choisis celui qui promet un retour à un ordre ancien, clair et lisible, ordonné, presque désuet en oubliant ce qu’il a de criminel.

C’est à mon avis un bout d’explication. Du tumulte naît la peur, l’angoisse, quelque chose d’irrationnel qui avec plein d’autres facteurs (bilan de la gauche calamiteux, président de droite qui mériterait largement la destitution et un procès). De la peur naît une volonté d’être rassuré, encadré, guidé c’est primaire comme analyse mais je ne cesse de rencontrer des gens qui ont peur de l’avenir.

L’information a remplacé la connaissance, l’expérience et l’expérimentation. La dilution quotidienne de faits sans passé, sans histoire, sans explication vraiment intelligible, sans pédagogie donne en effet froid dans le dos. Hormis des cercles restreints ou l’on continue a s’interroger sur les faits et leurs causes et a les mettre en perspective, les solutions, les alternatives et ou quelquefois même on les mets en oeuvre, le destinataire des "nouvelles du monde" est devenus un réceptacle a émotion, a "flashs" de nouvelles, a infos brèves fournis en jets continus dans lequel il est spectateur mais aussi oublié face a un sentiment d’impuissance.

Au delà de la lepénisation des esprits, il y a bien une médiatisation des esprits qui somme chacun d’observer le monde en temps réel, d’être informé, c’est a dire de recevoir chaque jour son lot d’informations catastrophes. Car ce qui fait l’actualité ce ne sont la plupart du temps que des mauvaises nouvelles, des "dernières informations qui restent a confirmer" et des "événements qui vont tout changer".

Dans une course contre la montre qui tient lieu de posture, les médias somment les politiques de réagir, les politiques se limitent donc le plus souvent a produire du visible, du montrable, du racontable, du médiatisable car sans médiatisation la réalité semble ne plus exister. D’une logique d’action on est passé à une logique de réaction, de réponse sans aucune anticipation ni perspective a long terme.

Ils somment aussi les lecteurs de donner leur point de vue (voir les sondages, les micro-trottoirs, les stupides petites phrases de pseudo reportages).

Enfin ils somment les spécialistes, les autorités morales, philosophiques, religieuses et psychanalytiques d’éclairer en 5 phrases le lecteur qui est censé s’interroger, vouloir comprendre etc …

Des journaux gratuits se donnent pour objectif de nous informer en 20 minutes, des journaux télévisés en 6 minutes, des journaux radios en 5 minutes.

Soumis a une sensation d’accélération permanente nous risquons de n’agir qu’en réaction à la médiatisation des choses et pas à sa réalité et c’est là ou les médias ont une responsabilité affolante. C’est à mon avis exactement ce qui se produit.

Aucun journal, radio ou TV n’est exempt de responsabilité dans cette machinerie qui crée l’effroi, le tourbillon et la peur, un sentiment diffus de ne pouvoir rien sur rien "puisque tout va désormais si vite".

Quand ce sont les dépêches d’agences ou les retransmissions directes d’images TV qui mènent le monde, il ne faut pas s’étonner que la peur fasse voter pour un fasciste qui promette un retour en arrière et l’énonce avec sérénité.

Nos journaux préférés au lieu de s’interroger sur ce qui aurait du sens à partager vont comme d’habitude traiter de ces événements sur lesquels "on ne peut pas faire l’impasse", logique d’actu, logique de dépêche d’agence, logique de lecture de ce qui se publie dans les autres journaux, logique d’ouverture du JT a 13 h et 20 h.

Pas un mot de ce qui se construit, pas une ligne sur ce qui s’expérimente, se tricote de la place que pour l’angoisse, le désastre.

Je ne m’étonne pas que dans un pays conservateur ou l’on nous renvo1e sans cesse l’image d’un ultra désordre du monde, une si grande partie des électeurs votent pour un ultra.

Il y a une insécurité profonde palpable partout ou je suis passé cette année en France elle tient a une réalité objective de chômage, de précarité et à l’absence de réponse et une autre insécurité subjective véhiculée par les médias qui nous rabâchent : "ça va mal partout", "le chaos se propage", "y a pas de solutions".

Je vous passe le couplet sur l’insécurité des pigistes. Ce qui est sur c’est qu’elle ne se traduit ni par de l’abstention ni par des voix pour l’affreux borgne et pourtant elle est de plus en plus présente.

O.Aubert, journaliste indépendant.

 
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Notes

[*Les articles présentés comme des tribunes n’engagent pas nécessairement la responsabilité d’Acrimed

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