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La pâte à crêpe selon Bernard-Henri Lévy

par Mathias Reymond,

Bernard-Henri Lévy vient d’être nommé commissaire d’une exposition à Saint-Paul de Vence et à cette occasion il publie un livre – une sorte de catalogue/journal de l’exposition. Ce double événement – qui en soi n’a rien d’extraordinaire – est un nouveau prétexte pour le voir défiler partout dans les médias. La presse est enthousiaste et les animateurs audiovisuels déroulent le tapis rouge. Et notre observation méticuleuse des médias depuis près de vingt ans permet de l’affirmer : jamais une exposition d’œuvres d’art n’a connu un tel battage avant même son ouverture au public. Et qui peut croire, sans préjuger de la qualité des toiles présentées (ni de celle de l’ouvrage dans lequel Bernard-Henri Lévy les expose et s’expose) que ce battage a pour objectif de rendre accessibles au plus grand nombre des chefs-d’œuvres de la peinture qui, d’ordinaire, ne font l’objet d’aucune présentation détaillée sur les grandes chaînes de radio ou de télévision ?

Comme d’habitude, Elkabbach attaché de presse de BHL

« L’homme de toutes les surprises. Après deux ans de silence, Bernard-Henri Lévy, vous réapparaissez pour ouvrir les portes d’un univers inattendu, votre passion de l’art et de la peinture », c’est ainsi que Jean-Pierre Elkabbach accueille son invité surprise, Bernard-Henri Lévy, le lundi 3 juin 2013 sur Europe 1, pour qu’il parle aux auditeurs d’Europe 1 de son exposition à Saint-Paul de Vence. En effet, « le 29 juin, le monde de l’art sera à Saint-Paul de Vence pour inaugurer l’exposition organisée pour les 40 ans de la fondation Maeght » insiste l’animateur.

« L’art de toutes les époques se répond et se parle » explique BHL pour illustrer sa juxtaposition d’œuvres de Jeff Koons et du Tintoret. « Librement les œuvres pourront se quereller », opine Elkabbach. BHL, ravi : « L’art est plus vivant que jamais. Mais la meilleure manière de le vérifier, c’est de mettre les œuvres à côté. Si vous mettez une crucifixion de Basquiat à côté, par exemple, d’une crucifixion de Bronzino, c’est un test implacable. Ça marche. Dans certains cas ça ne marche pas. »

Une telle proclamation doit être d’une clarté totale pour tous les auditeurs d’Europe 1, pour qui les crucifixions de Basquiat et de Bronzino n’ont aucun secret.

Comme d’habitude les cireurs de pompes… cirent les pompes

On l’aura compris : c’est une tradition, à chaque hoquet de Bernard-Henri Lévy la télévision et la radio sont aux petits soins.

Ainsi, Michel Denisot le convie dans « Le Grand Journal » sur Canal Plus (4 juin) et Augustin Trapenard, chroniqueur éphémère, le présente : « Les Aventures de la Vérité, c’est un catalogue d’exposition, très beau, très brillant. C’est un dialogue entre une pensée philosophique et 160 œuvres d’art [en réalité, il y en a 126], dans le cadre d’une exposition, dont vous êtes Bernard-Henri Lévy, l’initiateur et le commissaire, et qui se tiendra à partir du 29 juin à Saint-Paul de Vence. C’est un livre intéressant par la richesse des œuvres présentées que vous avez été chercher dans le monde entier : de Tintoret à Guy Debord, en passant par Kiefer, Pierre et Gilles, Basquiat, mais aussi intéressant car vous sautez d’une époque à l’autre, intéressant de voir comment les artistes en fait se citent, se répondent, se confrontent et s’enrichissent mutuellement. Mais ce qui est intéressant,surtout, c’est votre implication très intime au point de nous livrer une partie de votre journal intime, pendant la conception de cette exposition… » [1]. Intéressant...

Le philosophe de télévision est aussi invité par Laurent Ruquier dans son émission de France 2, « On n’est pas couché », pour faire parler de lui et de son exposition (8 juin). Ruquier sautille de bonheur sur sa chaise quand il l’accueille : « Je suis doublement ravi de vous recevoir ce soir, cher Bernard-Henri Lévy. Un, parce que c’est uneoccasion de vous revoir. Mais aussi […] le premier musée dans lequel je suis allé, c’est la fondation Maeght à Saint-Paul de Vence. »

À propos de cette émission, Nathalie Rheims, chroniqueuse au Point (journal dans lequel officie BHL), avance une analyse inattendue dès le lendemain sur le site de l’hebdomadaire : « Il a cette capacité, cette hauteur de vue et aujourd’hui, peut-être un peu plus, cette sagesse, qui permettent à la pensée de ne pas disparaître complètement dans un monde qui pourrait facilement plonger dans l’obscurité. Ici, l’intellectuel engagé est dans son rôle de vigie, fouillant l’horizon du regard, Bernard-Henri Lévy, le Magnifique » (9 juin).

Dans son marathon médiatique, Lévy est également l’invité d’Alessandra Sublet dans l’émission « C à vous » sur France 5 le 6 juin 2013, de Philippe Vandel sur France Info le 12 juin et surtout de Jean-Pierre Elkabbach (encore), mais cette fois sur Public Sénat, le 21 juin. L’animateur est tout en retenue pour présenter son invité : « Voici un des événements importants de l’année 2013. »

Comme d’habitude la presse béachélienne est unanime

Dans la presse aussi, on s’égosille pour promouvoir l’élu des médias.

Le samedi 1er juin, Le Figaro consacre une page et demi et deux appels de « une » (le numéro, le cahier « Le Figaro et vous ») à l’exposition de Bernard-Henri Lévy et à son livre-catalogue, avec un « entretien exclusif ». Le journaliste semble émerveillé : « Chaque œuvre choisie par BHL est commentée par BHL. Si l’on accepte le principe, c’est souvent inattendu et bien vu, raisonneur et gonflé  ». Dans l’interview (fleuve), le philosophe des beaux quartiers revient à nouveau sur « la Crucifixion de Pollock qu’[il] confronte aux crucifixions de Bronzino, Basquiat et Cattelan. »

Se moquant de toute éthique journalistique qui voudrait qu’un périodique ne commente pas les publications de ses journalistes et éditorialistes, Le Point du 6 juin consacre trois pages à BHL et à son exposition à Saint-Paul de Vence. Marc Lambron signe un article (« Art et philosophie : l’aventure continue ») à peu près incompréhensible mais qui témoigne du fait que Lévy, qu’on voit poser à la Fondation Maeght, est devenu un « galeriste corsaire » et un « intellectuel total » (légende de la photo, reprise du texte de Lambron). Il serait aussi l’héritier de Malraux et « le synthétiseur lyrique d’un crépuscule repoussé. »

Dans Le Figaro Madame (14 juin), on découvre « un séducteur aux libidos successives, un équilibriste de haute volée, un conquistador vorace qui s’est fait star comme d’autres se font moines, un chercheur d’or infatigable en quête de nouveaux filons et de nouveaux frissons, mû par ce constant désir de voir s’élargir l’horizon. » Le culte n’a pas de limite.

L’article publié dans Libération est une véritable ode au penseur préféré de Nicolas Demorand : « Autant le dire d’emblée : la première exposition de Bernard-Henri Lévy ne bluffe pas ; elle impressionne, et surtout convainc » (27 juin). Le texte signé Sylvain Bourmeau est accompagné d’un long entretien de BHL.

D’autres articles ou entretiens-fleuves sont publiés dans la presse : L’Est Républicain (5 juin), Marianne (8 juin), Midi Libre (9 juin), Nice Matin (9 juin), Le Nouvel Observateur (20 juin), Le Monde (21 juin), Le Journal du Dimanche (23 juin), L’Indépendant (25 juin), L’Express (26 juin)... Et rien ne peut laisser penser que cela est terminé. Et comme si cela ne suffisait pas, BHL lui-même en rajoute une couche dans son Bloc-Notes du Point (12 juin) qu’il amorce ainsi : « Faut-il que l’époque soit devenue folle, ou absurde, ou amnésique, pour s’étonner qu’un intellectuel, attentif à son temps, [...] s’intéresse aussi à l’art et lui consacre un livre ? » Cela suffira-t-il ?

***

Un tel bouillonnement pour une entreprise qui ne concernera pas plus de 0,1 % des Français nous interpelle : si un jour Lévy décide d’organiser une conférence sur la pâte à crêpe, est-ce que les Ruquier, Elkabbach, Vandel, Denisot et consorts l’inviteront ? Est-ce que Marianne, Le Figaro, Le Point, Le Monde et L’Express s’agenouilleront devant Sa Majesté ? À n’en pas douter : oui.

Mais comme d’habitude, les médias oublient l’essentiel... Un mois et demi avant le début de ce tapage médiatique, le 23 avril 2013, la 17e chambre correctionnelle de Paris a reconnu Bernard-Henri Lévy « complice du délit de diffamation publique envers un particulier ». En effet, dans une chronique du Point (23 décembre 2010) intitulée « L’honneur des musulmans », notre philosophe dénonçait le site Internet Riposte laïque, et stigmatisait « ce nouveau rapprochement rouge-brun qui voit les crânes rasés du Bloc identitaire fricoter, sur le dos des musulmans de France, avec tel ancien du Monde diplo, Bernard Cassen. » Or l’animateur de Riposte laïque se nomme Pierre Cassen et non Bernard. Comme l’explique le mensuel : « Ancien directeur général du Monde diplomatique, Bernard Cassen n’est lié ni de près ni de loin à Riposte laïque » [2].

Bernard-Henri Lévy et Le Point ne feront pas appel du jugement. Et le 16 mai 2013, la condamnation judiciaire est publiée dans l’hebdomadaire juste après le Bloc-Notes du philosophe multimédias. Comble du cynisme : BHL donne le même titre à sa chronique qu’à celle incriminée (« L’honneur des musulmans, suite »). Et comble de la connivence : ni Le Monde, ni Le Figaro, ni L’Express, ni Marianne, ni Libération, ni Le Nouvel Observateur, ni lLe Journal du Dimanche, ni Europe 1, ni France Info, ni Michel Denisot, ni Laurent Ruquier, ni Jean-Pierre Elkabbach, ni Sylvain Bourmeau, ni tous les soldats de l’armée de soutien au grand penseur, ne prendront leur plume ou leur micro pour rompre ce silence.

Avec le temps, rien ne change.

Mathias Reymond (avec l’aide des saisies fantastiques de Serge)


Pour mémoire  :

- « Le lynchage médiatique de BHL, c’est assez ! » (1er mars 2010)
- « BHL-Houellebecq et la « meute » des complaisants » (18 novembre 2008)
- « BHL, évidemment » (2 novembre 2007)
- Et notre dossier complet sur Bernard-Henri Lévy

 
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Notes

[1Certaines transcriptions – comme celle-ci – ont été recueillies sur le site du fan-club de BHL.

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