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Dans Glamour, la Femme suit les conseils de l’Homme

par Raphaëlle Tchamitchian,

Parmi l’inépuisable réserve d’étalage sexiste des magazines féminins, on trouve quelques perles plus brillantes que d’autres. La rubrique « Merci Tom ! » de Glamour, dans laquelle un homme répond aux questions de lectrices anonymes, est particulièrement représentative. Sexisme ou second degré sexiste ? Sexisme à tous les degrés...

« On va enfin savoir ce qu’il y a dans la tête des hommes. » L’accroche de cette nouvelle sorte de courrier des lecteurs est parlante. La rubrique fonctionne à sens unique : les femmes questionnent, et un homme répond au nom de tous les hommes. Le subtil « enfin » rappelle que toutes les femmes vivent perpétuellement dans l’attente de « savoir ce qu’il y a dans la tête des hommes », et qu’il n’est de questions pressantes que celles-ci. Pas d’interrogations, dans ces pages, sur la façon de remplir sa fiche d’imposition, de boucler ses fins de mois au RSA ou d’élever ses enfants seule. Car comment vivre, si ce n’est par rapport à l’Homme ?

Ainsi, « Tom », dont on ne sait absolument rien, prodigue la bonne parole aux éperdues, qui, malgré leur ignorance, ont heureusement trouvé le chemin de Glamour. Une photo montre un grand homme brun, lunettes, chemise, jean, baskets Nike rouge (discret placement de produit), adossé à un balcon et tourné vers l’arrière, dans une pose à la fois détachée, mystérieuse et inconfortable. Une photo qui ressemble à s’y méprendre à n’importe quelle photo de mode publiées par centaines dans le magazine chaque mois, à tel point que l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’existence de « Tom ». Le site Internet www.glamourparis.com ne fournit pas davantage de détails.

Les hommes viennent de Mars et les femmes viennent de Vénus

Qui est Tom ? Tom, c’est l’Homme. Le guide. Celui qui permet aux femmes de s’orienter dans la vie sans faire d’erreurs. Mieux : celui qui rectifie les écarts, répare les oublis et colmate les soucis. Celui qui montre aux femmes le droit chemin, naturellement masculin. Drague, vie de couple, apparence, séduction… Chaque réponse – grossièrement caricaturale – est présentée comme la seule possible. Elle explique à la lectrice qu’il n’est pas question d’argumenter son point de vue, mais d’adopter celui de l’autre :

« Mon mec n’est pas jaloux, c’est normal ?
- Non. » [1]

Dans le monde de Tom, les femmes veulent se marier :

« On est amoureux, lui veut se marier, moi pas, mais je n’ose pas lui dire…
— Cette question n’a aucun sens, une fille qui ne veut pas se marier, ça n’existe pas. Hein ? Comment ? Vous êtes sérieuse ? Ah… […] » [2]

et les hommes roulent des mécaniques :

« Pourquoi mon mec joue au macho devant ses potes ?
— La chose la plus importante pour un mec hétéro, c’est de crier en société : “Putain, chui un mec un vrai !” Alors, vous appeler son “poussin d’amour” devant ses potes, ça ne se fait pas. Vous l’aimez pour son côté sensible, mais lui n’a pas envie de passer pour une femmelette. Oui, je sais, on est ridicules. » [3]

Dans le monde de Tom, tout le monde est jeune, blanc, libre, riche, sans enfants et hétérosexuel. On pourrait un instant croire que le fait de préciser que l’on parle d’un homme « hétéro » dans « la chose la plus importante pour un mec hétéro » est une attention pour les homosexuel(le)s, mais ce qui suit sème le doute. Est-ce que ce ne serait pas plutôt une manière implicite de présenter l’homosexuel, par rapport à l’hétérosexuel macho et viril, comme une personne nécessairement efféminée ? Comme un faux mec, quoi. Rassurez-vous, l’homosexualité est totalement inexistante dans Glamour. Comme les Noirs, les Arabes, les Asiatiques, les pauvres…

De même, les seules allusions au travail font systématiquement référence à l’entreprise : il n’est question que de patrons (au masculin) et d’employées (au féminin). [4] Toutes les autres catégories socio-professionnelles ne sont non seulement pas représentées, mais pas mentionnées. Le lectorat cible est aisé, voire riche, consumériste ou en passe de le devenir, et surtout, fashion. Tom va au « Baron » et « Chez Colette » [5] (un club et un magasin parisiens destinés aux riches) si naturellement qu’on se demande s’il lui arrive même de travailler.

Plus curieux encore, Tom semble vivre dans un endroit d’où l’amour et toutes les valeurs humanistes de base du couple, telles que la tolérance, l’égalité ou simplement le respect de l’autre, ont disparu. La relation amoureuse n’est jamais abordée en tant que telle, mais sous l’angle d’un rapport de force omniprésent, qui répond à un seul schéma, toujours le même : l’enfant gâté face à l’emmerdeuse. En fait, les hommes passent le plus clair de leur temps à calculer leur intérêt de sorte que leur compagne leur casse les pieds le moins possible — c’est à se demander ce qu’ils font encore là. Dans la réponse à la question : « Pourquoi les mecs mettent-ils des lustres à prendre des décisions ? » (un préjugé habituellement réservé aux femmes, mais peu importe), l’homme doit choisir entre « regarder le foot avec [ses] potes ou regarder le rugby avec [ses] potes » et « regarder du foot avec [ses] potes ou le rugby avec [sa] copine ». Dans le premier cas, il n’hésite pas une seconde, dans le second il essaie maladroitement de déjouer le « piège ». Et quel piège ! Passer du temps avec sa copine alors qu’il préfèrerait être avec ses amis, qui plus est devant un match de rugby, sport auquel elle n’entend rien.

« Y a un piège, c’est sûr, y a un piège. Si je réponds le rugby avec elle, c’est pas crédible, elle ne comprend rien au rugby. Mais si je dis le foot avec mes potes, elle va me dire que je préfère passer du temps avec eux plutôt qu’avec elle, et même si c’est parfois vrai, je ne peux pas lui dire ça, elle va m’éviscérer. » [6]

La relation est un combat : il s’agit de pièges, de possession et de jugement, et sur ce ring de l’amour, les femmes sont les éternelles perdantes.

Le changement, c’est pas pour maintenant

L’homme est souvent comparé à un enfant incapable que la femme ne cesse de persécuter à la façon d’une mère. On croit comprendre que c’est elle qui l’infantilise contre son gré :

« Pourquoi mon mec a-t-il besoin de me passer sa mère quand il l’a au téléphone ?
— Sûrement parce que sa mère le lui demande. […] En revanche, si c’est un acte complètement spontané de sa part, c’est que quelque part il vous associe à sa maman. Il va donc falloir vous interroger sur la façon dont vous le traitez : lui répéter de mettre son cache-nez avant de sortir n’est peut-être pas une si bonne idée que ça. » [7]

Mais pas du tout ! En fait, c’est lui qui se comporte naturellement comme un enfant de mauvaise foi.

« Dès que je donne mon avis de façon un peu vive, mon mec me dit que je suis castratrice. Ce n’est pas un peu facile ?
— Si, et c’est bien pour ça qu’on le dit. […] [8]

La réaction des femmes est-elle alors justifiée ? Non, puisque apparemment, tous les arguments, pour ou contre, vont dans le même sens, comme le montre la suite de la réponse : «  […] Maintenant, prenons-nous par la main et regardons-nous dans les yeux. Ce qui gave votre mec lorsque vous lui donnez votre avis de façon un peu vive, c’est qu’inconsciemment, il croit voir sa mère l’engueulant parce qu’il a cassé la soupière de mamie ou parce qu’il a eu 2 en histoire-géo. Et le problème, c’est qu’il n’a pas besoin d’une maman. Il a besoin de vous. Sa meuf. » Ne brusquez pas le mâle, chères amies. Laissez-le croire qu’il a raison, c’est bon pour son moral et pour sa virilité. Et remarquez,, au passage, que cette leçon vous est administrée d’un ton lui-même infantilisant et condescendant. Les femmes seront ravies d’apprendre qu’elles ont raison, certes, mais qu’elles doivent tout de même acquiescer. Car le choix est binaire : être chiante (technique inefficace) ou abandonner, puisque, dans tous les cas, l’homme ne changera pas. Il est par nature puéril, inconséquent et macho (merci pour eux).

« Ça fait cinq ans qu’il ne débarrasse pas son petit-déj’. Je lui fais bouffer sa tasse ?
— Il y a des choses qui ne changent pas : George Clooney sera toujours plus beau que moi, Kate Moss sera toujours plus belle que vous, et votre mec est un cochon. Soyons honnête. Lorsque vous l’avez rencontré, il y a cinq ans, il débarrassait la table du petit-déj’ ? Non ? Eh bien, voilà. Vouloir changer un mec bordélique, c’est comme essayer de faire comprendre à Lady Gaga qu’elle n’est pas obligée de s’habiller en côte de bœuf pour aller acheter le pain = MISSION IMPOSSIBLE. Il reste toujours la thérapie par électrochocs, ça a donné de super résultats sur les souris de laboratoire, mais lui balancer une décharge de 220 V à chaque fois qu’il se lève sans débarrasser son bol ne fera pas du bien à votre relation. Rappelez-vous : vous êtes amoureuse de lui pour le meilleur et… pour la vaisselle dans l’évier. » [9].

Mais alors : « Où sont passés les vrais hommes ? » [10] Chez Tom, la distinction entre le vrai et le faux est une affaire sérieuse : les « vrais » hommes sont castrés, Mesdames, et c’est de votre faute. « Regardez-vous aujourd’hui : vous êtes belles, responsables, indépendantes, fortes. Il vous arrive même de poser une étagère mieux qu’un mec. En gros, vous n’avez plus besoin de nous, donc fatalement, notre instinct animal de protection s’émousse. N’ayez pas peur de montrer vos faiblesses à un mec et vous verrez que ses « cojones » vont revenir manu militari. » (N’oublions pas qu’une « fille qui ne veut pas se marier, ça n’existe pas », mais nous ne sommes pas à une contradiction près.)

Un homme, un vrai, ça marche à l’instinct, ça a des « cojones » et une poigne virile. Et une femme, une vraie, ça fait la vaisselle, ça sourit et ça dit « Merci Tom ! ».

Raphaëlle Tchamitchian

 
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