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Rédaction nationale de France 3 : Record de défiance à l’égard de Thierry Tuillier

Le 21 juin 2012, la rédaction nationale de France 3 était appelée à se prononcer sur une motion de défiance. Adoptée par 74 % des votants, comme on pourra le lire dans le communiqué de la Société des journalistes (SDJ) publié ci-dessous. Ce sont les motifs de cette défiance qu’éclaire, pour sa part, la déclaration de Claude Gueneau, élu CGT, au Comité d’établissement, le 21 juin que nous publions également (Acrimed).

* * *

I. Motion de défiance (communiqué du bureau de la SDJ)
Rédaction nationale de France 3 - Thierry Thuillier : record de défiance

Inscrits : 201

Exprimés : 162, soit 80,6 % de participation (taux historique)

À la question «  Avez-vous confiance dans le projet éditorial de Thierry Thuillier pour la rédaction nationale de France 3 ?  », les réponses sont :

- OUI : 36 bulletins, soit 22,22 %
- NON : 120 bulletins, soit 74,07 %
- nul/blanc : 6 bulletins, soit 3,7 %

Au vu de ces résultats sans équivoque, Thierry Thuiller n’est plus un interlocuteur légitime.

La rédaction nationale de France 3 demande la nomination d’un nouveau directeur de l’information, indépendant de France 2, avec un projet éditorial ambitieux.

Le bureau de la SDJ de la rédaction nationale de France 3, le 21 juin 2012

Pour comprendre les motifs de cette défiance, un point de vue :

II. Déclaration de Claude GUENEAU, élu CGT,
au Comité d’établissement siège France Télévisions du 21 juin 2012

Les relations entre la rédaction nationale de France 3 et la direction de France Télévisions, sa direction de l’information en particulier, sont exécrables. Rarement un tel climat d’incompréhension et de défiance n’a été atteint.

Les signes de cette tension sont nombreux et fortement ressentis à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise.

 Le référendum organisé par la Société des journalistes (SDJ) le 10 mai dernier a montré qu’une majorité des journalistes et des personnels jugent la ligne éditoriale non conforme à notre mission de service public. Par ailleurs près de 70 % des journalistes font état de souffrance au travail.

 Une nouvelle motion de défiance est soumise en ce moment même à la rédaction nationale.

 Les relations hiérarchiques quotidiennes se dégradent, comme l’illustre la traduction en conseil de discipline d’un de nos confrères à la suite d’un « tweet » ressenti comme insultant. Dans cette affaire, les contradictions au sein de la direction sont spectaculaires comme on a pu le voir avec l’annulation puis la re-convocation de ce conseil de discipline avec des arguments dépourvus de tout fondement.

 Dans les instances des délégués du personnel, du Comité d’établissement et du CHSCT, les élus ont le sentiment de ne pas être respectés. Les questions légitimes restent sans réponses tandis que les consultations ont le plus souvent lieu, alors que les projets sont déjà engagés et irréversibles, et qu’ils n’ont pas fait l’objet de véritables débats.

 La direction ne maîtrise pas le fonctionnement d’instances trop vastes regroupant plus de 5 000 salariés répartis sur plus d’une dizaine de sites parisiens et concernant des dizaines de métiers et secteurs. Elle entretient sciemment la désorganisation.

 En tâche de fond, nous avons la certitude que l’on veut mettre au pas une rédaction à la réputation de « rebelle » et exécuter jusqu’au bout les ordres de l’ancien Président de la République qui bougonnait sur le plateau du 19/20 le 30 juin 2008 : « C’est scandaleux, cette maison n’est pas tenue… C’est grave… mais ça va changer ! »

Pourquoi en est-on arrivé là ?

Depuis le changement de direction en juillet 2010, la rédaction nationale de France 3 a été malmenée, méprisée, pillée.

 Le recentrage sur une certaine conception de la « proximité » avec l’interdiction de couvrir toute une partie de l’actualité mondiale ainsi que la réduction drastique des reportages à l’étranger a été violente, destructrice de valeur et absurde au plan éditorial.

 Les téléspectateurs de France 3 sont arbitrairement privés d’une information couvrant l’ensemble de la planète. De grandes parties du monde, notamment les plus déshéritées, sont interdites d’antenne.

 Par conséquent, nous ne remplissons plus nos missions d’information conformément à notre cahier des charges de chaîne à vocation régionale mais aussi généraliste.

 Les journalistes du service étranger ont été traités sans ménagement et sans alternative ni perspectives professionnelles. Le gâchis professionnel et humain est incalculable vis à vis de professionnels reconnus pour leur engagement dans la couverture de l’actualité internationale (Moyen-Orient, Afrique, Afghanistan).

 Dans tous les services, du tournage au montage, des compétences dont sous-utilisées, des individus sont broyés.

 Ce que nous dénonçons depuis des mois a maintenant un nom : la « Bfmisation » de la télévision qui est un appauvrissement et une voie sans issue pour l’information sur le service public.

 La priorité donnée aux faits divers, à la pluie et au beau temps la systématisation des directs, façon chaîne tout-info, au détriment du reportage contribue à un nivellement pas le bas et un sentiment de déqualification.

 La couverture des soirées électorales a mis à nouveau en évidence les disparités de moyens accordés aux deux chaînes et le choix de la direction de l’information de traiter la rédaction nationale en rédaction de troisième division.

Hold-up sur les moyens de la rédaction de France 3

Une omniprésence de cadres de France 2 : Direction de l’information, Direction de la rédaction, Coordination des reportages, Coordination des rédactions, Direction des échanges internationaux, Chef du service météo, Chef du service montage, Chef du service son… La rédaction nationale de France 3 est pilotée quasi exclusivement par des cadres de France 2. La plupart y ont d’ailleurs toujours leurs bureaux d’où ils donnent leurs ordres.

 La question n’est pas celle d’une méfiance envers les salariés de France 2 avec lesquels nous entretenons des relations très confraternelles. Ce que nous refusons, c’est qu’on nous impose le moule et les méthodes France 2, son mode de fonctionnement, sa chaîne de commandement et son produit éditorial.

 Comme sur France 2, le service étranger a disparu, le service des sports est menacé, les preneurs de son sont en voie de disparition. La coordination des reportages n’est plus qu’un appendice de celle de France 2.

 La mutualisation a vite dérivé vers le détournement des moyens de la trois au profit des éditions de France 2 avec obligation d’utiliser les mêmes caméras que France 2 et de mettre à disposition nos images.

 Le déménagement du magasin caméras vers celui de France 2 est une étape supplémentaire dans la captation de nos potentiels. Il est perçu comme le symbole et la première étape du démentiellement de notre rédaction.

 La création d’IFAB et du PC info est une nouvelle étape. La nécessaire modernisation des outils est mise en danger par les méthodes autoritaires et de passage en force de la direction de l’information.

 Cette modernisation est le prétexte à la disparition de nombreux services de la rédaction nationale de France 3 (documentation, vidéothèque, infographie, agences…) au profit d’une super structure centralisée et déshumanisée. Les emplois et la place de chacun dans les nouvelles structures sont menacés

Une organisation du travail qui liquide les 35 heures

Là encore pour la direction, la fille aînée est l’exemple à suivre. À France 2 les journalistes sont au forfait jours, donc tous les journalistes de France Télévisions doivent y passer, ainsi que les techniciens des équipes de reportage.

 Non, nous refusons le forfait jours qui considère comme « normales » des journées de 11 heures et des semaines de 55 heures sans récupérations.

 Nous refusons la suppression de la moitié des RTT pour les journalistes qui choisissent le décompte horaire et l’organisation du travail sur 35 ou 37 heures en 5 jours totalement inadaptée au fonctionnement des rédactions.

 Nous nous opposons à la suppression de la semaine de 4 jours. Compte-tenu de la pénibilité du travail, les nombreux cas d’incapacités liés au port d’une caméra de 8 à 9 kg, JRI sont les premiers concernés.

Il n’y a pas un journal télévisé de trop. Le 19/20 ne doit pas disparaitre.

Le 19/20 en tant que journal emblématique de France 3, mais aussi le 12>13 et Soir3 sont en danger.

 Nous comprenons les préoccupations de la Cour des comptes ou de certains députés, d’autant plus que la suppression irresponsable et non préparée de la publicité après 20 heures a gravement mis en danger les finances de France Télévisions.

 Pour autant, la recherche d’économies et de synergies due à l’incurie de l’État ne doit pas conduire à l’uniformisation des contenus et des lignes éditoriales. C’est malheureusement la mauvaise pente vers laquelle on nous entraîne. Avec la mise en commun de tournages et d’images, les journaux de France 2 et de France 3 se ressemblent de plus en plus.

 Continuer sur cette voie finira par poser la nécessité de maintenir la rédaction nationale de France 3, si elle n’est pas en mesure d’offrir des journaux clairement identifiés et différentiés, avec chacune sa manière de rendre compte de l’actualité.

 Face aux chaînes de plus en plus nombreuses sur la TNT, pour lesquelles l’information est un produit, il ne doit pas y avoir que France 2 pour représenter l’information sur le service public.

Retour à l’autonomie de la rédaction nationale dans France 3

 Il faut que notre rédaction retrouve son autonomie éditoriale et toute sa place au sein du réseau des rédactions que constitue France 3. C’est là que résident les véritables synergies. Rédactions locales, régionales et nationales se complètent naturellement pour offrir des sessions d’informations allant du local à l’international. C’est un enrichissement pour la démocratie et le droit à l’information.

 Il faut mettre fin à la fonction de directeur unique de l’information. Cette structure a pour résultat dramatique, le clonage et l’uniformisation des contenus des reportages et des journaux. Le rôle du service public est de délivrer une information responsable et citoyenne.

 L’autonomie de France 3 vis-à-vis de France 2 ne veut pas dire tourner le dos aux échanges et synergies. Ceux-ci existent déjà à une grande échelle via la plateforme de coordination d’Info Vidéo 3. Le potentiel est considérable et il peut être encore amélioré.

Paris, le 21 juin 2012

 
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