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Festival de Cannes : Les entreprises « folles » et « risquées » de L’Express Styles

par Jacques Gasseng,

Événement inséparablement médiatique et culturel, le Festival de Cannes mobilise chaque année et dans des proportions exponentielles l’ensemble de la presse écrite (spécialisée ou non) et des médias audiovisuels pour un traitement, dans sa grande majorité, consensuel et homogène.

L’Express n’est pas en reste cette année puisque ce sont 16 pages (pas moins...) que l’hebdomadaire, édité par le groupe Express-Expansion (L’Expansion, Studio magazine, Ciné live, Sonovision, L’étudiant, Point de vue...), consacre au Festival international du film dans son édition du 17 au 23 mai 2007 (n°2915). Et la totalité du supplément Styles paru dans ce même numéro est entièrement dédiée à l’événement. Visite guidée...

La surmédiatisation du Festival incite les journalistes à multiplier les stratégies de distinction propres à produire une mise en perspective originale et singulière de l’événement (2007 marque de surcroît le soixantième anniversaire de la manifestation). C’est pourquoi, si l’on en croit l’éditorial de Styles (figurant en p.5 du supplément rédigé par sa rédactrice en chef Lydie Bacrie), L’Express a pris le pari, cette année, du « projet un peu fou suscitant tous les engouements et que l’on abandonne ensuite une fois redevenu trop raisonnable ». Persévérante (« sauf qu’il n’est pas dans les habitudes de L’Express Styles de renoncer ») Mme Bacrie et son équipe ont malgré tout décidé de « relever le défi » afin de nous offrir un « véritable parti-pris de cinéma ».

En quoi consiste donc cette entreprise prétendument « difficile » et « risquée » ? S’engager dans l’aventure d’une réflexion sans concession sur les arcanes du festival ? Ou d’une investigation rigoureuse fondée sur des faits recueillis auprès d’informateurs avisés, au « risque » de proposer une vision critique et désenchantée du secteur cinématographique ? Pas exactement.

Le pari qui « a d’emblée soulevé l’enthousiasme » a consisté à réunir « les actrices les plus prometteuses » du « cinéma français de demain », « celles qui ont une envie folle de prendre tous les risques. De tout jouer. De tout oser » (p. 32). Toutes, selon le supplément, « ont bouleversé leurs agendas », pour participer dans les studios de l’Avenue Montaigne à une séance de photos «  exceptionnelle » et, on va le voir, particulièrement risquée dans la mise en question de leur image publique, si l’on en croit les soutiens et les participations dont cette entreprise a bénéficié.

P. 32, c’est avant tout le groupe LVMH (dont le président Bernard Arnault figure en tête des plus grosses fortunes mondiales) qui est remercié en tant que « partenaire, avec le soutien de Moët-Hennessy ».

P. 33 à 61, c’est sous les couleurs et les tissus de Richard Galliano, Dior, Valentino, Ralph Lauren, Armani, Hermès, Chanel, Balmain, Yves St Laurent, De Furstenberg, Prada, Versace... , et les bijoux et autres diamants des maisons Dior joaillerie, Tiffany and Co, Boucheron que nos talents (féminins) de demain posent et s’exposent afin d’illustrer leurs interviews (publiés sur le site L’Express.fr) et « d’esquisser (toujours selon L. Bacrie) un parfait kaléidoscope de notre époque, avec ses fulgurances et ses contradictions, ses doutes et sa soif de vivre » (p.5).

Un tel « parti-pris de cinéma », celui d’oser contre toute attente le pari de publier des articles à contre-courant des représentations ordinaires et consensuelles (« Bijoux en cinémascope », p.66 à 70 ; « Snacking chic au Martinez », p. 72 à 74 ; « Dolce riviera », p.76 à 79) méritait de plus d’être encouragé par des annonceurs publicitaires disposés à en reconnaître les risques.

Qu’on en juge ici aussi : sur les 23 annonceurs figurant dans le supplément, 10 au moins sont liés au commerce de luxe (Mont-blanc, Beaume et Mercier, Chanel, Mugler, Dior, Lancel, Jo Malone, Prada, Ester Lauder, Lamarthe), 1 à l’automobile de grand standing (la Peugeot 1007), 2 autres à l’électronique haut de gamme (LG Plasma et Canon Digital).

Tant de hardiesse éditoriale dans la défense et l’illustration du 7ème Art force assurément l’admiration de tous les argentiers du cinéma français, gratifiés par L’Express d’un soutien audacieux. Mais si les enjeux proprement cinématographiques du Festival s’effacent partiellement devant ceux de l’industrie du luxe, ils ne sont pas totalement négligés pour autant : à Cannes, il est « crucial pour les
couturiers d’être choisis par les stars lorsqu’elles foulent le Red Carpet »
, nous apprend-on p.62. Et p. 68, le lecteur est invité à partager cette interrogation : « “Peut-on avoir l’air moderne et jeune en portant une parure de haute joaillerie ? Toutes se posent la question, mêmes les plus grandes”, précise la styliste Martine de Menthon. »

L’Express vous avait prévenu : un « vrai parti-pris de cinéma. »

Jacques Gasseng

 
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