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Un auteur d’agressions sexuelles arrêté ? Un quotidien relate

par ColMar,

Les faits divers, généralement, font diversion en focalisant l’attention des lecteurs sur des événements mineurs et/ou spectaculaires qui permettent de cultiver les émotions consensuelles. Mais certains faits divers peuvent contribuer à éclairer d’effectives questions sociales. Pour peu que leur traitement ne soit pas superficiel, désinvolte, racoleur, scabreux,...

L’article dont il est question ci-après est lui-même un fait divers éclairant sur un certain journalisme.


Le goût du racolage et des détails scabreux

Dans la page « Faits divers - Justice », Les Dernières Nouvelles d’Alsace du 8 septembre accrochent le lecteur par un titre racoleur : « Mulhouse : Les femmes en jupe peuvent sortir tranquilles  ». Un titre énigmatique, mais d’apparence rassurant pour la moitié féminine des habitants de Mulhouse.

Il suffit de lire pour saisir toute la subtilité du titre : « L’auteur présumé de 53 agressions sexuelles commises dans la région mulhousienne et en Allemagne sur des femmes en jupe a été arrêté mardi à Mulhouse grâce à un renseignement fourni par la police d’outre-Rhin. »

Poursuivons.

« L’affaire durait depuis dix-huit mois et les enquêteurs de l’unité de protection sociale (UPS, qui réunit sous ce nom les anciennes brigade des moeurs et brigade des mineurs) de la Sûreté départementale de Mulhouse en passaient des nuits blanches. Depuis avril 2004, 42 femmes avaient en effet successivement déposé plainte à Mulhouse et dans les commissariats et gendarmeries de communes voisines, comme Wittenheim et Illzach. Les derniers faits remontaient au 29 août à Mulhouse. » Vient alors la précision qui « justifie », une fois encore, la satisfaction désinvolte affichée par le titre : « Point commun : toutes ces femmes portaient des jupes et toutes avaient été attaquées en pleine rue par un homme opérant de jour toujours de la même façon »

Suivent alors des détails destinés à entretenir une curiosité malsaine (et sans doute masculine) et, pour les femmes, l’inquiétude que le titre prétend sans objet. Et là, le rédacteur, (on imagine mal qu’une femme ait pu rédiger ça, même si le papier n’est pas signé), entre dans des détails pour le moins scabreux :

«  Point commun : toutes ces femmes portaient des jupes et toutes avaient été attaquées en pleine rue par un homme opérant de jour toujours de la même façon : il les ceinturait par derrière et leur mettait la main sous la culotte pour toucher leur sexe. L’agression durait quelques secondes, puis l’auteur prenait la fuite laissant ses victimes stupéfaites et très choquées. Ni les surveillances, ni les portraits robots, ni les appels à témoins lancés dans la presse depuis un an par l’UPS n’avaient permis d’identifier ce désaxé qui ne commettait pas d’erreur.

Jusqu’à dimanche où une voiture immatriculée dans le Haut-Rhin a été repérée à Mülheim en Allemagne, à proximité du lieu d’une nouvelle agression. La police allemande, ayant été sensibilisée dans le cadre de la coopération transfrontalière [les bienfaits de l’Europe des polices ...]) des services de sécurité à l’existence d’ un désaxé [bis] susceptible d’agir dans la région frontalière, a transmis l’information lundi aux policiers mulhousiens. Un « désaxé » ? Ce terme qui n’a guère de sens précis est abondamment « illustré ». En effet, le sous-titre et le paragraphe suivants contredisent, une fois encore, le titre de l’article, puisqu’ils décrivent une personne apparemment sans histoire, en multipliant à loisir les détails scabreux. Le sous-titre ? «  Il menait « ‘ ’une vie rangée ’’ ». Et ce qu’il annonce :

« Mardi matin, l’UPS est donc allée interpeller l’homme à son domicile mulhousien. Il s’agit d’un père de famille de 35 ans travaillant de nuit dans une grosse entreprise locale. Il a été placé en garde à vue. « Il reconnaît plus ou moins spontanément une vingtaine d’agressions. Mais il ne se rend pas compte de la gravité des choses », a indiqué le commissaire Anne Gindensperger, chef de la sûreté. « Les victimes ont été convoquées et le "tapissage" a été probant, même si toutes ne le reconnaissent pas, ce qui est aisément compréhensible. » Cet homme, qui était inconnu de la police et menait « une vie rangée », sera déféré ce matin au parquet de Mulhouse qui ouvrira au cabinet du juge Ariane Combarel une information judiciaire pour agressions sexuelles et viols, certaines femmes ayant été victimes de pénétrations digitales [Un souci de précision sans doute absolument nécessaire !]. Pour le moment, 53 faits lui sont reprochés, 42 en France et 11 en Allemagne. Mais la police n’exclut pas que d’autres femmes aient pu être la cible de ses agissements au cours des deux dernières années.

Si on revient au titre, on se demande quelle a pu être l’intention du rédacteur ? Informer simplement, ou bien faire fantasmer les lecteurs, sans égard pour les lectrices, qu’un tel article ne peut qu’inquiéter, car si « un père de famille de 35 ans » qui « menait une vie rangée » est capable de ces agressions, à qui se fier ? Il n’est pas sûr qu’après lecture des DNA, les « femmes en jupe » soient vraiment rassurées. On peut même être certain du contraire.

Article de presse ou rapport de police ?

Le 9 septembre, Les Dernière Nouvelles d’Alsace reviennent sur l’agresseur de dizaines de femmes dans la région mulhousienne sous le titre « Mulhouse - Femmes en jupe : l’agresseur est écroué ». Un cas de récidive journalistique aggravée...

L’article en effet est rédigé comme un rapport de police, multipliant les détails sans doute utiles à l’instruction, mais parfaitement racoleurs dans la presse et les descriptions qui véhiculent un maximum de stéréotypes ethniques.

On y apprend que : « L’homme soupçonné de s’être livré à des attouchements sur 53 femmes en jupe, en Allemagne et dans la région mulhousienne (DNA d’hier), a été mis en examen hier par le juge d’instruction Ariane Combarel pour agressions sexuelles, viols, et tentatives de viols. Hervé Blanchart, 35 ans, domicilié à Mulhouse, a reconnu une vingtaine d’agressions. »

Puis, retour insistant des détails scrupuleusement rapportés. Ceux-ci, certes, permettent de distinguer agression sexuelle et viol. Mais est-ce le seul motif de l’insistance ? « Mais il conteste les quatre viols par pénétration digitale et les tentatives de viols qui lui sont imputés... »

Cet article, en revanche, innove par rapport au précédent quand il s’agit du portrait de l’agresseur. Et ça se gâte aussitôt : «  L’agresseur, qui ceinturait les femmes par derrière et touchait leur sexe, est de type européen . » .Question : qu’est ce que le type européen ? Les DNA, avec la police, dont on reconnaît là le vocabulaire, seraient-elle en mesure de rédiger une fiche civique, dans le genre : « Sachez reconnaître le... » ? Mais ne nous égarons pas ! Ou bien, faut-il demander à des spécialistes ? Le Pen ? Ou plus localement, Patrick Binder, chef du FN 68 ? Dont le même journal, sur la même page, nous apprend qu’il est poursuivi pour « injures raciales », ce qu’il dément ?

Mais, revenons à l’article : « Agé d’une trentaine d’année, il [l’agresseur présumé] mesure environ 1 m 70, a les cheveux courts châtain clair avec parfois des mèches blondes ». Décolorées, donc. Manque juste la couleur des yeux, et au lieu de « européen » on lirait « aryen »...Mais l’un masque peut-être l’autre ? « Il opérait généralement avec de grosses lunettes noires et une casquette. Les femmes qui reconnaîtraient dans ce signalement un homme qui les aurait suivies ou agressées peuvent appeler les policiers de l’unité de protection sociale au 03 89 60 83 49. »

C’est ainsi qu’insidieusement le partage « racial » de l’humanité passe pour naturel. D’autant plus que les mêmes DNA, dans la même page, dans une brève consacrée à une « Agression sexuelle sur une prostituée  », commise par un « inconnu de la justice » précisent un peu après qu’il est « d’origine burkinabé ». En voilà un qui n’a pas le « type européen »...

Les DNA ne sont pas les seules à se délecter à l’évocation des types et des origines : ce même jour, à 9h12, sur France info, on pouvait entendre, deux fois, en moins d’une minute, parler de « Lettons de souche », de vrais Européens, eux, à n’en pas douter, à propos d’un match de foot. Mais grâce aux DNA, on devine facilement qui n’est pas de souche, dans les pays baltes comme ailleurs. Et on lit avec plus d’attention cet autre fait divers, toujours le 8 septembre, qui nous apprend qu’un « restaurant-snack de Barr avait été la cible de plusieurs coups de feu tirés depuis une voiture le 23 mai 2004 ». C’est presque sans surprise, qu’on lit que « Trois impacts étaient relevés sur la façade et à l’intérieur du döner  », (les Turcs sont-ils de « type européen ? » ou pas ? Vaste question...d’actualité brûlante !). Et si on a appris la leçon, on note que le tireur porte un nom typiquement alsacien (européen lui !). Il « avait monté une ‘’expédition punitive’’ au lendemain de l’altercation ayant opposé ‘’ de jeunes Turcs de Barr et des gitans d’Obernai’’ avec le renfort de ‘’gitans du Polygone’’. » Il y a les paroles, il y a les écrits, ceux des journaux, par exemple, et il y a les actes, comme ces coups de feu. La lepénisation des esprits, commencée en 1984, aurait-elle gagné ?

ColMar

 
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