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Marc-Olivier Fogiel contre Bruno Masure : match « nul »

par Arnaud Rindel,

Le samedi 21 février 2004, Marc-Olivier Fogiel recevait sur France inter (dans « son » émission « Vous écoutez la télé ») Bruno Masure, ancien présentateur du « 20 h » de France 2. Le prétexte de cette invitation ? Une tribune que celui-ci vient de publier dans le quotidien Libération. Résultat ? Deux faux impertinents s’affrontent autour du vide.

Prologue

Dans Libération [1], Bruno Masure, jadis brutalement congédié de la présentation du J.T, s’adressait ainsi à son successeur et remplaçant du moment :

« Non, David, la « bourde » Juppé  [2] n’était pas une « maladresse », comme tu l’as justifié à l’antenne, mais bien la résultante d’une politique éditoriale dévoyée, conséquence d’une fuite en avant dans l’info jugée « accrocheuse ». Déjà, consacrer dix-sept minutes du JT à la fin du « Juppéthon » était une aberration journalistique : imagine-t-on Le Monde consacrer dix-sept pages sur quarante à cet événement planétaire ? Vous l’avez vérifié à vos dépens l’autre soir : quand on rêve de « niquer la Une », quand on conduit trop vite sur un terrain verglacé, on s’expose aux dérapages incontrôlés et, parfois, on va dans le fossé ! Que faire ? Stopper cette stupide course aux vrais-faux scoops, arrêter de singer la Une, puisque les téléspectateurs préféreront toujours l’original à la copie. En gros, ne plus prendre les téléspectateurs pour d’aimables benêts, mais, au contraire, parier sur leur intelligence, leur soif d’apprendre et leur envie de comprendre le monde qui les entoure ».

Non content d’inviter Pujadas et France 2 à concevoir autrement leur travail, Bruno Masure critiquait également le journal de 13h de France 2 (« priorité au « spectaculaire », au fait divers, à la « proximité », bref à l’« émotion » qui, pour moi, n’a jamais rimé avec information. »). Et Masure envoyait au passage quelques piques à Patrick Poivre d’Arvor, qui « s’est montré on ne peut plus... « courtois » [avec Alain Juppé], avec des questions aussi agressives que : « C’est dur, la politique ? » »

Si l’on oublie - charitablement - que Bruno Masure est devenu un histrion (« chroniqueur » pour le compte de Michel Drucker à « Vivement Dimanche », auteur de livres humoristiques dont il assure consciencieusement la promotion) et qu’il saisit ici vraisemblablement l’occasion de régler des comptes personnels, ses arguments sont à ce point fondés qu’ils méritent discussion. Ce ne sera pas le cas…

Fogiel, avocat de la défense

De quoi va-t-il être question ? De la qualité de l’information ? De la politique éditoriale de France 2 ? De la dérive sensationnaliste de l’information du service public ? Pas le moins du monde…

« Mais aujourd’hui les journaux de France 2, vous les regardez j’imagine ?
- Je zappe, comme tout le monde, oui, je...
- Et vous les trouvez pas bien faits, efficaces, rapides, intéressants, sur l’info, dynamiques, et pas forcément… nuls ? (...) Vous dites qu’ils courent après TF1, en même temps, ils se sont mis dans une course, mais pas… mais pas très dévalorisante pour eux ! Bon, il y a eu cet épisode Juppé malencontreux, on a vu, on en a parlé la semaine dernière ici, mais bon le journal vous ne le trouvez pas aujourd’hui… de bonne qualité sur France 2 ? »

A écouter ce grand propriétaire de l’espace médiatique, tout semble y être, on s’en serait douté, pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et quand Bruno Masure évoque les dérapages, comme l’affaire Baudis, Fogiel minimise autant qu’il le peut : « C’est pas par nature, simplement, le risque de faire un journal quotidien ? Il faut sortir un journal tous les jours, et donc : on dérape ça arrive à tout le monde, mais pas spécialement à France 2 »

Ayant ainsi réglé le fond du débat, Fogiel peut aller à l’essentiel…

Fogiel, procureur

L’essentiel, en l’occurrence, c’est … Bruno Masure lui-même.

Dès le début de l’« entretien », le procureur de pacotille avait annoncé la couleur en lui reprochant sa tribune, « C’est pas très confraternel, hein ! »… Et au bout d’1’46 (sur 6’46 d’interview), appuyé par ces deux acolytes, Stéphane Blakowski et Anne-Elizabeth Lemoine, Marc-Olivier Fogiel fait glisser tranquillement la « conversation » sur ce qui restera son objet principal : le procès du journaliste Bruno Masure.

Alors que celui-ci évoque la responsabilité des journalistes, en la comparant à celle des médecins ou des gendarmes, Fogiel tranche : « Moi ce qui m’intéresse aussi c’est vous…  ». On ne saurait être plus clair.

Et le petit procureur, dont l’agressivité (la plupart du temps sélective) laisse croire qu’il cultive une réelle impertinence, de reprocher à Masure son comportement de « donneur de leçon », en plaidant une fois encore pour le « péché véniel » qui ne renvoie à aucune question de fond : la « connerie a été dénoncée, on a vu avec quel écho, peut-être même trop important par rapport à une réalité, mais toujours est-il… »

L’interrogatoire tourne alors à la foire aux vanités :
« …Pourquoi vous derrière vous sentez le besoin d’écrire derrière…
- Parce que...
- …à Libé ? est-ce qu’il y a une forme aussi, vous avez envie de réexister sur un plan journalistique
- Non !
- pas simplement en terme d’ego. Aujourd’hui vous êtes chez Michel Drucker, vous êtes chez Stéphane Bern
- Oui.
- Mais journalistiquement…
- Oui, c’est vrai, mais
- Vous n’avez plus votre place, d’une certaine manière, dans le petit monde médiatique. Est-ce que vous…
- Mais là c’est des ch
- n’essayez pas de vous repositionner là-dedans ? »

PPDA, super star

Le flot d’éructations de Fogiel et de ses comparses, manifestement destiné à défendre le journalisme de révérence et de connivence, submerge alors le pôvre Masure.

Cela commence avec Stéphane Blakowski : « Mais pour compléter ce que dit Marco, vous avez commencé votre intervention en disant « oui, je dis effectivement ce que dit tout le monde », donc dans ce cas pourquoi prendre une page dans Libé pour dire la même chose que tout le monde ! » Et il insiste : « Mais quel impact vous souhaitiez pour ce papier ? C’était pour faire changer quelque chose ? Pour le plaisir de pousser votre coup de gueule à vous ?  »

Bruno Masure a tout juste le temps de répondre, car dès qu’il en vient à critiquer l’attitude de Patrick Poivre d’Arvor, « Marco » renchérit aussitôt :
« En même temps vous dites dans votre papier que Poivre a posé de mauvaises questions à Juppé…
- Il a pas été bon
- Vous ne l’avez pas trouvé bon ?!
- Non, non !
- Mais en quoi ?! Nous ici on a trouvé le contraire. On l’a dit ici la semaine dernière »

Stéphane Blackowski acquiesce aussitôt, péremptoire, « Je trouve qu’il a posé toutes les questions ». Et son patron revient à la charge :

« Quelles questions il a pas posées ? Quand il le renvoie sur les bureaux visités de cette magistrate…
- Sur les faits, il…
- S’il, s’il lui deman…
- A un mom…
- Pas que les faits, il lui dem…
- A un moment il lui a demandé est-ce que v…
- Il lui demande si jamais il a été derrière ça.
- S’il a été derrière, s’il a commandité tout ça.
- C’est une question idiote. Il va évidemment pas lui dire « évidemment j’ai fait des écoutes ».
- Ben mais en même temps…
- …dans les bureaux des juges
- … en même temps il la pose la question !
- Oui mais il sait très bien que l’autre va le renvoyer dans ses buts. Par contre quand il dit « est-ce que c’est une bonne idée de rembourser », que Juppé ne répond pas, il le relance pas. Etc. Moi je vais vous dire très franchement on serait aux Etats-Unis ou en Angleterre, et c’est pas toujours une référence, la première question c’est « monsieur Juppé est-ce que vous partez ? ». Là il ont fait durer le plaisir pendant 15 minutes uniquement pour faire monter l’audimat. On fait du spectacle c’est tout. Le boulot de journaliste c’est première question « Monsieur Juppé vous partez oui ou non ? », et là il l’a posé au bout de 13 minutes. »

Ouf ! Masure est parvenu à dire quelque chose. C’est enfin l’occasion de sortir de cette discussion stérile sur les qualités personnelles des uns ou des autres, pour évoquer de manière un peu plus globale l’état du champ journalistique. Mais « Marco » ne l’entend pas de cette oreille et balaie une fois une fois de plus le débat de fond pour revenir, sans transition, à l’essentiel (de « ce qui l’intéresse »).

Car Masure ne vaut pas PPDA…

Masure, mauvais perdant

« Marco » : « Daniel Bilalian, avec qui vous avez souvent été en conflit par médias interposés dit de vous, « c’est impressionnant avec Bruno Masure parce que finalement il donne des leçons, mais finalement il ne se les est jamais appliqués à lui-même ». »

Mis en question de manière aussi abrupte, Bruno Masure cherche à se défendre, (« Je ne donne pas de leçons »), mais se heurte immédiatement à Stéphane Blackowski, qui appuie « Marco » d’un ton aigre : « Ben, sur l’interview de Poivre, là quand même, vous êtes en train de nous refaire son interview, quoi » [3].

Mais Masure s’entête : « J’appuie mes confrères qui à 70 % ont dit à leurs patrons, « vous êtes des mauvais », voilà. Et oui ! ». Et Marc-Olivier sent qu’on est en train, une fois de plus, de s’éloigner de « ce qui l’intéresse ».

Il décide donc, comme souvent, d’ignorer la réponse et passe, sans transitions, à une nouvelle mise en question : « Non mais là… mais, moi ce qui m’intér… vous qui avez présenté le 13h, euh, pour reprendre la phrase de Billalian (…) le 20h pardon, le 20h, quand vous étiez au 20h, vous… ce que vous critiquez chez les autres, vous faisiez la même chose (…) les interviews, elles étaient pas non plus un modèle de pugnacité ».

Et Stéphane Blakowsky de renchérir, « Parce que moi l’interview dont je me souviens de vous, c’était l’interview que vous aviez fait avec Naguy et Serrault, et tout le monde se foutait à poil… » C’est décidément une idée fixe.

Certes Bruno Masure est très loin d’être irréprochable. Mais il précisait déjà dans sa tribune à Libération se souvenir d’« avoir assumé à l’antenne des JT calamiteux », et avoir parfois « fait pire que TF1 ». Et dès le début de cette interview-ci, il répétait à Marc Olivier Fogiel et ses collègues, « j’ai un souvenir très, très pénible de l’affaire Diana (…) on a fait du Voici (…) Je l’ai assumé à l’antenne mais j’étais très, très malheureux. »

S’il le reconnaît lui-même, était-il utile d’y revenir ? Quel bénéfice pour l’information ? Pour le citoyen ?

Au lieu de se cantonner à des questions de personnes, il aurait pu être question de la qualité de l’information… Mais non ! Le seul point qui semble important est de rappeler à Bruno Masure qu’il a participé à ces dérives, et de suggérer ainsi, puisque « tout le monde » y a participé, qu’elles sont inévitables et que personne ne peut se permettre de les mettre en question. Et si d’aventure quelqu’un s’y risque, tous les moyens sont bons pour tenter de le discréditer : souligner avec mesquinerie son inexistence journalistique, lui prêter les motivations les plus pitoyables, réduire ses treize années de présentation du journal télévisé à une unique interview…

Renvoyer Bruno Masure à sa propre nullité. Voilà quelle fut la tache jugée si capitale pour l’information des citoyens qu’elle méritait de mobiliser trois interviewers et pratiquement sept minutes d’antenne sur une radio du service public.

Arnaud Rindel

 
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Notes

[1Bruno Masure, « Lettre ouverte à David Pujadas » (Libération, 18.02.2004).

[2David Pujadas a annoncé en ouverture du journal télévisé du 3 février 2004 le retrait d’Alain Juppé de la vie politique alors que celui-ci annonçait un peu plus tard sur TF1 son intention de conserver tous ses mandats. Voir à ce sujet : La faute de l’abbé Pujadas : le symptôme d’une longue maladie.

[3Il faut tout de même noter que lorsque le sujet a été abordé au départ, Bruno Masure déclarait : « On va pas refaire l’interview ». Et c’est Marc-Olivier Fogiel qui a insisté : « Ben si, parce que vous ouvrez ce débat- là avec de papier dans Libé ». Le reproche de Stéphane Blakowski apparaît donc pour le moins culotté…

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