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Le Monde revoit ses ambitions à la baisse

par Patrick Lemaire,

Le Monde affiche des résultats financiers calamiteux. Dans Le Figaro, le président de son Conseil de surveillance, Alain Minc, tente péniblement de faire croire que la " stratégie " gloutonne n’est pas remise en cause. Quant à Jean-Marie Charon, il a choisi la presse belge pour enfoncer Colombani.

" Nous laissons donc passer, pour l’instant, des occasions. " Président du Conseil de surveillance du Monde, Alain Minc, dans un entretien avec Le Figaro (1er juillet), concède du bout des lèvres que la situation économique du groupe Le Monde le contraint à faire une pause dans sa " stratégie de développement ".

D’abord, étant donné le " ressac de la publicité " qui affecte d’abord la presse quotidienne nationale, " Le Monde a perdu 35% de ses recettes publicitaires en deux ans " et adopte " une politique de rigueur de gestion ".

Ensuite, Minc rappelle que les principales acquisitions des dernières années n’ont pu se faire qu’en recourant au marché : " Les 62 millions d’obligations remboursables en actions [1] souscrites ont permis de financer sur fonds propres l’acquisition du Courrier international, notre montée au capital du Midi libre et l’acquisition des Publications de La Vie catholique " (La Vie, Télérama...)...

... Mais que cette manne se tarit :

" Allez-vous lever 38 millions d’ORA supplémentaires comme cela a été envisagé pour parvenir au montant global de 100 millions d’euros ?
Cette hypothèse avait été envisagée lors d’une éventuelle entrée en Bourse du
Monde. Pour l’instant, l’argent que nous avons levé nous a permis de financer les dernières acquisitions réalisées. Nous en restons là. "

Ce qui n’empêche pas le " plagiaire servile " [2] d’affirmer que " Jean-Marie Colombani et son directoire ont fait le choix, avec le soutien unanime de nos actionnaires, de poursuivre cette politique de développement ".

Le Figaro ne s’y trompe pas, qui résume dans le chapô de l’entretien :

" Alain Minc se félicite du périmètre actuel de l’entreprise qui ne sera pas remis en cause même s’il cessera momentanément de croître. [...] A mots couverts, Alain Minc reconnaît que la marge de manoeuvre du groupe Le Monde est provisoirement limitée. Il évoque, sans détour, une pause dans la stratégie d’acquisitions du Monde. "

Quelques jours après ces lénifiantes déclarations, on apprend, mardi 8 juillet, que Le Monde prend le contrôle des PVC, en " montant " à hauteur de 56 % dans le capital, suscitant la surprise des personnels [3]. Mais le patron du Monde, Jean-Marie Colombani, confirme la " pause " : " Pour nous, cette acquisition met un point final à notre phase de développement externe, ouvrant la phase de développement interne, où nous mettrons nos moyens au service du développement des journaux " [4].

Dans Le Figaro, Minc reconnaît que le recours au financement externe fragilise l’indépendance du journal :

" Si la conversion des ORA était effectuée aujourd’hui, quelle part du capital obtiendraient leurs détenteurs ?
Il y a deux ans, cela aurait représenté 25% du capital, aujourd’hui on tourne autour de 40%. "

Là aussi, Le Figaro traduit :

" Alain Minc révèle que Le Monde ne lèvera plus d’obligations remboursables en
actions comme cela avait été prévu car Le Monde doit rester contrôlé par ses partenaires actuels. Pour que cela ne soit pas le cas, Le Monde ne veut plus faire
appel au marché. "

Mais le président du Conseil de surveillance du Monde dément les informations publiées récemment (lire Le Monde : 13 plaintes contre La Face cachée) : il " est hors de question de céder quoi que ce soit d’essentiel... "
Reste à savoir ce qui est considéré comme " essentiel "...

Au passage, Minc réitère la fable bricolée par la direction du Monde quand fut mis à jour son double jeu sur la presse gratuite (lire Le Monde et 20 Minutes) :

" Au vu des difficultés d’implantation de la presse gratuite, regrettez-vous, rétrospectivement, de l’avoir favorisée en imprimant un titre ?
On n’a pas aidé à l’impression des journaux gratuits car ils se seraient imprimés de toute façon
(sic !). L’imprimeur que nous sommes souhaite que la presse gratuite perdure et se développe. Quant à l’éditeur que nous sommes également, il ne peut pas apprécier la presse gratuite. Mais ça, c’est le propre de la vie économique, souvent schizophrène. "


Actualisation du 7 juillet.

" "Le Monde" à la croisée des chemins ", titre le 2 juillet La Libre Belgique (article signalé par un correspondant d’Acrimed).

" A la mi-juin, le groupe "Le Monde" (qui chapeaute le quotidien homonyme et détient des participations dans des filiales naturelles -imprimerie, Internet, etc.- mais aussi dans d’autres publications comme Courrier international ou Midi libre) faisait ainsi état d’un déficit net de 17 millions d’euros en 2002 pour un chiffre d’affaires de 435,9 millions d’euros. Des pertes substantielles donc, d’autant plus inquiétantes qu’elles s’ajoutent à celles de l’année précédente (qui s’élevaient déjà à 14 millions d’euros), et que les perspectives pour 2003 ne sont guère plus réjouissantes. "

" Du coup, (...), certains en viennent à s’interroger sur la stratégie de développement menée par Jean-Marie Colombani, président du directoire, qui consiste à bâtir un groupe de presse indépendant composé à la fois de titres de la presse nationale, de la presse régionale et de la presse magazine. Autrement dit, (...) le quotidien parisien n’a-t-il pas présumé de ses forces ? Et surtout péché par excès d’optimisme quant à l’évolution de la conjoncture économique ? "

" C’est en tout cas la question que se pose Jean-Marie Charon, sociologue des médias et chercheur au CNRS. "Un quotidien comme Le Monde, qui s’appuie sur une rédaction forte, nous explique-t-il, a par définition des coûts fixes élevés. Il est donc fragilisé lorsque les rentrées publicitaires s’effritent. Pour éviter d’en pâtir, il a donc besoin d’activités complémentaires qui épousent des cycles économiques différents et qui n’ont pas besoin de liquidités au même moment. Or, le quotidien national a fait l’inverse. Il a procédé à des achats dans des publications qui subissent en même temps que lui les fluctuations du marché publicitaire et dont certaines, en dépit d’accointances évidentes en terme de contenu, ont besoin d’être refinancées. Je songe en particulier à Courrier international."

" Le sociologue estime en outre que le quotidien a tardé à réduire ses coûts de structure. "Contrairement à d’autres grands journaux européens, poursuit-il, Le Monde n’a pas pris les devants quand la conjoncture était meilleure, de peur de se mettre le Syndicat du Livre (SDL) à dos." "

La Libre Belgique cite abondamment les déclarations de Minc au Figaro : pas de cessions d’actifs " essentiels ", une entrée en Bourse reportée sine die... " La Libre " en déduit que " puisqu’il semble impossible de dégager de nouvelles marges, c’est donc essentiellement du côté des coûts que le quotidien va devoir agir. Avec le risque, selon Jean-Marie Charon, de toucher à la rédaction, et donc d’affaiblir le contenu, ce qui serait une grave erreur à ses yeux. " Un danger qu’on ne peut toutefois écarter, car c’est plus facile de rogner sur ce poste, en ne remplaçant pas les journalistes sur le départ, en n’embauchant plus, etc. que de s’attaquer aux fonctions techniques, et ainsi de se heurter au puissant SDL, prompt à agiter la menace d’une grève. " "

Conclusion : " C’est clair, Le Monde va devoir procéder à des arbitrages délicats dans les mois à venir ".

 
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Notes

[1ORA.

[2Le 28 novembre 2001, Alain Minc et les éditions Gallimard ont été condamnés pour contrefaçon à verser 100 000 francs de dommages et intérêts à Patrick Rödel. Ce dernier, auteur en 1997 d’une "biographie imaginaire" de Spinoza (ed. Climats) a relevé dans Spinoza, un roman juif, d’Alain Minc, publié en 1999, 36 emprunts, de 2 mots à 27 lignes. Dont des scènes imaginaires, consciencieusement reproduite par Minc. Cet exploit du président du conseil de surveillance du Monde lui a permis d’entrer à nouveau dans un club très fermé : celui des plagiaires " de référence ", répertoriés par un site universitaire sur les plagiats [lien périmé, septembre 2013].
Lire aussi des extraits du jugement (sur le site de PLPL) et ici-même, Le Monde sous la surveillance d’Alain Minc.

[4Propos publiés par le site Internet du Nouvel Observateur, dont le Monde est aussi actionnaire.

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